Hitokiri, le châtiment
Le 03/10/2007 à 13:42Par Caroline Leroy
Film méconnu, inédit jusqu'à présent en DVD, Hitokiri peut recouvrer sa place parmi les œuvres qui ont marqué l'histoire du film de sabre japonais. Mis en scène avec une maîtrise et une précision remarquables, le film vaut à la fois pour le plaisir visuel que procure sa forme extrêmement soignée - nombre de plans sont mémorables - et pour son contenu social fort, très pessimiste sans jamais verser dans la lourdeur démonstrative. Un film à redécouvrir au plus vite.
L'histoire de Hitokiri est celle d'un homme, Izo Okada (Shintarô Katsu), que sa soif d'échapper à sa condition conduit de désillusions en désillusions, en ces temps troublés de la fin du shogunat au Japon. Une ère de non droit où tous les coups sont permis pour grappiller les quelques miettes restantes d'un pouvoir qui s'effrite de toutes parts. Tout à sa volonté de s'extraire de l'extrême pauvreté dans laquelle il vit, Okada met un certain temps à se rendre compte que son maître Takechi (Tatsuya Nakadai) le manipule sans vergogne pour parvenir à ses fins. La révélation, douloureuse, ne fera malgré tout qu'obscurcir encore la destinée déjà tragique de cet homme simple, parfois même simplet, qui voudrait être un héros alors qu'il n'est qu'une machine à tuer - celle d'un monstre, qui plus est. A travers le parcours du tueur Izo Okada, parcours que l'on pourrait paradoxalement qualifier d'initiatique, Hideo Gosha dépeint un monde d'une noirceur extrême dans lequel magouilles, embuscades et meurtres en chaîne rythment le quotidien d'une population dépassée par les bouleversements sociaux qui s'abattent sur elle. Entre les promesses de son ami d'enfance Sakamoto qui lui certifie qu'une ère de liberté se prépare, affranchie du système des castes, et le discours cynique du fin stratège Takechi, qui entend au contraire profiter le plus longtemps possible de la pagaille générale pour conforter ses privilèges, Okada va devoir prendre parti de lui-même et affirmer ainsi son existence en tant qu'être humain.
S'il reste un pur chambara, ponctué de combats au sabre sanglant qui se révèlent souvent d'une rare violence (et dont le meurtre de Yoshida au début du film livre un bel avant-goût), Hitokiri, réalisé en 1969, dégage avant tout un sentiment de profond désarroi. L'injustice sociale, matérialisée ici par la relation de maître à esclave qui unit Okada à Takechi, est soulignée encore par des cadrages très pensés mettant en exergue l'abîme qui les sépare. Le film tout entier brille d'ailleurs par la rigueur et la beauté de la composition de ses plans, du point de vue des cadrages, saisissants (en particulier sur les visages) comme de la lumière ou des couleurs, magnifiques, et dont la raison d'être ne doit jamais rien au hasard. L'interprétation très entière de Shintarô Katsu - le célèbre masseur aveugle de la série des Zatôichi et le sabreur obsédé des Hanzo the Razor - ajoute encore à la brutalité et au désespoir ambiants, d'autant que physiquement il s'oppose en tous points au très raffiné Tatsuya Nakadai, son meilleur ennemi dans le film et l'un des acteurs fétiches de Hideo Gosha. Le casting recèle encore quelques surprises, comme la présence de l'écrivain Yukio Mishima dans le rôle de Shinbei Tanaka, ou de Mitsuko Baisho dans la peau de la prostituée auprès de laquelle Okada le tueur vient régulièrement chercher du réconfort.