22 Miles : Peter Berg en interview. De Wes Craven, Friday Night Lights à Mark Wahlberg
Le 29/08/2018 à 14:41Par Olivier Portnoi
En juillet dernier après la présentation d'une vingtaine de minutes de 22 Miles, on a pu poser quelques questions à Peter Berg lors d'un Q&A en compagnie d'autres journalistes.
22 Miles est son quatrième film avec Mark Wahlberg. Le pitch : Un officier d’élite du renseignement américain tente d’exfiltrer un policier qui détient des informations compromettantes. Ils vont être traqués par une armée d’assassins tout au long des 22 miles les séparant de l’avion qui leur permettra de quitter le pays.
Le réalisateur de Friday Night Lights, The Kingdom, Traque à Boston ou encore Du sang et des larmes et Hancock nous a parlé de sa relation avec Mark Wahlberg, de son admiration pour Iko Uwais ("c'est la future grande star mondiale de l'action"), de ses films de référence, de son rapport à l'action musclée et aux militaires, de Lauren Cohan, de Wes Craven (il a été acteur dans Shocker) mais aussi de Friday Nights Lights et... de son admiration sans bornes pour un court-métrage de Claude Lelouche.
C’est votre 4e film d’affilée avec Mark Wahlberg. Comment décririez-vous votre relation ?
Peter Berg : Ce qui me pousse à faire autant de films avec Mark Wahlberg, c’est avant notre amitié forte. On est comme des frères. On peut se disputer, se battre sans que cela ait de vraies conséquences. Il a mon entière confiance, j’ai la sienne. On s’amuse à faire des films ensemble. Tant que l’on s’amusera, on continuera.
Les armes et l’armée sont une constante dans la plupart de vos films. Vous avez souvent dit être un patriote. C’est ce qui guide vos choix de films ?
Je dis souvent que j’aimerais réaliser une romance un jour. Dans le sud de la France. Entre une fille et un garçon qui boivent du vin, pleurent et s’embrassent. Mais cela finit toujours avec Mark Wahlberg et des mitraillettes (rires). Mon père était professeur dans l’armée. Il étudiait les guerres. Gamin, il me racontait les histoires des grandes batailles. J’ai toujours eu une admiration pour ces hommes et ces femmes qui n’hésitent pas à affronter le danger pour nous aider d’une manière ou d’une autre. Ce film traite d’une équipe spéciale montée par la CIA. Je suis attiré par la psychologie de la violence. Par ces gens qui choisissent une vie qui leur fera côtoyer la violence mais avec cette volonté d’aider les autres. C’est une fascination qui me fait toujours revenir vers ce genre de personnages. Mais un jour, je signerai un film d’amour (rires).
Vos trois précédents films étaient inspirés d’histoires vraies. 22 Miles est une pure fiction. Mais le style demeure réaliste et percutant. Le souci de crédibilité est important dans votre cinéma ?
J’ai tourné trois films sur des histoires réelles. Un sur l’attentat à Boston, un sur une plateforme pétrolière qui a explosé en pleine mer et l’autre sur les Navy Seals. Faire ces films est très stressant. Ce sont des histoires dans lesquelles des gens sont vraiment morts. On rencontre les familles, les enfants, les femmes de ceux qui ont péri. C’est dur. Cela pèse sur mon âme. Cette fois-ci, on a décidé de s'offrir du fun. C’est un divertissement d’action. Mais toujours avec une volonté de le rendre réel. L’organisation dont on parle existe réellement.
D’où vient cette envie de confronter Mark Wahlberg à la star de The Raid, Iko Uwais ?
Je suis un énorme fan de Iko depuis The Raid. Pour moi, Iko est le futur Bruce Lee. Je suis allé le rencontrer en Indonésie et il est tellement doué. C’est un super combattant mais aussi un excellent chorégraphe. Il a quasiment co-réalisé ses séquences d’action avec moi. Je pense vraiment qu’Iko va devenir la star d’action n°1 dans le monde ces prochaines années. Il aura eu Bruce Lee, Jet Li, Jackie Chan puis Iko. J'ai d'abord eu envie de faire ce film avec lui avant d'y entraîner Mark.
(Iko Uwais et Peter Berg sur le tournage. (c) instagram )
Quels sont les films d’action qui vous servent de référence ?
Piège de Cristal, French Connection de William Friedkin. Certainement aussi Terminator avec la manière dont James Cameron a construit ses scènes d’action. Ce sont les trois qui ont le plus d’influence sur moi. Pour 22 Miles, je dois aussi citer C’était un rendez-Vous de Claude Lelouche, un court-métrage filmé dans les rues de Paris. C’est une traversée de Paris en plan séquence à 5 heures du matin. Et tournée bien avant les CGI (le film date de 1976). On y a beaucoup pensé pour une nos courses-poursuites dans Bogota qui a été très complexe à gérer à cause de toutes les rues qui étaient connectées les unes aux autres. Il y avait 100 intersections. On a dû avoir une armée de gens pour les surveiller avec des talkies walkies et nous informer si quelqu’un passait les cordons de sécurité. Les voitures allaient vraiment vite et j’utilisais Rendez-vous comme exemple.
Quel genre de réalisateur êtes-vous quand vous réalisez ces scènes d’action aussi ambitieuses ? Etes-vous calme ou au contraire colérique comme votre personnage dans Entourage ?
(Rires). A mes débuts, j’étais sans cesse stressé et tendu. Souvent, je blague en y repensant en expliquant que si quelqu’un venait alors me dire bonjour sur le plateau, je lui balançais ‘vas te faire foutre’ tellement j’étais à cran. Et parano. Je me pensais que tout le monde voulait ma peau. Avec le temps et l’expérience, je me suis calmé. Tout ce qui me mettait en colère, ne me fait plus péter les plombs. J’ai appris à être posé pour parler à mon équipe. Mais quand je tourne une scène d’action, je ne veux pas que le spectateur puisse tranquillement la regarder dans son fauteuil. Je veux qu’il ait l’impression d’être en plein milieu. Qu’elle l’effraie, le fasse sursauter, qu’il soit obligé de poser son téléphone et qu’elle capte toute son attention. Du coup, pour avoir cette intensité, tout le monde doit être à bloc et à 100% dans ce qu’il fait sur le tournage. Une scène d’action demande des jours de travail.
Les arts martiaux ont-ils changé votre approche de la réalisation ?
Je filme caméra à la main. Avec trois caméras. Et je laisse les acteurs faire ce qu’ils veulent dans le cadre imparti. J’essaie de ne pas trop contrôler mes acteurs pour que le résultat paraisse authentique et réel même si le cadre n’est pas parfait. Mais c’est mon style. John Cassavetes est le premier réalisateur que j’ai étudié et adulé. Son cinéma parait tellement vrai. Je n'aime pas que l’action paraisse trop évidente et démonstrative. J’aime le chaos quitte à manquer un coup. Je veux que ces séquences soient imprévisibles. Mais pour les arts martiaux, j’ai eu l’occasion de rencontrer Yuen Woo-ping il y a quelques années. J’ai pu voir comment il concevait ses scènes d’action. Puis The Raid a été un déclic. Ce n’était pas des coups de pieds jolis à voir comme dans les vieux films de kung-fu mais c’était brutal, nerveux, bourrin. On voyait des types qui se balançaient sur les murs. On retrouve cela dans les films de Jason Bourne. Je veux que le public sente la violence.
Vos univers sont souvent très masculins alors qu’Hollywood est en pleine féminisation de ses héros. D'ailleurs dans 22 Miles, vous offrez un joli rôle à Lauren Cohan.
Les femmes contrôlent le monde non ? (rires). J’ai réalisé The Kingdom dans lequel Jennifer Garner avait un rôle important et se révélait dans une grosse scène de combat. Pour moi, voir une femme se battre pour sa vie est tout aussi intense et émotionnel que de voir un homme se battre. Je suis content d’avoir pu intégrer des personnages de femmes fortes dans 22 Miles. Lauren Cohan est vraiment badass. Elle a une super scène de combat, la meilleure du film pour moi. Puis on a Ronda Rhousey qui est badass. Mais je ne l’a fait pas combattre. Tout le monde s’attend à la voir se battre et j’ai préféré l’utiliser autrement. Mais oui, aux Etats-Unis il y a une grosse féminisation des fictions. Notamment à la télé. Avez-vous Killing Eve ? C’est très bien. Ou encore The Handmaid’s Tale. C’est génial de voir des personnages féminins si intenses.
Vous considérez-vous comme un réalisateur de films d’action ?
Je ne peux nier qu’il y a énormément d’action dans mes films et que j’aime les tourner, donc je suis certainement un réalisateur de films d’action. Mais j’essaie de capturer l’émotion des personnages et j’y travaille de manière conséquente. J’essaie de capturer l’âme de l’action. Je suis un amateur de boxe, j’ai une salle de boxe en Californie et je manage des boxeurs. Chaque combat pro a sa propre histoire. Les passages intenses, les passages à vide, les silences, les moments où l’un des boxeur surpasse l’autre puis se fait rattraper, il y a tellement de drame dans un combat, c’est comme une histoire à elle seule. Quand je réalise une course-poursuite en voiture, je cherche l’histoire de cette poursuite, l’émotion, l’humanité pour que cela ne soit pas juste des images. Je vise à faire des films d’action émotionnels.
Qu’est ce qui a poussé le jeune acteur qu’il était dans Shocker de Wes Craven a passé derrière la caméra ?
Je n’étais pas à l’aise en tant qu’acteur. Je n’ai jamais aimé jouer. Je m’ennuyais trop à attendre que l’on me dise quoi faire et à attendre de contribuer à la vision d’autres réalisateurs. Mais je les étudiais. J’ai étudié la manière de travailler de Wes Craven. A chaque fois que j’avais un rôle, j’étais plus intéressé par la façon de cadrer, d’éclairer ou de gérer une équipe. Je préfère de loin la réalisation.
(Peter Berg dans Shocker de Wes Craven - 1989)
Comment expliquez-vous le culte autour de Friday Night Lights ? Qu’en est-il de ces rumeurs de remake ?
J’ai rédigé le scénario en vivant au Texas avec une équipe de foot de lycée. J’allais en cours avec eux, je les suivais aux entraînements, je me rendais chez eux. J’avais 41 ans et aller à l’école tous les jours était un peu étrange. Les parents étaient inquiets (rires). Mais je me suis imprégné de cette ambiance. Et elle a investi mon ADN. Parfois quand tu fais un film, il devient parti intégrante de toi. Cette passion que j’ai développé pour cette culture de football américain s’est ressentie dans le film puis dans la série. Effectivement, un nouveau film est en développement. Mais cela sera sans moi. J'ai assez donné (rires). Mais ce succès me sidère tout le temps. Je suis allé à Hong Kong récemment et en arrivant à l’hôtel, des chinois m'ont crisé « Friday Night Lights ! ». Je leur ai demandé s’ils comprenaient les règles du football américain. Ils m’ont dit « non mais on adore » .