Barry Purves : Animateur de génie
Le 31/12/2008 à 11:26Par Yann Rutledge
Son génie éclate particulièrement dans son adaptation de l'opéra Rigoletto de Verdi, où l'on suit le bouffon du Duc de Milan dans sa vengeance après l'enlèvement de sa fille, et ce malgré tout ses efforts pour la tenir à l'écart de la débauche de la cour décadente. A l'aspect statique inhérent à l'Opéra (il est en effet difficile aux chanteurs d'être extrêmement mobiles tout en chantant), Purves associe un dynamisme cinématographique hors du commun qui ferait pâlir Peter Jackson. Le cinéaste use habilement d'une caméra d'un incroyable dynamisme qui reste toujours au plus près de ses personnages et qui à coup de travellings virevoltants - et c'est là que s'inscrit le génie du cinéaste - transpose à l'écran les déchirements des personnages. Rigoletto est une oeuvre monumentale, de par sa durée (une trentaine de minutes tout de même qui nécessitèrent neuf mois de tournage) et les moyens mis en oeuvre à l'élaboration des décors et des costumes, mais aussi par ses thèmes d'une insondable noirceur, unique occasion au cours de laquelle le cinéaste s'est aventuré si loin dans la folie humaine. Barry Purves offre là sans doute la plus flamboyante et efficace introduction à l'Opéra qu'il soit possible d'offrir à ses réfractaires les plus récalcitrants.
Avant d'arriver à cette incontestable réussite, Purves s'était déjà fait la main sur deux court-métrages tout aussi inventifs. Après avoir mis ses talents au service de la télévision pour enfants pendant de longues années, l'animateur se lance en 1989 dans la confection de son premier film personnel, qu'il écrit, réalise et anime lui-même. Next part d'un postulat des plus simplistes en mettant en scène William Shakespeare, seul sur une scène vide, passant une audition, et offre cinq minutes portées par un rythme effréné et au cours desquelles il passe en revue l'intégralité de l'oeuvre du dramaturge britannique par le biais d'association d'objets que ce dernier sort de nulle part, dans l'espoir de capter l'attention du jury qui semble l'ignorer. Au plaisir enfantin de la prestidigitation s'ajoute celui, plus adulte, de la référence culturelle, et ce (fait suffisamment rare pour être souligné) sans aucune prétention intellectuelle. De même, l'absence de dialogue pousse le cinéaste à travailler avec une extrême méticulosité les expressions corporelles de son Shakespeare, une véritable chorégraphie où chaque geste est finement pensé. Une petite pépite d'inventivité qui lui permet de passer à la vitesse supérieure avec un court-métrage tout aussi fascinant intitulé Screen Play (1992).
L'animateur y assimile avec une aisance déconcertante les conventions du Kabuki (théâtre japonais traditionnel) en faisant intervenir un vieil homme se remémorrant sa jeunesse passionnée et tragique avec une jeune et belle femme. Non seulement Barry Purves reprend les costumes, les masques et le décors minimalistes du Kabuki, mais il reprend aussi à son compte le mawari butai, cet astucieux plateau tournant disposé au milieu de la scène qui permet par une simple rotation de passer rapidement d'un décor à un autre, et les kurogos, ces assistants vêtus de noir de la tête aux pied et qui aident les comédiens à se changer ou à se mouvoir sur scène. Fidèle à l'art théâtral japonais dans sa première partie (Barry Purves est même allé jusqu'à se lancer dans le projet fou de ne tourner celle-ci qu'en un seul et unique plan : il suffit d'une simple erreur et il faut quasiment tout refaire !), Screen Play change du tout au tout dans la seconde, beaucoup plus cinématographique dans son approche. Le chaos qui surgit subitement chamboule tout, y compris la mise en scène. Découpage ultra-rythmé, travelling, cadrage oblique, jeu sur la profondeur de champ, Barry Purves souhaite que le spectateur subisse le terrible et dramatique dénouement. Véritable tour de force cinématographique, Screen Play confirme le talent de narration du cinéaste auprès de quelques financiers et publicitaires. Les premiers lui permettront de réaliser le dantesque Rigoletto, les seconds lui feront une commande pour une réclame de produits d'entretien de toilettes du type Canard WC (celle-ci reprendra d'ailleurs le même cadre du théâtre Kabuki de Screen Play).
Des films que le cinéaste britannique réalisera après Rigoletto, à savoir Achilles, Gilbert & Sullivan : The Very Models et Hamilton Mattress, on retiendra surtout le thématiquement audacieux Achilles. Sans être honteux, Gilbert & Sullivan poursuit la thématique de Purves (lier le cinéma d'animation avec l'Opéra ; au croisement de Next et de Rigoletto, il condense ici en une quinzaine de minutes une multitude d'allusions aux pièces du duo) mais cette fois-ci sans grande envolée cinématographique ou prouesse technique, et l'anecdotique Hamilton Mattress n'est qu'une simple commande à laquelle l'animateur n'a pas pu imposer sa patte.
Barry Purves l'avoue, Achilles est le film dont il est le plus fier, sans doute parce qu'il est plus adulte que les autres, thématiquement tout d'abord (l'homosexualité y étant ouvertement abordée) mais aussi visuellement, la mise en scène de Purves jouant énormément sur la lumière crépusculaire et les zones d'ombre pour mettre en valeur les corps et faire ressortir la tension sexuelle entre Achilles et son amant Patrocle. Après un Rigoletto très cinématographique aux énormes décors et aux marionnettes complexes (de par ses costumes, perruques, etc.), Barry Purves désirait réaliser un film avec lequel il pourrait se concentrer uniquement sur l'animation, et surtout pousser aussi loin que possible l'interaction entre deux marionnettes, chose qu'il n'avait pas vraiment travaillée avant Achilles. Du jamais vu. Purves ira même jusqu'à mettre en scène "explicitement" (il n'y a pas non plus besoin de gros plans chirurgicaux pour être explicite) leurs ébats sexuels.
Tristement, depuis 2001 et Hamilton Mattress, Barry Purves se fait très discret. Gageons que le DVD édité par Potemkine (Barry Purves : His Intimate Lives) le fera sortir du creux de la vague et le remette en selle pour un vrai projet personnel. Et pourquoi pas un long métrage ?