Le tribunal des flagrants délires : Interview de Claude Villers
Le 24/11/2009 à 20:15Par Michèle Bori
Claude Villers, Claude Marx de son vrai nom, est un écrivain, journaliste, producteur et animateur de radio français né le 22 juillet 1944 à Everly. Après avoir fait mille métiers, employé de banque et catcheur de foire en particulier, il obtient sa carte de journaliste à 18 ans et devient alors le plus jeune journaliste de France. Il fait ses débuts en 1961 dans la presse écrite notamment à Paris-Jour, Radio-Télé Magazine, La Presse, Plexus. Il commence à travailler à la radio en 1962, avant d'arriver à l'ORTF en 1964, où il a participé à la création du Pop-Club avec José Artur, émission qui a amené le rock à l'antenne. Il a également été correspondant à New York et a produit de nombreuses émissions. Il a couvert le festival de Woodstock, malgré l'opposition de sa hiérarchie. Entre 1972 et 1989, il produit et présente des émissions, réalise des documentaires et des films pour de grandes chaînes de télévision. Il est une des grandes voix de la radio France Inter, qu'il fait entendre comme animateur d'émissions telles que Pas de panique, Marche ou rêve et dans son rôle du président du Tribunal des flagrants délires. A la retraite depuis 2004, il a accepté de répondre à quelques questions concernant le fameux Tribunal , à l'honneur dans un DVD qui sort aujourd'hui chez Studio Canal Vidéo.
Quelle a été votre réaction lorsque vous avez su qu'il y allait avoir un DVD sur le Tribunal ?
Lorsque la personne chargée des archives de Radio France m'a dit que le Tribunal allait bientôt fêter ses 30 ans et que cela serait sympa de faire quelque chose, j'ai pris un coup de vieux ! Dans ma tête, cela ne faisait pas 30 ans, c'était hier ! Nous avons organisé un repas pas loin de la maison de la Radio avec mon éditeur (chez Denoel) et Christian de Ronseray, qui allait superviser le DVD. C'est là que nous nous sommes mis d'accord pour faire quelque chose à partir des mes souvenirs (ndlr : le livre) et les bandes magnétiques qui avaient été tournées à l'époque (ndlr : le DVD).
Aviez-vous revu les images du DVD depuis qu'elles avaient été tournées ?
Non ! Je ne les avais pas chez moi, car je ne suis pas quelqu'un qui conserve les choses ... et aussi parce que pour moi, c'était un peu de l'histoire ancienne. Mais ca m'a fait très bizarre de les revoir. Vous vous rendez compte ? A l'époque j'avais 35 ans, j'étais un jeune homme, j'avais des cheveux et j'étais un peu plus gros !
Pouvez-vous nous parler des ces trois émissions filmées ?
Il faut bien différencier les deux émissions filmées par Claude Berri (Le Pen, et Poivre d'Arvor) et celle filmée à la SFP par Antenne 2 (Carmet). Pour les premières, c'était après le tournage de Tchao Pantin il me semble. Berri était venu nous voir à l'époque parce qu'il avait en tête un scénario pour Coluche, dans lequel ce dernier aurait joué un justiciable ayant des problèmes avec le barreau. Il voulait d'une part que Luis (Régo), Pierre (Desproges) et moi-même écrivions le scénario et d'autre part qu'il puisse venir filmer quelques émissions pour se donner une idée de ce que cela pouvait être de tourner dans un tribunal. Il a donc payé de sa poche un car vidéo et une équipe technique et il a fait appel au réalisateur Michel Erman pour venir filmer ces deux émissions. Et puis vous connaissez la suite, Coluche n'a pas pu faire le film pour pleins de raisons...
Et l'émission pilote pour la télévision ?
Figurez-vous que l'émission télé du Tribunal des flagrants délires était programmée ! Un samedi soir même, à une heure de grande écoute. Mais, elle a été interdite. C'est la seule émission du Tribunal qui a été interdite ! Nous n'avons jamais eu de censure à la radio et là, à cause d'un petit directeur - décédé depuis, paix à son âme - cette émission n'a jamais été diffusée. La raison qui nous a été donnée de manière officielle à l'époque était qu'à un moment, Desproges avait dit le mot "quéquette" et qu'à cause de ça, nous ne pouvions passer à la télé en prime-time. La version officieuse était la présence dans l'émission de l'écrivain George Conchon (1925-1990) qui faisait un portrait de Mitterrand et de Giscard à la veille des élections présidentielles. Il parlait notamment de l'attentat de l'Observatoire (ndlr : un attentat contre François Mitterrand en 1959), un épisode de notre histoire particulièrement ridicule. Et donc, pour passer l'émission, il fallait couper ça. J'ai donc refusé de signer le PAD.
Donc, vous pensez que l'émission n'aurait pas pu perdurer à la télévision.
Vous savez, c'est assez étrange. Le directeur qui avait "interdit" l'émission est subitement devenu socialiste après Mai 81. On aurait pu travailler ensemble, mais je n'en avais pas envie. Ensuite, je pense que le format de l'émission était trop long pour la télé. Enfin, et c'est une opinion personnelle, je pense qu'à la télévision, on "entend" les choses. A la radio, on les "écoute". Le tribunal avait besoin d'être écouté pour être vraiment efficace et je n'avais pas envie de faire de la simple radio filmée. Donc, je ne pense pas que cette émission de télévision aurait bien marché. Et puis je me sentais plus libre à la radio.
Justement, sur cette radio d'Etat qu'est France Inter, aviez-vous toutes les libertés ?
Oui. Vous savez, j'ai 65 ans. Je suis rentré à France Inter en 1964 et j'en suis parti en 2004. J'ai connu De Gaulle, Pompidou, Giscard, Mitterrand et Chirac. Sous aucun de ces gouvernements je n'ai senti quelconques pressions de la part des politiques en place. Cela dépend aussi beaucoup des directeurs. Si un directeur croit en vous et vous défend, vous pourrez faire votre travail comme vous l'entendez. Moi, j'ai eu cette chance. On me demande souvent s'il serait possible aujourd'hui de refaire le Tribunal, avec la même liberté de ton. Je pense que tout est possible, du moment que quelqu'un ose... et du moment qu'il est épaulé par son directeur !
Comment expliquez-vous que le Tribunal ait encore cette aura auprès des auditeurs ?
Je pense que la nostalgie joue beaucoup. Ensuite il faut dire qu'on a eu la chance de ne faire que deux saisons de neuf mois. C'est court et donc le public n'a pas eu le temps de se lasser. Enfin, je crois aussi que l'on apportait vraiment quelque chose de nouveau à l'époque et donc on a un peu marqué les esprits. Il n'y avait pas les Guignols encore !
En tant qu'animateur de l'émission, comment vous situiez-vous par rapport à Desproges et Régo ? Etiez-vous "partie-prenante" ?
Un peu oui. Je ne pense pas que le travail d'un animateur, même si je n'aime pas ce mot, soit de faire la promotion d'un invité. Il doit le chatouiller "là où ça fait rire". C'est pour ça que j'avais endossé la robe d'un magistrat : je voulais vraiment avoir ce rôle de celui qui allait un peu pointer du doigt les invités. C'est ce qu'il y a de plus intéressant vous ne trouvez pas ? Je trouve qu'aujourd'hui, surtout à la télévision, les présentateurs oublient un peu trop de poser les questions qui dérangent et se contentent d'interview toutes faites.
Est-ce une coïncidence que l'une des émissions filmées soit devenue une des plus connues, si ce n'est la plus connue ?
C'est assez compliqué en fait. Lorsque Desproges est mort, sa femme, qui avait encore des enfants à charge, nous a demandé à Monique Debarba et moi si elle pouvait récupérer les enregistrements des textes de Pierre pour en faire des CD. Nous avons bien entendu accepté. Ensuite, elle a aussi commencé à diffuser les émissions filmées par Berri, en particulier le texte de son mari sur Le Pen. On l'a alors vu partout ! Berri et moi avons donc été obligé d'envoyer une lettre pour demander l'arrêt de la multidiffusion de ce passage, qui à notre sens devenait un peu trop systématique.
Au moment où Desproges sort cette phrase, "on peut rire de tout mais pas avec tout le monde", soupçonnez-vous qu'elle va devenir culte ?
(rires) Non ... déjà, je ne sais pas ce que signifie "culte". J'ai vu ça sur la jaquette du DVD aussi, pour moi ça n'a pas vraiment de sens. Vous savez, lorsqu'on fait une quotidienne pendant deux ans, on voit passer un nombre incalculable d'invité et on entend un grand nombre de choses. Difficile donc de faire le tri, surtout sur le moment. Ensuite, avec le recul, forcément ...
Est-ce dur d'être obligé de fouiller dans sa mémoire pour parler de ça ?
Très ! Ca a été très dur d'écrire un livre sur le Tribunal. De tous les livres que j'ai écrit c'est sans doute un des plus compliqué, car j'étais obligé de me souvenir de ce genre de détails qui remontent à trois décennies. Mon éditeur m'a dit "Pourquoi ne pas avoir pris de notes ?" Mais pour moi, c'était une émission comme une autre. Je ne pouvais pas me douter que 30 ans après, on me demanderait d'en reparler.
Parlez-nous un peu du rapport qu'il existait entre Desproges et Régo.
Forcément, ils se tiraient la bourre ! Ce sont des comédiens, ils ont chacun leur égo. (rires) Le problème que j'avais, c'était que Pierre passait systématiquement avant Luis. Du coup, Pierre me disait souvent "C'est Luis qui finit l'émission en vedette !", tandis que Luis me disait "Je suis obligé de faire aussi bien que Pierre." Il y avait donc une émulation entre les deux. Mais je les avais engagés car je pensais qu'ils formaient un bon duo.
Un petit mot sur Desproges, qui est devenu une icone de l'humour.
C'est compliqué pour moi de parler de ça. C'est compliqué de parler des "trompettes de la renommée" comme chantait Brassens. Vous savez, on dit souvent "il est plus grand mort que vivant." Un jeune homme qui part avant les autres et souvent érigé au rang d'icone. Regardez James Dean, qui est devenu une star après sa mort alors qu'à la même époque, il y avait Gregory Peck. Je pense que si c'était Régo qui était mort en premier, ce serait lui aujourd'hui la star. Et ça m'est très dur de parler d'eux en ces termes. J'ai travaillé avec eux, je les ai toujours considéré comme de grands professionnels ... pas des stars. D'ailleurs, eux-mêmes et Desproges le premier, ne se considéraient pas du tout comme des stars.
Qu'est ce qui vous fait rire aujourd'hui à la radio ou la télé ?
Stéphane Guillon, Anne Roumanoff et d'autres que vous ne connaissez surement pas. Et puis certains discours politiques aussi ! Vous connaissez la phrase d'Audiard "Les cons c'est capable de tout, c'est d'ailleurs à ça qu'on les reconnait". En quelques semaines, on a eu beaucoup d'exemples : Woody Woodpecker sur le mur de Berlin (ndlr : allusion à Nicolas Sarkozy) ou encore le droit de réserve pour les écrivains (ndlr : allusion aux attaques d'Eric Raoult envers Marie N'Diaye), ce genre de choses. Parfois, je me dis que j'aimerai bien être à l'antenne pour commenter ces bêtises. Je les garde pour moi et je fais rire mes copains. Se moquer des cons, c'est quand même une joie !
Justement, Luis Régo m'a dit qu'à l'époque vous ne tapiez pas sur les cibles faciles. Vous trouvez que c'est le cas aujourd'hui ?
Même si je ne prétends pas détenir la vérité, j'ai toujours préféré me moquer du ministre qui fait les lois que du gendarme qui les applique. C'est vrai que de nos jours, il y a une forme de retenue envers certains sujets touchants aux hauts-placés et on préfère donc taper sur des peoples. C'est plus simple, c'est moins dangereux ... et c'est peut-être aussi quelque part ce que les gens veulent. Mais je trouve ça moins percutant. L'humour doit venir chatouiller les gens. Je me souviens d'ailleurs, bien avant le Tribunal, qu'un directeur de programme m'avait dit "vous ne pouvez pas faire de l'humour sans être méchant ?" Je ne le pense pas. L'humour se fait toujours au détriment de quelqu'un. Taper sur Toto ou sur les belles-mères, c'est très facile et effectivement, ca ne chagrine personne. Je préfère l'humour qui tape haut.
Si l'émission existait encore, qui aimeriez-vous avoir dans le fauteuil de l'accusé ?
Le choix est illimité ! Comme il l'était à l'époque d'ailleurs. Mais je ne sais pas s'ils accepteraient de venir, car le Tribunal n'était pas émission de promotion. Aujourd'hui, on voit beaucoup d'invités quitter des plateaux lorsqu'ils ne sont pas satisfaits de l'accueil qui leur est réservé. C'était une crainte que j'avais à l'époque, mais fort heureusement, jamais un invité ne s'en est allé durant l'émission. Personne n'aurait pu le retenir, vu que même si nous tournions dans un tribunal, il n'y avait pas de gendarmes ! Enfin si, il y avait le Brigadier Rabol, qui accompagnait les accusés au piano et pas au violon comme c'est d'habitude le cas ! (rires)
Dernière question : entant qu'ancien magistrat à la retraite, que pensez-vous du projet de loi visant à supprimer le poste de juge d'instruction ?
(rires) Attention, je ne voudrais pas faire d'usurpation de fonction ! En tant que citoyen, je pense que la suppression de ce poste normalement inamovible et indépendant est fortement dommageable. Un juge du siège n'est pas soumis à un contrôle hiérarchique, contrairement aux procureurs et à leurs substituts qui sont dépendants du Ministère de la Justice. On voit donc très bien les dérives que cela peut engendrer. Et on voit aussi clairement à qui la surpression de ce poste va profiter.
Propos recueillis et retranscrits par Pierre Delorme