Un bonheur n'arrive jamais seul : une comédie romantique schizo
Le 19/06/2012 à 09:32Par Michèle Bori
Schizophrène au point de rendre agaçantes ses qualités, Un bonheur n'arrive jamais seul séduit autant qu'il énerve. Et s'il est assez plaisant et original dans sa première moitié, le film de James Huth vire vite à la comédie romantique quelconque, voire ratée. Mais même s'il ne s'agit pas d'un grand film, loin de là, on espèrera malgré tout que cette comédie avec Gad Elmaleh et Sophie Marceau trouvera son public. Ne serait-ce que pour que son réalisateur n'en vienne pas s'imaginer qu'il n'y a pas de place en France pour un bon faiseur tel que lui. Découvrez ci-dessous notre critique d'Un bonheur n'arrive jamais seul de James Huth.
Un bonheur n'arrive jamais seul : CRITIQUE
Un bonheur n'arrive jamais seul est un projet que la rédaction de Filmsactu suit du coin de l'œil depuis son annonce au début de l'année 2011. Pas tant pour ce qu'il raconte – puisqu'il s'agit d'une comédie romantique somme toute assez classique - que pour les personnes qui se trouvent derrière ce film. En premier lieu James Huth, réalisateur dont le travail fait souvent débat, mais qui chez nous a toujours reçu les égards qui lui était dû – ne serait-ce que pour l'inventivité et la générosité dont il fait preuve. Ensuite, Gad Elmaleh et Sophie Marceau, deux comédiens au capital sympathie immense et dont la réunion à l'écran pouvait donner naissance à un "beau couple de cinéma". Enfin, à la production, Richard Granpierre qui est derrière des œuvres telles que Le Pacte des loups, Irréversible, Enfermés dehors, Ils et bientôt, La belle et la bête de Christophe Gans.
Bref, rien que sur le papier, Un bonheur n'arrive jamais seul avait réussi à nous convaincre qu'il faisait partie des quelques comédies françaises qu'on avait envie de voir au cinéma, et pas à la télé un dimanche soir sur la Une … Sauf que voilà, à force de voir la vie en rose, on avait oublié que Huth était aussi le réalisateur de Brice de Nice, que Gad avait joué Coco, que Sophie Marceau a récemment enchainé Les femmes de l'ombre, De l'autre côté du lit et LOL, et que Grandpierre a produit Safari, L'italien et Monsieur Papa. Et hélas pour lui, Un bonheur n'arrive jamais seul porte les stigmates de cette dualité. Schizophrène au point de rendre agaçantes ses qualités, le film de Huth séduit autant qu'il énerve.
Plaisant, Un bonheur n'arrive jamais seul l'est dans sa première partie, emballante, légère, maîtrisée, parfois même virtuose, comme durant ce plan-séquence d'introduction génial et entraînant qui place d'emblée la barre très haute. Elmaleh et Marceau sont parfaits dans leurs rôles respectifs de musicien épicurien et de businesswoman/maman poissarde. Les enfants de cette dernière nous tirent sourires sur sourires. L'histoire est simple mais pourtant captivante. On est certes en terrain connu, balisé, mais on s'y plaît. Comme un petit air de free-jazz, le film coule de source et se voit ponctué çà et là de quelques séquences particulièrement réussies, bien aidées il est vrai par les nouvelles frasques visuelles de son réalisateur - qui nous offre comme toujours une mise en scène inspirée, des clins d'œil à foison (des grandes romances Hollywoodiennes à Chuck Jones, en passant par Buster Keaton qui a semble-t-il beaucoup inspiré Gad) et une production design soignée et colorée, le tout dans un format 1,66 déroutant mais original. On se dit alors que, dans ce qui s'apparente à un film de commande, le papa d'Hellphone a su trouver un terrain de jeu idéal pour faire le grand écart périlleux entre comédie populaire "à la française" et les ambitions de cinéma qu'on lui connait. Sauf que voilà, l'exploit ne dure qu'un temps. Et hélas pour Huth et pour son film, le château de cartes habilement construit sous nos yeux finit par s'effondrer.
Passée une heure de métrage, la magie s'estompe. Les fissures que Gad tente de colmater en vain dans le film se font de plus en plus grosses. De "classique", l'histoire devient "clichée". De simple, elle devient simpliste. Les comédiens paraissent en faire des caisses, et plus encore dans les scènes se voulant dramatiques. Les dialogues se mettent à sonner faux. L'humour et le ton singulier du film ne font plus effet. Huth, quant à lui, ne semble plus trop convaincu par ce qu'il tourne. Ses rares fulgurances de mise en scène (un spectacle à Broadway en ombres chinoises par exemple), apparaissent plus désespérées qu'autre chose. Comme si le réalisateur, conscient des faiblesses de ses dernières bobines, tentait de combler le fond par la forme. On découvre alors amèrement le décalage qu'il existe entre ce que le réalisateur de Lucky Luke a à nous offrir, et ce qu'on lui demande de faire … On en vient alors à se demander s'il était la personne idoine pour réaliser ce qui, d'un point de vue purement scénaristique, tenait plus du téléfilm de luxe que de la grande comédie romantique. N'est-ce pas un peu dommage de voir l'un de nos rares bons faiseurs devoir mettre en image une histoire aussi banale ? On sent que Huth rêve de faire son New-York / Miami, mais que ses ambitions sont plombées par un script au trop plein de poncifs. Rageant, d'autant que ce n'est pas la première fois qu'on doit faire face à un tel cas de figure.
A l'instar du héros du film - qui a "un rêve de trop dans sa vie", dixit son meilleur ami campé par Maurice Barthélémy – Huth semble tiraillé entre son envie de faire un succès populaire (Hellphone et Lucky Luke étant considérés comme des échecs) et de continuer à créer des bobines généreuses et possédant un petit plus que les autres n'ont pas. Un cas de conscience qu'il doit partager avec d'autres réalisateurs qui ont été dans la même situation, les plus récents étant Florent Emilio Siri (Cloclo) et Matthieu Kassovitz (L'ordre et la morale)… La question est éternelle : mieux vaut-il se planter en essayant, ou ne pas essayer de tout ? A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire n'est-ce pas, et on ne pourra pas blâmer Huth d'avoir tenter de nous offrir une comédie romantique différente des autres. Dès lors, même s'il ne s'agit pas de son meilleur film, loin de là, on espèrera malgré tout qu'il trouvera son public. Ne serait-ce que pour qu'il n'en vienne pas s'imaginer qu'il n'y a pas de place en France pour un réalisateur tel que lui.