Vicky Cristina Barcelona
Le 17/09/2008 à 01:02Par Kevin Prin
Durant des années, Woody Allen était le petit intellectuel juif new-yorkais qui dynamitait par son humour des thèmes considérés alors comme osés : la religion, le suicide, l'amour, et bien d'autres qui firent son empreinte. Depuis une dizaine d'années, Woody n'est plus le même et, s'il aborde les mêmes thèmes, il bâtit au contraire à travers ses films une sorte d'éloge de la normalité, fuyant les morales audacieuses et préférant retourner ses personnages contre leurs quelques principes transgressifs. Vicky Cristina Barcelona, simple romance sans grande ambition au final, se place dans la continuité : des personnages intéressants, des thèmes prometteurs, quelques scènes qui font sourire, mais le tout plombé par une mise en scène qui renvoi au téléfilm et surtout une recherche absolue d'aboutissement à une morale de l'histoire qui échoue lamentablement. On aimerait crier « Rendez-nous l'ancien Woody ! » mais franchement on y croit plus vraiment.
Vicky Christina Barcelona commence très bien, avec une présentation de personnages attrayante. A commencer par deux touristes américaines amies jusqu'au bout des ongles, ou presque, puisque ce qui les distingue diamétralement est leur vision de l'amour. Vicky (Rebecca Hall) est sur le point de se marier et ne jure que par la stabilité de son couple et sa fidélité : pour elle, les cuisines Mobalpa doivent représenter un idéal. Cristina (Scarlett Johansson), elle, croit en la souffrance que procure l'amour. Artiste maudite (elle a réalisé et joué dans un film de 12 minutes qu'elle déteste), l'aventure la rassure et elle craint l'attachement. Le premier jour de leur été à Barcelone, elles rencontrent Juan Antonio (Javier Bardem), peintre local à succès, libre d'esprit et de contraintes et qui leur propose en moins de 5 secondes de partir avec lui en week-end pour visiter, boire, manger et faire l'amour. Bien que réticentes (surtout Vicky), les deux filles vont finir par le suivre.
A partir de là se met en place un imbroglio amoureux où celle qu'on ne croyait pas fini par vivre une aventure avec Juan Antonio, lequel préférera quand même l'autre et restera un peu avec, jusqu'à vivre d'autres expériences. Les deux filles sont ébranlées et découvriront bien vite que ce peintre a des fissures derrière son apparente nonchalance. Une sorte de remise en question des principes qui nous définissent et qui aurait pu amener à quelque chose d'intéressant si Woody Allen était moins frileux. Se perdant en cours de route dans son intrigue (on tourne en rond pendant une bonne demi-heure), il nous introduit un autre personnage, Maria Elena (Pénélope Cruz), ex de Juan Antonio et qui va pimenter la relation de ce dernier avec Cristina. A partir de là, le film s'embrouille complètement sur ses thématiques et, comme effrayé, Woody ne trouvera d'autres solutions que de sauver la morale dans tous les sens et laisser pour compter ses deux personnages (Juan Antonio et Maria Elena) sur le bas côté. Une sorte d'abandon d'ambition, s'illustrant par une abandon des marginaux, qui caractérise bien celui qui nous livra le presque facho Match Point ("tue ton amante pour retrouver une vie normale"), le frigoriphique Le Rêve de Cassandre ("Crevez tous, vous qui êtes trop ambitieux") ou le tout simplement navrant Escrocs mais pas trop ("Restez pauvres et ne changez rien à vos vies, c'est mieux"). En y regardant de plus près, le plus sympathique film récent de Woody Allen serait Scoop, pourtant le plus raté au niveau de l'intrigue, un comble !
Evidemment quelques qualités ponctuent ce Vicky Cristina Barcelona. Certaines scènes nous font décrocher un sourire, mais il faut se tourner du côté des acteurs pour trouver consolation. Javier Bardem et Pénélope Cruz dévorent en effet littéralement l'écran, prouvant que leur talent peut se contenter d'une caméra statique et un cadre de téléfilm pour quand même nous satisfaire grandement. Le plus gros regret restera tout de même Scarlett Johansson, à peine sexy même lorsqu'elle embrasse Pénélope Cruz, et complètement effacée alors que son personnage possède un potentiel certain dans le registre dramatique. Décidément, Woody Allen n'est pas en forme.