Kaboom : Interview de Gregg Araki
Le 07/10/2010 à 17:51Par Elodie Leroy
L'année 2010 est l'année Gregg Araki ! Dans les salles depuis mercredi, Kaboom marque le retour du cinéaste vers le teen movie déjanté, dans l'esprit des films cultes que sont The Doom Generation et Nowhere. Outre un accueil critique très chaleureux, Kaboom s'est vu accorder l'honneur d'une séance spéciale à Cannes avant d'être l'occasion quelques mois plus tard, à Deauville, d'une rétrospective consacrée aux films du cinéaste.
Nous avons eu la chance de rencontrer Gregg Araki sur les planches normandes. Il nous parle de Kaboom, de ses films précédents, du sexe dans son cinéma, de l'Amérique d'aujourd'hui et de quelques uns de ses collaborateurs.
Filmsactu.com : Il y a quelques mois, Kaboom était projeté en séance spéciale à Cannes, et à présent, c'est le Festival de Deauville qui vous rend hommage. Que ressentez-vous ?
Gregg Araki : Je suis très honoré, très enthousiaste. Je vis des moments exceptionnels avec Kaboom ! Nous avons rencontré un accueil fantastique à Cannes et rien que d'avoir mon film projeté ce soir-là au Palais du Festival, c'était déjà une expérience incroyable en soi. Nous avons eu une standing ovation très longue à la séance de minuit. C'est l'une des expériences les plus hallucinantes de toute ma carrière. Ensuite, je me retrouve ici (à Deauville, ndlr) pour une rétrospective... C'est une année incroyable !
Vous faites preuve d'une grande liberté artistique dans vos films. Rencontrez-vous toujours des difficultés pour monter vos projets ?
Trouver des financements pour un film comme Kaboom est un véritable défi. Ce genre de films ne se fait plus très souvent de nos jours. Le marché des films indépendants se réduit de plus en plus et les gens sont très hésitants, très conservateurs dès lors qu'il s'agit de prendre un risque et d'investir dans un film fou et libre sur le plan créatif comme Kaboom. Nous avons vraiment eu de la chance de travailler avec Why Not Productions et Wild Bunch. Les choses n'auraient pas pu mieux tourner en termes de liberté artistique.
Vous avez toujours été vu comme un réalisateur underground. Aujourd'hui, les choses ont-elles changé ?
Rien n'a changé pour moi. Je me suis toujours investi dans mes projets parce qu'ils me passionnaient. Mes films sont toujours venus de moi et jamais d'une commande ou d'un besoin de me faire de l'argent. Pour moi, il s'agit toujours de me concentrer sur un projet et d'en faire le meilleur film possible, de prendre les risques créatifs que j'ai envie de prendre à ce moment-là. Pour ce film, j'avais envie de faire quelque chose de presque naïf, avec une sorte d'innocence sur le plan artistique. Je voulais que Kaboom soit doué d'une vie propre, qu'il devienne aussi délirant que possible. Vous y trouvez de la sorcellerie, une histoire de secte et de conspiration... Je voulais que le film soit fun, excitant et qu'on l'accepte tel qu'il est. Je ne voulais pas m'autocensurer en me disant que tel aspect serait trop bizarre, trop risqué. Je voulais qu'il prenne son envol. C'est l'un des meilleurs moments quand on fait un film.
Il y a beaucoup de points communs entre Kaboom et Nowhere. Comment pensez-vous avoir évolué entre les deux films ?
C'est intéressant qu'il y ait une rétrospective parce que j'ai dû revoir certains de mes premiers films pour vérifier les copies et tout le reste, et j'ai constaté que j'avais vraiment évolué en tant que réalisateur et en tant qu'individu. J'adore tous mes films comme mes enfants, même s'ils ont des tas de défauts, mais quand je regarde les premiers, je me dis que j'ai beaucoup plus confiance en moi aujourd'hui que quand j'étais plus jeune. Je n'aurais pas pu faire Kaboom il y a dix ans parce que je n'étais pas dans le même état d'esprit. De même, je ne pense pas que je pourrais faire The Doom Generation ou Nowhere aujourd'hui. Mais Kaboom est tout de même étroitement lié à ces films. C'est en quelque sorte une version plus mature, comme si je regardais en arrière vers ce monde de l'adolescence, avec tout ce sexe, cette folie et cette confusion. Je pense que le point de vue qu'il y a dans Kaboom provient d'une plus grande expérience de la vie.
La plupart des personnages sont bisexuels, ce qui est peut-être encore plus tabou que l'homosexualité...
C'est marrant parce que, je ne sais pas ce qu'il en est ici mais aux Etats-Unis, ce tabou ne me semble plus du tout aussi prononcé chez les jeunes qu'il ne l'était il y a quelques années. De manière étrange, j'ai l'impression que Nowhere était précurseur de son temps. On y trouvait aussi cette sexualité très libre, avec des personnages qui ne sont ni vraiment homo ni vraiment hétéro, sans qu'on puisse les qualifier de bisexuels. Ils expérimentent juste le plus de choses possibles. Aujourd'hui, j'ai l'impression que la jeunesse a de moins en moins envie de se brider sexuellement et qu'elle tend à multiplier les expériences sans que cela pose un problème comme il y a dix ou quinze ans. Avant, les jeunes se tourmentaient en se demandant s'ils étaient gay ou non. Aujourd'hui, tout cela fait partie de l'expérience humaine. Je n'irai pas jusqu'à dire que cet aspect de The Doom Generation ou Nowhere s'est banalisé au point d'être ancré dans les mœurs, mais il tient une place plus importante qu'auparavant. L'idée est que la sexualité n'entre plus autant dans des cases. Kaboom fait partie de ce monde.
Avez-vous déjà rencontré des réactions conservatrices à cet égard au cours de votre carrière ?
Je ne me suis jamais retrouvé confronté à des réactions hostiles. Au contraire, j'ai rencontré des jeunes qui sont venus me dire que The Doom Generation avait changé leur vie, qu'ils l'avaient vu des centaines de fois, etc. En tant que réalisateur, c'est le plus gros compliment qu'on puisse vous faire. J'ai d'ailleurs fait Kaboom spécifiquement pour ce public-là. Je l'ai conçu comme un cadeau à ceux qui partagent cet esprit, je voulais que ce film signifie quelque chose pour eux. Pour ce genre de fans, je voulais que Thomas (Dekker, ndlr) devienne une sorte de héros, un personnage qui leur parle directement. Parce que vous savez, ce genre de films n'existe plus vraiment à l'heure actuelle.
Justement, à propos de The Doom Generation, il y a beaucoup d'éléments de comédie dans le film mais la fin est apocalyptique. Avez-vous conscience d'avoir traumatisé un tas de mecs avec cette fin ?
(rires) On m'a déjà dit ça, effectivement ! C'est amusant parce que je ne sais pas vraiment d'où vient ce genre de scène. Ça sort comme ça, quand j'écris l'histoire, les personnages et les situations. C'est un peu comme la fin de Kaboom, c'est sorti de moi sans prévenir. J'avais le pressentiment pendant l'écriture que quelque chose de mauvais allait se produire, et c'est ce qui s'est passé, que ce soit dans The Doom Generation ou dans Kaboom...
Si je me souviens bien, pendant la scène de castration dans The Doom Generation, on entend l'hymne américain...
C'est le genre de chansons que mettraient les fanatiques religieux de ce genre. Ça donne un côté bizarre et très américain à la scène. C'est dérangeant. Tristement, même dans l'Amérique d'aujourd'hui, il y a un lien entre ce type de violence et ces patriotes tordus, qui partent en guerre contre l'immigration, ce genre d'américanistes pathologiques. J'adore l'Amérique et je m'y plais beaucoup, mais transformer son amour pour son pays en quelque chose d'aussi haineux est vraiment triste. Et malheureusement, c'est ce que beaucoup d'Américains sont encore aujourd'hui.
Dans Mysterious Skin, vous avez adapté l'œuvre de quelqu'un d'autre. Pourquoi avoir choisi cette œuvre ?
C'est un livre qui m'a été envoyé et qui m'a beaucoup touché. L'histoire est très puissante et c'est pourquoi j'ai voulu l'adapter. Je suis très fier de ce film, mais j'ai mis beaucoup de temps à monter le projet. C'était tellement difficile que pendant plusieurs années, j'ai failli renoncer. Finalement, quand j'ai trouvé comment faire jouer les acteurs enfants, je me suis lancé.
Pouvez-vous dire quelques mots sur James Duval, que l'on voit dans beaucoup de vos films, y compris dans Kaboom, d'ailleurs ?
Oui, Jimmy est un très bon ami à moi. Je l'ai rencontré sur Totally Fucked Up en 1993-1994. Donc ça fait vraiment longtemps qu'on se connaît. On a travaillé toutes ces années sur de nombreux films et il était vraiment amusant de se retrouver sur celui-ci et de le mettre dans un genre de personnage très différent de ce qu'il avait fait jusqu'à présent. Ce que j'adore, c'est que certains ne l'ont même pas reconnu et étaient effarés d'apprendre que c'était lui ! Lui aussi s'est beaucoup amusé à jouer ce personnage. (rires)
Propos recueillis par Elodie Leroy
Interview réalisée le 4 septembre 2010 au Festival du Cinéma Américain de Deauville