Wall-E
Le 30/07/2008 à 10:01Par Arnaud Mangin
On s'y attendait, on l'avait prévu et on l'a affirmé avec un aveuglement total : Wall-E serait un chef d'œuvre. C'est effectivement le cas, mais c'est aussi tellement plus, que nous n'aurions jamais pu imaginer à quelle hauteur Pixar mettrait la barre. Vers l'infini et au-delà peut-être, mais le studio s'est ici surpassé plus que jamais et livre son bébé comme s'il se lançait constamment un défi de perfection. De perfection il en sera grandement question dans cette admirable bluette entre une boite de conserve rouillée et un Ipod multifonctions dans une aventure spatiosidérale intergénérationnelle sur les degrés de technologie, l'usage que l'on peut en faire et surtout la façon de s'en détacher. En tout cas ce Wall-E, œuvre à la pointe technique, on ne s'en détachera pas. Une douce claque...
Le plus simple est encore de laisser parler les émotions, parce que c'est ainsi que nous avons vécu l'expérience du film. Chose devenue de plus en plus rare à la sortie d'une projection de presse, le spectateur lambda que nous sommes finalement - être de chair et de sang, rappelons-le - est resté pantois quelques minutes, le regard vague, cherchant le secours dans l'œil du collègue ou du confrère pour se dénouer la gorge. Une sensation généralisée qui laisse tout le monde un peu bête avant de reprendre ses esprits et à laquelle on ne pouvait franchement pas s'attendre.
Ratatouille est un chef d'œuvre et rien ne lui retirera ce statut, mais il ne nous avait clairement pas atteint avec une telle puissance. Surtout de la part de Andrew Stanton, à la mise en scène moins virtuose que son copain Brad Bird et déjà réalisateur du sympa mais très infantilisant Monde de Némo, reconnu à juste titre comme le film le moins mémorable - artistiquement - du studio. Toujours est-il que l'on oublie les préjugés à l'encontre de ce dernier qui s'est racheté une maturité incroyable. Maturité qui est devenue un vrai fer de lance de la part de Pixar depuis trois ou quatre métrages. Tellement, tellement de choses dans un simple film en 3D - dont les protagonistes ne sont que des objets industriels en plus - secouent les sens et la tête que quelques minutes ne sont pas un luxe pour souffler. Découvrir Wall-E est un événement en soit. C'est dit !
Beaucoup de flagorneries bien méritées puisque, après tout, c'est tout à l'honneur de Pixar d'entamer les politesses avec son spectateur. Nous ne sommes ouvertement pas pris pour des idiots et, une fois encore, il ne nous est pas possible d'outrepasser l'éternelle comparaison avec le faux frère de toujours, Dreamworks. Un concurrent qui trouve ici un coup de grâce fatal et qui peut aller se rhabiller pour toujours en emmenant ses Shrekeries avec lui. Même s'il n'y a finalement plus vraiment lieu de comparer (l'un est extraordinaire, l'autre est totalement bidon, point barre), il est néanmoins encore bon de soutenir l'idée qu'à une époque où quelques films d'animation se revendiquant "adultes" se sentent obligés d'user d'artifices aussi grossiers que la tchatche, les anachronismes musicaux et les références cinématographiques modernes, Wall-E signe une déclaration d'amour aux moteurs les plus basiques du cinéma. D'animation ou non. Pas de stars derrière le micro pour gonfler la promo (Sigourney Weaver est le seul crédit bankable du projet et sa présence est aussi discrète que justifiée) mais un simple retour aux préceptes du langage universel, du cinéma muet pouvons-nous dire, avec des bip-bip et des tic-tac en guise de communication. Ensuite, on laisse le charme agir...
Ce n'est pas la première fois, donc, mais Pixar fait ouvertement du cinéma. Dans sa forme, dans son fond, dans ses thématiques multiples et la façon dont il emprunte dans ce que le 7ème art nous a laissé de plus noble depuis son existence. Wall-E joue en tout cas sur ce tableau d'une façon admirable et nourrit ce joyeux paradoxe de la tradition et du high tech qui se soutiennent mutuellement. Ce n'est pas par hasard si le film est une prouesse esthétique et qu'il revendique un retour à la simplicité. Une façon de rester intemporel, en quelque sorte, et de faire se côtoyer Le Temps modernes avec un Star Wars quelconque, en passant par Vol au-dessus d'un nid de coucou, ou plus explicitement Les Lumières de la ville avec 2001 L'odyssée de l'espace dont Wall-E est essentiellement, dans sa seconde partie, une relecture riche de sens (et oui !). Pour ne pas gâcher la surprise, on essaiera de ne pas trop révéler ce que conserve encore dans son escarcelle cette fascinante aventure, mais notre rapport en tant qu'humain avec les automatismes de tous genres nous est renvoyé violemment au visage. Gardez au moins ça à l'esprit lorsque vous utiliserez un escalator en quittant la salle où vous aurez vu le film...
Et comme le cinéma - lorsque c'est bien fait - est un moteur à sensations, conservons le souvenir de Wall-E comme celui d'une splendide histoire d'amour par diodes interposées, par le transfuge des sentiments le plus simplifié de la gestuelle, de regards et d'interjections électroniques étonnamment plus convaincantes que certains charabias humains. "La magie Disney" qu'on appelait ça avant... c'est exactement Wall-E.