La Première étoile : interview de Lucien Jean-Baptiste
Le 24/03/2009 à 18:02Par Michèle Bori
On le connaissait comédien (De l'amour, La mentale, L'Outremangeur, L'ex femme de ma vie, les Irréductibles, 13 m2 ...), doubleur (il a notamment prêté sa voix à Will Smith, Martin Lawrence ou encore Don Cheadle), Lucien Jean-Baptiste enfile aujourd'hui la casquette de réalisateur pour nous offrir La première étoile, comédie singulière et très réussie, deux fois récompensée au dernier festival de l'Alpe d'Huez et qui sortira au cinéma le 25 Mars 2009.
Depuis quand portez-vous ce projet ?
En fait, j'ai le sentiment que je porte La première étoile en moi depuis toujours. Je veux faire ce film depuis que j'ai ce souvenir d'enfance, donc en fait depuis que j'ai moi-même vécu cette "aventure". Il y a une dizaine d'année, j'avais parlé de l'idée à une réalisatrice (Sarah Levy). Mais à l'époque, je ne me sentais pas prêt. Alors j'ai gardé ça dans un coin de ma tête, en prenant quelques notes de temps en temps, en notant les idées qui me venaient. Puis, il y a 4-5 ans, j'ai pu en discuter avec Marie-Castille Mention-Scharr (productrice du film) qui m'a dit "On tient un film là, il faut y aller." Vendredi Film m'a donc pris en main, et tout s'est enchainé puisqu'on a très vite commencé l'écriture. Au départ, j'imaginais quelque chose de très proche de ce que j'avais personnellement vécu. Le film devait se passer dans les années 80, c'était la mère qui devait amener les enfants... on a tout changé ! Le père est maintenant au cœur de l'histoire et le personnage féminin central se retrouve sous les traits de bonne maman (Firmine Richard).
Comment s'est déroulée la phase d'écriture ?
Elle s'est étalée sur 6 ou 7 mois, en 2006. On a fait ça progressivement, sans trop se presser. On se voyait le week-end avec ma production pour en parler. En fait, il s'agissait surtout de réussir à trouver une trame forte, puisque les personnages et les souvenirs étaient déjà présents dans mon esprit. Ensuite, on a commencé à organiser des repérages et ces derniers ont aussi une leur influence sur le scénario, puisque lorsque nous trouvions des lieux qui nous plaisaient, nous rajoutions des scènes. Et puis parallèlement à ça, la prod' commençait à chercher des financements. Au final, tout s'est fait assez vite. A partir du moment où on s'est dit "Go", il n'y a pas eu d'arrêt.
Aviez-vous une appréhension particulière à l'idée d'être réalisateur et comédien principal du film ?
Oui. Plus que cela j'avais du doute. Tout le temps ! Mais j'ai eu une super équipe qui m'a encadrée et qui a été très volontaire sur ce projet. Au début, je leur ai dit : "Ecoutez, sur les autres films, vous êtes à 100%. Moi il me manque 50%, donc il va falloir que vous soyez à 150% pour combler et pour que le film se fasse !". Et ils ont assurés, même si pour le doute qui m'habitait, ils ne pouvaient pas faire grand chose.
Votre plus grosse crainte en attaquant le tournage ?
Tout ce qui concernait la technique en fait. Les focales et tout ça, je n'y connaissais rien. C'est pour ça que voulais tourner ce film très simplement. Mais vous savez, les craintes n'arrivent pas le premier jour de tournage. Chaque étape qui précède apporte son lot d'interrogations de choses à régler. Faire un film, c'est passer son temps à régler des problèmes.
Votre film a reçu deux prix à l'Alpe d'Huez ...
C'était extraordinaire. Pour être franc, je partais en vacance moi à l'Alpe d'Huez. Je me suis dit que c'était déjà bien que le film soit sélectionné, et donc j'ai été là-bas avec deux copains. Et puis là, première projection à 16h, 200 personnes qui se lèvent à la fin, le jury debout ... je me dis "c'est quoi ce délire ?". J'avais fait une projo équipe et il y avait déjà eu quelques séances pour la presse, mais c'était la première fois que le film était présenté au public. Le buzz commence à monter dans la station, les gens parlent du film, le jury me dit qu'il y a des chances pour que le film soit récompensé. Et là, le dernier jour, 19h, boum, prix du public comme Bienvenue chez les Ch'tis, boum, prix du jury comme Juno l'année dernière. Et ça a été très important, non pas pour mon égo, mais pour le film, car du coup, il a eu une grosse médiatisation. Je ne suis pas Gérard Depardieu, moi peu de monde me connait. Mais grâce à ces prix, le film a été mis sur le devant de la scène.
Que pensez-vous de la polémique de Luc Besson sur les exploitants de banlieue qui refusent de diffuser des films étiquetés ? D'ailleurs, qu'en est-il pour la Première étoile ?
Pour la Première étoile, c'est bon, il devrait être distribué dans les salles de banlieue, car il n'a pas cette étiquette justement. Je comprends son problème et je comprends aussi celui des exploitants. Les mecs passent un film sur la banlieue et ensuite ils se retrouvent avec les fauteuils défoncés ! Chacun voit midi à sa porte... Luc Besson pense business - parce qu'on ne peut pas dire que ses films soient d'une grand portée culturelle - tout comme les exploitants Mais de mon point de vue, je pense surtout que les jeunes devraient comprendre que lorsqu'ils vont au cinéma, ce n'est pas pour casser des sièges ou foutre le bordel. Le problème est donc bien en amont de la salle de cinéma, il y a un vrai effort d'éducation à faire, pour que ces jeunes comprennent que si ils continuent comme ça, ils n'auront plus de cinéma à proximité de chez eux. Mais en même temps je les comprends un peu. On a de drôles de reflexes quand on grandit en banlieue. Moi aussi je les ai eu ces reflexes : arriver dans une salle, déconner, parler fort pour que tout le monde entende ... Il y a de la souffrance chez ces ados, alors ils font ce qu'ils peuvent pour montrer qu'ils existent.
Question directe : avez-vous fait face à des financiers qui ne voulaient pas investir dans un film au casting "black" ?
Il y a toujours ce genre de réticences, que l'on soit blanc ou noir. A titre personnel, j'ai toujours été protégé par ma productrice qui se serait bien gardé de me mettre au courant si on lui avait dit "on ne veut pas faire ce film parce qu'il y a des noirs" ! Pour qu'un film marche il faut une action volontaire. Je peux amener le plus beau des projets sur la table, si en face j'ai des gens qui ne veulent pas faire avancer le schmilblick, ça ne peut pas marcher. Hors, j'étais avec des producteurs qui voulaient faire avancer les choses, par rapport aux noirs, au cinéma ... Ils ont été très courageux, car ils savaient très bien que ça allait être compliqué de monter le film d'un comédien/réalisateur/scénariste noir et quasi-inconnu. Mais ils y sont allés, et ils ont réussis !
Pensez-vous que votre film, en cas de succès, puissent faire avancer les choses ?
Difficile à dire. Si le film marche, des producteurs se diront "Tiens, mais en fait, ca marche aussi les films avec des inconnus !", et il y en aura peut-être d'autres. Moi je n'ai pas de discours communautariste. Je n'ai pas fait La première étoile en me disant que j'étais noir et tout ça. J'ai juste fait un film. On me dit parfois que je suis un réalisateur noir. Fuck ! Je suis réalisateur point. C'est quoi cette case ? Vous savez, moi j'ai un rêve. C'est que je passe une journée dans ma vie sans qu'on me parle de ma couleur. Ca ne m'est jamais arrivé. Le matin je me lève en me disant que cette journée sera la bonne ... trop tard, j'y ai pensé. Moi j'espère que le film va marcher, pour 1000 raisons. Et j'espère que s'il marche, il fera avancer les choses.