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Jacques Audiard : "Je n'aime pas le western. C'est des personnages de cons" interview les Frères Sisters

Le 07/02/2019 à 12:00
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A l'occasion de la sortie en DVD et Blu-Ray de l'excellent Frères Sisters, revoici notre interview de Jacques Audiard publiée en septembre 2018 pour la sortie en salles du film.

Les Frères Sisters
 
Pour sa première expérience "américaine", Jacques Audiard signe le western les Frères Sisters et s'approprie le genre à sa manière. La réussite est totale pour le réalisateur de Un Prophète, De Battre de mon coeur s'est arrêté et de Deephan.
 
FilmsActu a eu l'occasion de discuter une vingtaine de minutes avec lui afin d'évoquer cette expérience nouvelle en compagnie de Joaquin Phoenix, John C Reilly, Jake Gyllenhaal, Riz Ahmed et Rutger Hauer, qui lui a valu le Lion d'argent de la meilleure réalisation au festival de Venise.
 
 
Le pitch du film : Charlie et Elie Sisters évoluent dans un monde sauvage et hostile, ils ont du sang sur les mains : celui de criminels, celui d'innocents... Ils n'éprouvent aucun état d'âme à tuer. C'est leur métier. Charlie, le cadet, est né pour ça. Elie, lui, ne rêve que d'une vie normale. Ils sont engagés par le Commodore pour rechercher et tuer un homme. De l'Oregon à la Californie, une traque implacable commence, un parcours initiatique qui va éprouver ce lien fou qui les unit. Un chemin vers leur humanité ?
 
Les Frères Sisters

Qu’est ce qui vous attire dans le western et qu’est-ce qui vous a donné envie d'adapter cette histoire ?
Jacques Audiard : La véritable histoire, c’est que ce film est une commande. John C. Reilly est venu vers moi avec le livre de Patrick DeWitt, il y a déjà plusieurs années de celà lorsque j'étais venu un film au festival de Toronto. Je n’aurai jamais eu l’idée de faire un western. Pour être tout à fait franc, c’est le livre qui m’a donné envie de filmer cette histoire. C’est accessoirement un western car le cadre est celui d’un western.

Ce n’était donc pas un rêve de gosse que de tourner votre propre western ?
Pas du tout. Je n’aime pas le western…

Pourquoi ?
C’est des personnages de con. Honnêtement, c’est vrai (rires). Même s’il y a de très belles choses. Je dis ça pour cerner le fait que je n’ai pas d’appétence particulière pour le western des origines. Dès les années 70, le western change et là c’est autre chose quand Arthur Penn fait des films. J'aime aussi les derniers Ford ou des films comme L’homme qui tua Liberty Valence. Mais sinon avant cette phase, c’est un genre… qui me trouble un peu (sourire). Mais on ne peut pas comprendre. Le western cinématographique est une mythologie américaine. Seul l’américain peut s’y identifier. Le western a eu la fonction du roman au 19e siècle en France. Il a servi à identifier une classe sociale.
 
Les Frères Sisters

Comment fait-on un western aujourd’hui ?
C’est dur… Le livre de Patrick DeWitt a une finesse. Ce qui m’a séduit c’est comment des personnages très frustres, véritablement des hommes de Néanderthal, vont parler comme des petits marquis. Il y a un côté Jacques le Fataliste et son maître (roman de Diderot). C’est ce contraste très littéraire qui m’a plu.
 
Vous avez choisi de tourner en Europe et non pas aux Etats-Unis...
Le western est très soucieux du paysage. Pour moi, cela n’avait aucun intérêt de filmer dans des décors qui a vu des milliers de fois. Ce qui m'intéressait avant tout, c'était le dialogue entre les personnages. Le voyage se situe là pas dans les décors. Je n'avais pas le fantasme de tourner en Amérique. J'ai préféré l'Espagne et la Roumanie. On s'est retrouvés dans les vieux décors de Sergio Leone…

Est-ce difficile de travailler sur un scénario en anglais avec des dialogues en anglais ? D’autant que vos personnages sont très bavards pour un western.
Je parle très très mal l'anglais. J’écris tout en français. Puis c’est traduit. Certains dialogues viennent aussi du livre de Patrick.

Comment dirige-t-on les acteurs quand on parle mal leur langue ?
Avant j’ai fait un film avec des tamouls (rires). La réponse est là… L’autre question est pourquoi est-ce que depuis un moment je suis attiré par le fait de travailler avec des gens que je ne comprends pas. Pourquoi suis-je attiré par le fait de travailler dans une langue étrangère ? Dans un territoire étranger ? Je crois que cela a à voir avec le jeu de l’acteur et la recherche d'une autre forme d’expressivité. Je me demande ce qu’il va se passer quand je retournerais avec des acteurs français.

Les acteurs anglo-saxons ont-ils une approche différente du jeu par rapport aux français ?
Je n’ai pas le sentiment d’avoir fait les choses différemment que sur mes autres films. En revanche, autant je peux dire que je n’ai pas d’appétence particulière pour le western, autant les acteurs et actrices américaines m’attirent depuis un certain temps. C’est une espèce de présence immédiate dans l’image. Ils ont cette chose là qui tient à plein de choses. Les hommes ont les voix posées, dans le coffre et n’ont pas des voix de tête. Cela a peut-être aussi à voir avec la musique. C’est une langue très musicale. Et puis, les acteurs américains ont l’actorat. Ils considèrent que le cinéma est un métier en soi. Je me trompe peut-être mais pour eux, l’acteur c’est le cinéma et le mot comédien est utilisé pour autre chose. En France, on dit "quel bon comédien, quel formidable acteur." Chez nous, cette distinction est moins nette. Ils ont aussi un véritable savoir dans la préparation des rôles. Ils sont propriétaires de leur rôle avec la responsabilité du propriétaire. Ils travaillent énormément avant le tournage. Jake s'est renseigné sur la manière dont son personnage aurait parlé à l'époque et avec quel accent. Il a contacté un linguiste. Ce n'est pas quelque chose que je lui avais demandé. Cette initiative est venue de lui-même. Que cela soit Jake Gyllenhaal, John C Reilly, Riz Ahmed, ils ont tous apporté leur propre modification à leurs personnages.
 
 
Les Frères Sisters
 
Il y a peu d’actrice dans le film…
Il y en a pas ! Enfin, si une et un transgenre.

Visuellement, les femmes sont absentes mais leur présence est constante. Via l’étole de l’amoureuse de John C. Reilly, l’ombre de la mère et le nom des frères qui est Sisters.
Qu’est ce que c’est que le monde sans femmes ? A quel moment, cela devient intolérable. C’est une question intéressante. Et le western n’est pas un genre féminin.

Il y a pourtant depuis quelques années des séries et des films westerns avec des femmes comme Godless ou Hostiles…
J’avais vu Deadwood avec de beaux personnages féminins.

Vous parlez de ce film comme d'un conte.
Bien qu’ils ont une manière de parler développée, il ne fallait pas que je pense à ces deux frères comme des adultes. Ce sont en fait des hommes de 45 ans qui sont rincés, cuits mais des enfants de 12 ans dans leur tête. Oui, ce film est un conte. Même visuellement. Deux enfants sont sur le chemin et parlent, rentrent dans la forêt et sifflotent pour se donner du courage, s’il y a une référence cinématographique, ce n’est pas un western. C’est La nuit du chasseur. Les Frères Sisters est un conte avec de la violence et des ogres…

Il me semble que vous n’aimez pas les scènes de violence bien que votre cinéma en regorge.
Oui. C’est vrai... Mais dans ce cas, cela a voir avec le conte. La violence est ici assez distanciée. C’est une violence de carte postale. Le film commence, on voit des flammes au loin, puis la bagarre de cowboys dans une grange. Cette violence est celle de mômes avec des pistolets trop bruyants. Une violence très réaliste dans ce film n’aurait pas collé aux personnages.

Il y a beaucoup de dialogues pour un western….
Pourtant on en a coupé… Vous vous rendez compte de ce qu’ils se diraient dans les westerns clasiques s’ils parlaient (rires). Quand je parle du charme littéraire du livre de Patrick Dewitt, c’était ça. Cette forme de dialogue très sophistiquée pour ces personnages qui puent le cheval, la sueur et le tabac.

Ce qui est osé dans le film…
C’est de le faire (rires).

Oui aussi mais aussi d’avoir Rutger Hauer pour un rôle où il ne parle pas et se contente de marcher jusqu'à une fenêtre.
Ce n’était pas prévu comme cela. Il y a eu plusieurs versions du film. J’ai tourné une autre séquence avec lui qui n’allait pas.

Les Frères Sisters

Faire un western en étant français est vraiment un pari ?
Ce n’est pas une question de nationalité, c’est juste une grosse machine. J’avais contacté Frances McDormand avant le film. C’est une actrice qui me fait envie. J’avais pensé à elle pour le rôle de la prostituée ou de la tenancière du bordel. Mais elle a refusé et elle a eu tout à fait raison, le rôle n’était pas assez consistant pour elle. Et le soir de notre rencontre, on dîne avec son mari Ethan Coen qui avait fait True Grit. J’avais donc des questions pour lui. Je lui ai demandé « qu’est ce qui a été le plus emmerdant sur le tournage ? ». Il m’a dit « les chevaux ». C’est vrai que c’est une tannée. La prochaine fois, j’utiliserais des poneys. C’est un exemple de la difficulté d'un tel film et de sa logistique plus lourde. Comment faire comme d’habitude avec des équipes plus conséquentes, des camions… C’est difficile.

Les Frères Sisters a bénéficié d'un budget de combien ?
Très cher, 30 millions d’euros.

Qu’est ce qui a motivé votre choix concernant les acteurs ?
J'ai choici Riz Ahmed grâce à The Night Of sur HBO. La chronologie du casting a démarré avec John C qui m’a amené le livre avec l’intention de jouer Eli. Cela m’allait parfaitement. Il voulait jouer avec Joaquin Phoenix ce qui m’allait aussi parfaitement. Cela s’est décidé rapidement. Pour les autres, on a beaucoup réécrit le scénario. Et en écrivant, j’ai beaucoup développé le personnage de Riz Ahmed. Sa prestation dans The Night Of, que j'ai découvert un soir par hasard, m’a sauté aux yeux.

Jake Gyllenhaal, ce n’est pas à cause de Brockeback Moutain ?
Non. Jake, je l’avais rencontré à Los Angeles il y a quelques années. Ils sont un peu tout comme cela, dans le sens où ils viennent vraiment vers vous pour signifier leur intérêt. Trois, quatre ans plus tard, j’ai contacté Jake pour lui dire que j’avais un projet pour lui. C’était très facile.

Quand vous dites que les acteurs et actrices américaines viennent vers vous, quel est le film déclencheur de cela ?
Un Prophète… La machine hollywoodienne les tient au col. Ils sont très avides d’autre chose. Ils sont demandeurs. Cela a été un tournage très agréable pour eux du fait qu’il se déroule dans un autre pays que les Etats-Unis. Ils veuillent travailler. Le système de Los Angeles est très broyant. Ils sont curieux d’autre chose. Très demandeurs d’autres façons de travailler. Et très accueillants.
 
Les Frères Sisters

Vous avez eu d’autres propositions de films américains ?
Très peu. Ou des des propositions que l’on refuse très facilement.

Des Marvel ? James Bond ?
Non, je n’en suis pas là. Mais quand un tel projet arrive, vous savez qu’il a été proposé ou refusé par 10 ou 15 personnes avant vous. Il y a forcément des raisons pour lesquelles ils l’ont refusé. Mais je reçois très peu de propositions. Ce qui explique aussi que cela soit les acteurs qui viennent vers moi.

Comment avez-vous travaillé pour la musique avec Alexandre Desplat ?
Alex a un calendrier compliqué maintenant. Je le connais depuis que je fais du cinéma. On procède toujours de la même façon. Je lui fais lire le scénario. Au fur et à mesure que j’ai des images, je lui envoie. Le montage change beaucoup et on a un dialogue ensemble jusqu’à la fin. Jusqu’au mixage.

Le premier thème musical du film est surprenant. Il est jazz et tranche avec l’idée habituelle du western.
Alex a du génie. Il a des intuitions qui me sidèrent. Après 25 ans, je suis toujours client de ce qu’il m’apporte. Et surpris.

Quels sont les cinéastes actuels qui vous plaisent ? Ou vous impressionnent ?
C'est toujours la question piège… J’ai beaucoup aimé Grave de Julie Ducournau… J’ai un problème aujourd’hui qui passera, c’est comme une mauvaise grippe, je pense avoir du mal avec le cinéma.

Vous aimez en faire mais moins le regarder. C’est ça ?
Oui j’aime en faire. Le cinéma n’est pas à l’heure actuelle le lieu où je vais voir les images qui me transportent. Depuis 10 ans, tout ce qui se passe dans l’art contemporain avec des artictes comme Pierre Wege et d'autres plus jeunes, m’interloquent bien plus. J’exagère, il faut pondérer mes propos, vraiment, mais dans le rapport entre le récit et la production d’images, je n’ai rien vu qui parle du contemporain de manière aussi fine, immédiate et indicible depuis Lynch. Non ? Vous n'êtes pas d’accord ? (rires).

Votre prochain film, vous savez ce que cela va être ?
Je n’en ai aucune idée. Sisters Brothers m’a laissé les poches vides. J’ai le crâne vide.

Vous avez besoin de faire un break entre chaque film ?
Non, j’espérais que cela se fasse comme pour les autres films où il y avait Sisters quand je faisais Deephan et Deephan quand je faisais de Rouilles et d'Os. Là, je n’ai pas grand chose… Le temps va être long (rires).

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