Novembre : "Il n'était pas question de filmer l'infilmable" Cédric Jimenez interview
Le 05/10/2022 à 11:24Par Olivier Portnoi
Avec Novembre, Cédric Jimenez réussit son après Bac Nord. Pourtant le sujet était très loin d'être simple. Tout le contraire même. Comment traiter les attentats du 13 novembre au cinéma ?
"Je comprends tout à fait que l'on redoute de voir ce film" nous explique le réalisateur.
"On se doit respect, pudeur et humilité. Mais quand j’ai lu le scénario, je l’ai trouvé si touchant si fort qu’il m’était impossible de le refuser."
Novembre est un polar inspiré de faits réels. Cédric Jimenez filme la traque méticuleuse des auteurs des attentats dans les 5 jours qui ont suivi le Bataclan et les fusillades à Paris.
Il nous explique combien il importait à son scénariste et lui de ne pas "filmer l’infilmable" et d’éviter les reconstitutions macabres.
"On se doit respect, pudeur et humilité. On avait tous bien ça en tête. C’était une évidence."
En toute franchise, j’appréhendais de voir Novembre. Je craignais ce que je pouvais y voir. Mais votre film évite tout voyeurisme malsain. Jamais on y voit les attentats à Paris. Dès le départ, c’était votre intention ?
Cédric Jimenez : Bien sûr, c’était le but. Je n’ai pas écrit ce scénario. Il est d’Olivier Demangel (la série Baron Noir). Moi-même quand je l’ai reçu, j’étais un peu fébrile quant à ce que j’allais y découvrir. C’est parce que j’ai lu la pudeur, l’intelligence et tout le respect qu’Olivier a mis dans l’écriture, la narration et dans les émotions qu’il développait que je me suis aussi mis au service du film. Je comprend tout à fait que l’on puisse avoir ce genre de réflexe. Mais évidemment qu’il n’était pas question de filmer l'infilmable. Le sujet est trop important, douloureux, sensible. On se doit respect, pudeur et humilité. On avait tous bien ça en tête. C’était une évidence. Plus qu’une évidence même.
Qu’est ce que vous aimeriez que les gens retirent de ce film ?
Le film est là pour compléter ce que les gens connaissent de ces évènements terribles. On a tous vu l’incroyable travail des médias à raconter ce qu’il s’est passé, les attentats, les victimes, le peuple qui se réveille et se révolte. J'ai voulu montrer ce qui n’a jamais été raconté, parce que les journalistes n’ont pas accès à la direction anti-terroriste, moi non plus d’ailleurs, je n’ai pas pu aller mais ils ont beaucoup collaboré avec moi…. c’était important de raconter l’enquête et comment l’Etat et la fonction publique peuvent répondre de façon démocratique à ce genre d’évènement. C’est important de montrer que ces gens travaillent dans l’ombre et sont présents dans ces moments terribles.
"J’ai réalisé Novembre comme les flics me l’ont raconté. Avec cette tension permanente."
Quelle est la part de fiction dans Novembre ?
Elle est présente dans les personnages. On est dans un service de police particulier qui est classé secret défense, qui traite de dossiers encore en cours très délicats et sensibles. Ces policiers, les témoins, les intervenants doivent être protégés par l’anonymat. Il y a donc un travail de modelage sur les personnages tout en cherchant à rester fidèle à la réalité. Puis aussi sur certains faits, pas sur l’articulation des faits mais sur les lieux où certaines personnes ont été arrêtées. Ce sont de petites choses que l’on remodèle sans pervertir la réalité mais en la changeant légèrement et suffisamment pour qu’elle ne soit pas reconnaissable afin de protéger l’instruction judiciaire.
"Bac Nord et Novembre sont deux films radicalement différents."
La sortie de Bac Nord a-t-elle eu une incidence sur Novembre ?
J’avais déjà fini de tourner Novembre quand Bac Nord est sorti. Si la question est : »est-ce que la polémique a influencé mes choix de tournage ? », la réponse est non.
Mais cette polémique aurait pu influencer des choix de montage ?
Sur le choix de montage, je ne crois pas non plus. La sortie de Bac Nord a encore plus titiller le sens de mes responsabilités, même si je ne suis pas d’accord avec la façon dont le film a été récupéré. Mais de voir que les gens réagissent, que le film les touche, les bouscule et peut-être mal compris, m’oblige à être d’autant plus précautionneux et d’autant plus précis pour que son interprétation ne puisse pas être erronée. C’est à mon sens le cas de Bac Nord. Je ne suis pas d'accord avec cette polémique. Bac Nord et Novembre sont deux films radicalement différents. Bac Nord est plus fictionné. Il ne faut pas confondre l’affaire de la Bac Nord et les attentats du 13 novembre. On est dans deux mondes différents et à une échelle d’importance et de douleur différente. Mon approche sur les deux films n’étaient pas la même. J’ai réalisé Novembre comme les flics me l’ont raconté. Avec cette tension permanente, ils ne dormaient pas ou très peu, ils étaient constamment sur le qui-vive, chaque minute peut compter, être dramatique. Il fallait absolument avancer, trouver la solution. C’est comme cela que j’ai construit le film. Il n’y a pas de cousinage entre les deux films, ni de thématiques ou de choix d’approche cinématographique communs.
A part le fait de filmer une autre police. Vous aimez filmer la police dans vos films ?
J’aime filmer les évènements qui appellent des émotions fortes, contradictoires, complexes avec des enjeux élevés. C’est vrai que si la police déchaîne autant les passions, c’est qu’elle amène ces émotions exacerbées avec ces enjeux élevés. Mais je n’ai pas d’obsession à filmer la police. Je n’ai pas écrit Novembre, on me l’a proposé. Quand j’ai lu le scénario, je l’ai trouvé si touchant si fort qu’il m’était impossible de le refuser. Je devais faire ce film.
"Tous les éléments dans le film doivent être au service du sujet et ne jamais le dépasser."
Novembre montre une police diversifiée avec autant d’hommes que de femmes.
C’est la réalité. Ce n’est pas le cas dans la BAC, c’est le cas à la SDAT (sous-direction anti-terroriste). J’essaie de retranscrir le plus fidèlement possible ce que je vois et ce que je comprends. A la SDAT c’est très mixte en terme de génération. Il y a des hommes, des femmes. Cela vient de toutes les régions de France.
C’était compliqué de trouver une musique pour ce film ?
Ce qui est compliqué dans le film, c’est de ne pas mettre d’emphase ou très peu que cela dans la mise en scène et c’est vrai dans la musique. C’est une question de dosage. Avec Guillaume Roussel, le compositeur qui a fait mes précédents films, c’était le mot d’ordre. Je lui ai dit qu’il allait devoir composer beaucoup de musique pour accompagner ce récit dense et complexe tout en faisant en sorte que cette musique s’intègre et ne prenne jamais le dessus, presque comme du sound design. On a beaucoup travaillé. Il a commencé très tôt pendant le montage du film. Il a fallu trouver le bon équilibre. C’était une question de dosage, de pudeur tout en n’oubliant pas qu’on est dans une salle de cinéma. Mais surtout ne jamais être au dessus du sujet. Tous les éléments dans le film doivent être au service du sujet et ne jamais le dépasser. C’est un exercice pas si facile. Quand on fait du cinéma, on est emballé, on est passionné que cela soit chez les acteurs, chez le réalisateur, au décor… Là il fallait mieux toujours mettre un peu moins qu’un peu plus.