Valse avec Bachir
Le 25/06/2008 à 17:15Par Elodie Leroy
Le character design ne ment pas : le personnage principal ressemble trait pour trait à Ari Folman lui-même, soit le réalisateur du film. S'appuyant sur les témoignages de différents intervenants, auxquels viennent se mêler des bribes de rêves ou de mémoire, Valse avec Bachir retrace ainsi le travail que Folman a lui-même dû effectuer pour déterrer ses souvenirs des profondeurs de son inconscient. A la fois film de guerre, expérience surréaliste et documentaire criant de sincérité, Valse avec Bachir met en parallèle la psychologie individuelle avec la mémoire collective à travers un même traumatisme, celui de l'horreur vécue par des soldats israéliens embarqués dans un bain de sang dont ils ne connaissaient pas les tenants et les aboutissants. Au bout du tunnel, un souvenir tabou, celui du massacre de Sabra et Shatila, deux camps de réfugiés palestiniens où des centaines de civils furent assassinés par les phalangistes entre le 18 et le 19 septembre 1982.
Rien que la première séquence, course effrénée de vingt-six chiens affamés en pleine ville, annonce la couleur quant au génie de la mise en scène. Cette dernière utilise pleinement les possibilités offertes par l'extraordinaire média qu'est le cinéma d'animation en termes d'imaginaire et mise sur des partis pris graphiques audacieux, mêlant différents procédés d'animation, jouant sur un coup de crayon très vivant et une superbe utilisation des noirs. Ainsi, on pourra dire que Ari Folman s'éloigne de la forme habituelle du documentaire pour proposer une véritable expérience sensorielle - là où un cinéaste comme Joseph Strick restait dans le strict cadre de la succession d'interviews dans Vétérans du Massacre de My-Lai. Ce qui ne veut pas dire que Valse avec Bachir mette la forme en avant au détriment du fond, bien au contraire puisque l'on peut parler d'une véritable fusion. Avec ses changements de ton et sa bande son naviguant entre une ambiance eighties presque décalée et une composition musicale envoûtante, la mise en scène dynamique et immersive d'Ari Folman demeure en accord parfait avec l'approche prédominant dans Valse avec Bachir, celle d'une enquête confrontant différentes subjectivités pour arriver à une vérité commune.
Vibrant de réalisme sur le vécu des soldats interviewés, qui sous forme de personnages dessinés font part à la caméra de quelques tranches choquantes de leur expérience, Valse avec Bachir ne fait aucunement passer les militaires rescapés pour des héros mais évite tout jugement à leur égard. Mise en opposition avec des séquences oniriques où prédominent le Féminin et l'élément marin, tel un besoin de retour à l'état primal, l'horreur transpire d'abord à travers les propos et les flash back avant de devenir de manière graduelle fulgurante et viscérale, jusqu'à basculer dans la réalité des faits sordides dont il est question. Oui, Valse avec Bachir traumatise, provoque une foule de sentiments lourds à porter, surtout que le cinéaste n'hésite pas à mettre le massacre de Sabra et Shatila en relation avec d'autres chapitres de l'Histoire tout aussi terrifiants, comme pour rappeler que la victime peut se transformer à son tour en bourreau sans même en avoir conscience. L'horreur est malheureusement humaine et elle fait froid dans le dos.