Tron L'Héritage
Le 09/02/2011 à 12:31Par Arnaud Mangin
Tron était une innovation à son époque mais il ne faut pas oublier qu'il s'était mis à dos une grosse partie du grand public ! Même si le premier épisode peut se targuer aujourd'hui d'un statut de film culte dans la communauté des geeks, Tron L'Héritage risque exactement le même destin pour une simple raison : il ne corrige aucun des défauts de son prédécesseur. Froid, hermétique, Tron 2 est un pari insensé misant sur la nostalgie d'une niche et creusant beaucoup trop profondément la frontière le séparant d'un grand public qu'il est censé amadouer. En ça, ce ne serait pas un défaut si la conséquence directe sur le premier film et sa suite n'étaient pas leur manque d'ouverture. Oui, la démonstration technique est impressionnante et très souvent splendide. Mais ce n'est pas suffisant.
Découvrez ci-dessous la critique de Tron : L'Héritage
Critique Tron : L'Héritage
Walt Disney ne cache pas son immense dessein, puisque Tron L'Héritage est d'ores et déjà vendu pour imposer une révolution technique et artistique à lui seul dans l'histoire du cinéma. Une ambition relativement osée un an seulement après le rouleau compresseur Avatar. Dans un certain sens, c'est ce que le film accomplit : une prise de risque insensée totalement révolutionnaire, non pas dans l'histoire du cinéma, mais bien celle du studio. A l'heure où la maison de Mickey avait soigneusement calculé son marketing en fonction du succès des films, leur déclinaisons en vidéo et/ou produits dérivés évoluant à pas feutrés mais assurés, c'est la toute première fois depuis la création du studio que tous les œufs sont mis d'entrée de jeu dans le même panier avec un plan d'attaque acheminé pour les quatre années à venir. Sans même savoir si le film trouvera son public, les deux suites sont déjà programmées, de même que diverses gammes de jouets et jeux vidéo en 3D, une série animée et une autre en images de synthèse ainsi qu'une gamme de court-métrages censés accompagner et consolider tout ça... Jusqu'en 2014. Aventure d'autant plus fastidieuse que Tron L'Héritage ne s'adresse absolument pas aux enfants et, dans une intégrité artistique évidente, ne s'inscrit pas dans les codes du divertissement familial. Respectable, mais incroyablement risqué.
Distribuée par la maison mère du cinéma tout-public, cette suite tardive de Tron ne répond pas aux sirènes du calibrage hollywoodien et accorde une fidélité sans faille à l'œuvre d'origine en poussant très loin le bouchon sur le plan technique, de toutes les manières possibles. C'est bon pour les effets d'annonce, ça glorifie le CV, ça permet - une fois encore - de tenter de tenir tête à James Cameron qui emploie beaucoup de termes compliqués et de chiffres abracadabrants, et ça se vend finalement un peu trop comme l'appareil multi-fonction qu'il est certainement : premier tournage au monde à la source numérique non compressée, premiers costumes rétro-éclairés, premier personnage intégralement numérique ayant l'aspect de son interprète avec 30 ans de moins et certainement premier sur un tas de choses qui nous ont échappées ! De quoi remplir lourdement l'emploi du temps des communicants mais surtout mettre à portée de main des créateurs du film tous les outils nécessaires, non pas pour réinventer Tron, mais lui offrir un upgrade graphique à la hauteur du mythe originel. De quoi satisfaire aussi les mirettes des fans de la première heure ainsi que toute la culture geek qui a pu entourer cet univers particulier en traçant une croix sur le reste du monde.
C'est certainement ce qui étonne le plus à la découverte de Tron L'Heritage. Qui étonne et qui s'affiche à la fois comme son atout principal mais également comme un énorme pied-bot en terme de popularité... Tout ce qui va donc à l'encontre de la séduction martelée évoquée un peu plus haut. On ne sait pas si Disney envisage de rentrer dans ses frais en ne ciblant qu'une niche, mais c'est pourtant ce qui semble prédestiner le film au même parcours que son prédécesseur. Tron 2 s'amourache à fond de l'électro-culture un peu rétro, fait de sévères appels du pied aux années 80 dans ce qu'elles pouvaient avoir d'un peu underground et nécessite surtout que l'on aie vu et apprécié le premier opus. Ce n'est pas l'appât le plus évident. Toujours est-il que l'effort est là : nous voici probablement face à l'une des rares suites qui soit réellement digne d'intérêt sur le plan visuel pour dépeindre la progression technologique d'un monde : Tron L'Héritage est un spectacle formel plutôt fascinant pour l'éveil des sens. Graphiquement d'abord, puisque l'on nous y propose l'épatant compromis entre la froideur déshumanisée de l'univers informatique (pour faire court, le film se déroule dans un système d'exploitation façon Windows, dont Bill Gates serait retenu prisonnier) et le design high-tech contemporain qui donne la banane. Découverte décuplée par son illustration musicale, Daft Punk signant une bande son assez démentielle (le générique de fin est splendide), ainsi que le retour bienvenu d'Annie Lennox ou du Separate Ways de Journey au détour d'une scène. Certains se sont vraiment fait plaisir et le trentenaire nostalgique s'y retrouvera également un peu !
Mais le grand, le gros, l'énorme problème de Tron L'Héritage, c'est qu'il demeure tellement fidèle au film d'origine et à son public de la première heure qu'il en absorbe du même coup tous les défauts. Et oui, Tron L'Héritage est un film bien tenté, tape à l'œil et gentiment avant-gardiste (même si ici c'est beaucoup moins laid) mais encore beaucoup trop hermétique et recroquevillé sur cet implosant petit cercle pour dégager la moindre aura autour de lui. Avatar, dans toute sa bulle, était au moins parvenu à faire un pas en avant vers le reste du monde pour mieux le séduire. Ce nouveau spectacle se montre beaucoup trop froid, beaucoup trop déshumanisé, traduisant un manque d'enjeux édifiant avec cette sensation d'être à la loge présidentielle d'une gigantesque aire de jeu dans laquelle il ne se déroule rien. C'est beau, c'est grand, ça brille, mais ça n'arrive pas à respirer, se limitant à quelques pions sagement posés, sans jamais chercher à lui offrir un vrai souffle ou un minimum d'éléments attachants. Seul Jeff Bridges, qui interprète pourtant les deux seuls personnages vraiment sombres de l'histoire, arrive encore à faire décanter quelques pointes d'humour, nous rappelant à ces rares occasions que Tron L'Héritage n'est même pas fun à suivre.
Les idées et les envies sincères sont bien là. C'est une évidence. Les quelques traits grossiers de ce type d'aventure seraient même passés tous seuls (le fils du créateur revenu mettre l'ordre moral dans un univers en perdition...) si Tron L'Héritage, en demandant au public d'adhérer à son concept, avait lui aussi fait l'effort de guider son spectateur de manière plus habile. Un coche qu'il rate totalement. Certains ont adhéré au charme du Tron original en 1982 et ça sera de nouveau le cas ici. D'autres ont lâché l'affaire parce qu'ils ne se sont pas sentis concernés. L'histoire a de fortes chances de se répéter.
Article rédigé le 6 décembre 2010