Sukiyaki Western Django
Le 27/11/2008 à 07:33Par Elodie Leroy
Cet hommage au western spaghetti à la sauce sukiyaki est-il réellement le délire annoncé ? Pas vraiment. Original dans ses partis pris, très douzième degré dans son humour, Sukiyaki Western Django réserve quelques moments de franche rigolade et comporte son lot de bonnes idées, entre les gunfights fantaisistes et les pitreries d'une bande de joyeux comédiens décomplexés, parmi lesquels Quentin Tarantino s'avère être l'un des plus hilarants. Il manque cependant quelque chose d'important à cette fantaisie miikesque : l'énergie. De par ses quelques baisses de régime et son refus d'assumer le genre dont il empreinte les codes, le film manque de ce souffle moteur qui permet aux comédies les plus lourdingues d'être acceptées comme telles et de remporter pleinement l'adhésion. Sukiyaki Western Django reste donc un Miike sympathique, certes, mais un Miike mineur.
C'est décidément la mode du western en Asie puisque, à l'instar de Kim Jee-Woon qui revisite Sergio Leone avec Le Bon, la Brute et le Cinglé, Takashi Miike s'attaque à un autre film mythique, de Sergio Corbucci celui-ci, avec ce Sukiyaki Western Django. Après tout, pourquoi pas : John Sturges adaptait bien Akira Kurosawa en 1961 avec Les Sept Mercenaires, et l'on pourrait remplir des pages entières sur l'histoire des influences mutuelles entre les cinémas d'action orientaux et occidentaux à travers les décennies. Au programme de cette nouvelle fantaisie miikesque : une histoire de vengeance à dormir debout, une pelletée de stars du cinéma japonais (indépendant comme grand public) jouant aux cowboys, et une participation amicale de Quentin Tarantino.
Dès l'introduction, l'entrée en scène du réalisateur de Pulp Fiction, Sukiyaki Western Django affiche d'ores et déjà un douzième degré savoureux, ne serait-ce que par l'intrusion d'éléments directement issus de la culture japonaise dans un décor de western spaghetti. La suite confirme les premières impressions à travers un scénario invraisemblable d'affrontement entre deux clans ennemis, les Genjis et les Heike, une guerre dans laquelle un outsider va bien entendu mettre les pieds. Les comédiens se chargent joyeusement de planter l'atmosphère : de Kôichi Sato à Yusuke Iseya, en passant par Kaori Momoi, Masanobu Ando ou encore Renji Ishibashi, chacun fait son petit numéro, quitte à faire le pitre, Yoshino Kimura étant l'une des seules à tenter d'apitoyer la galerie. Si le tueur solitaire (Hideaki Ito) porte l'accoutrement de rigueur pour nous faire croire à un western, les scènes d'action ne tentent pas véritablement de reproduire les figures imposées du genre, Miike restant en fin de compte très fidèle au style qui lui est propre. On assiste ainsi à des meurtres sanglants et à des gunfights musclés aux chorégraphies pour le moins fantaisistes, pour un résultat pas franchement impressionnant mais souvent assez drôle, notamment lorsque la fameuse Bloody Benten sort ses griffes. Certains en profitent pour dégainer des armes à feu improbables façon Dead or Alive, tandis que d'autres, tels que le leader du clan Yoshitsune (Yusuke Iseya, moins sérieux que dans Blindness), préfèrent l'emploi des méthodes traditionnelles, à savoir le katana, histoire d'aller plus vite en besogne et de faire couler un maximum de sang, le tout dans un esprit cartoonesque très festif.
Avec ses personnages qui portent des noms japonais alors qu'ils s'expriment dans la langue de Clint Eastwood, en la maîtrisant d'ailleurs plus ou moins bien (Shun Oguri parle phonétiquement, mais son rôle en lui-même est une énorme blague), on se demande assez vite quelle est la véritable cible de ce qui s'avère bel et bien être une parodie. Devant les efforts linguistiques de ces acteurs japonais, on ne peut s'empêcher d'avoir une pensée pour le piètre accent d'Uma Thurman lorsqu'elle s'essayait aux langues respectives de Sonny Chiba et Gordon Liu dans Kill Bill. Miike raillerait-il ces réalisateurs occidentaux qui essaient de transposer l'univers et l'esthétique de films d'action orientaux pour en faire des films joués par des Américains et pour des Américains ? Et par la même occasion les acteurs qui jouent à ce qu'ils ne sont pas ? Dans ce cas, s'il est un énergumène qui ne manque pas d'humour, c'est bien Quentin Tarantino, dont l'apparition constitue certainement la surprise la plus réjouissante de Sukiyaki Western Django. Un Tarantino qui se qualifie lui-même d'anime otaku. Nous ne vous révèlerons pas la teneur véritable de son rôle, si ce n'est qu'il fait preuve d'une réelle autodérision en acceptant de se prêter au jeu, celui de prendre, le temps d'une scène, ouvertement pour cible son propre film.
Takashi Miike réussit donc son pari de mettre en place un univers gentiment barré. Pourtant, le concept a ses limites. Avec ses costumes de western, ses décors de westerns et ses flingues de western, Sukiyaki Western Django n'est en fin de compte rien d'autre qu'un film de Takashi Miike comme un autre. Rien de plus. Et en dépit de ses qualités, il ne s'agit malheureusement pas d'un Miike à placer dans le haut du panier. Outre ses partis pris graphiques plus ou moins convaincants, à force de se refuser à assumer le genre dont il empreinte les codes sans jamais aller assez loin dans le délire, le film laisse constamment un arrière goût d'insatisfaction. D'autant que le réalisateur de Dead or Alive nous ressert paresseusement les figures phares de son cinéma (viols, tranchage de tête, etc.) et se complaît dans un esprit très private joke s'adressant uniquement aux fans. Pour couronner le tout, le film n'évite pas un travers qui a souvent été reproché au cinéma de son auteur : les temps morts. Si les récents Big Bang Love Juvenile A et Crows Zero semblaient annoncer une prise de conscience de ce côté-là, Sukiyaki Western Django vient rectifier le tir. Comme pour confirmer que Takashi Miike reste et restera toujours un réalisateur très occupé, qui n'a pas le temps de fignoler tous ses montages puisqu'il gère dix mille projets cinématographiques et télévisuels à la fois.
En résumé, Sukiyaki Western Django intéresse et force la sympathie par ses partis osés mais ne possède pas l'énergie et le jusqu'auboutisme que l'on attendait, ce qui en fait un Miike étrangement anecdotique.