On a rencontré Todd Haynes, le réalisateur du terrifiant Dark Waters - interview
Le 02/03/2020 à 11:15Par Pierre Champleboux
Dans Dark Waters (au cinéma dès le 26 février), Mark Ruffalo affronte un ennemi bien plus terrible que Thanos : Dupont, une firme qui fabrique des produits chimiques et qui serait responsable de l’empoisonnement de 99% de la population mondiale. On a rencontré Todd Haynes, le réalisateur de ce film terrifiant adapté d’une glaçante histoire vraie.
FilmsActu : Qu’est-ce qui vous a donné envie de tourner Dark Waters ?
Todd Haynes : Mark Ruffalo m’a fait lire le script en 2017, un an après l’article du New York Times qui a révélé l’affaire au grand public. Mark comptait déjà le produire, et c’était une première version du scénario. J’ai été très honoré que Mark pense à moi pour le réaliser, parce que c’est un acteur dont j’ai toujours admiré le travail, et j’avais très envie de travailler avec lui. Après avoir lu cette histoire, je n’arrêtais pas d’y penser. Parce que c’était aussi l’histoire de Rob Billot, et de toutes les conséquences que cette affaire a pu avoir sur sa vie, et ses proches. Ça me rappelait des films des 70’s que j’adore, toute cette vague qu’on a qualifié de paranoïaque, et dont Les Hommes du Président fait partie. Je regarde souvent ces films. Mark n’avait aucun moyen de le savoir, compte tenu de ma filmographie en tant que réalisateur. Mais cette histoire de lanceur d’alerte m’a parlé et j’ai eu envie de la réaliser.
FilmsActu : Le film dénonce un scandale qui nous touche toutes et tous. Comment avez vous fait pour y travailler tout en gardant une certaine distance vis-à-vis du sujet ? Est-ce que ça ne devient pas obsédant ?
Todd Haynes : Vous savez, le film vous dit que personne n’est à l’abri de cette incroyable contamination. Donc je n’ai pas spécialement pensé à ma propre santé en le faisant. J’ai surtout pensé à celle des gens qui ont vécu à proximité de l’usine qui produisait le Teflon, à l’impact que cette pollution a eu sur leurs vies. Je pense que tout démarre de là, et qu’en parlant de ce qui s’est passé là-bas, on avait à charge de dénoncer tout un système corrompu, qui a fait passer le profit avant tout.
FilmsActu : Vous avez reçu des menaces de la part de l’entreprise Dupont ?
Todd Haynes : Non, pas directement. Mais quand on a voulu aller sur leur site de Parkersburg pour tourner des plans, on s’est fait un peu bousculer. On est entrés sur leur parking, pour faire des repérages, j’étais en train de prendre des photos, et deux agents de sécurité nous sont tombés dessus en disant : “Que faites-vous ici ? C’est un site gouvernemental”, ce qui était un mensonge. Et puis ils nous ont forcé à partir.
FilmsActu : Pensez-vous que les films hollywoodiens ont le devoir de dénoncer, d’informer le public sur des sujets graves comme celui abordé dans Dark Waters ?
Todd Haynes : Je ne sais pas si c’est le rôle d’Hollywood d’éduquer les spectateurs. À la base, on est là pour divertir, et chacun devrait pouvoir faire les films qu’il veut. Mais c’est vrai que c’est une bonne chose. La plupart de mes films ne dénoncent pas de scandales, mais ils traitent de sujet de société, ou évoquent l’homosexualité... Mais oui, on peut espérer que par le prisme du cinéma, la société parvienne à avancer et que les mentalités commencent à changer.
FilmsActu : Comment Mark Ruffalo a-t-il travaillé à son interprétation de Rob Billot ?
Todd Haynes : C’était assez fou à observer. En tant que producteur, au début du projet, il était surtout concentré sur la production. Et puis, à un moment, il est passé en mode comédien. En tant qu’acteur principal, il savait que tout reposerait sur son interprétation de Rob Billot, et il a décidé de travailler son rôle avec lui. Rob et lui sont des personnes vraiment très différentes. Au départ, Rob était assez réticent, très discret, il ne se livrait pas. C’est quelqu’un qui retient beaucoup ses émotions, et il a aussi une gestuelle très particulière qui traduit ça… Mais progressivement, ça a commencé à changer.
Je crois qu’en travaillant avec nous, il a commencé à se libérer, à nous faire confiance et à se sentir soulagé, que quelqu’un porte enfin une telle attention à lui et à ce qu’il a vécu. Et au fil de notre collaboration, on l’a vu se transformer physiquement : Tandis que Mark devenait peu à peu Rob, Rob changeait à son tour. Il a commencé à devenir souriant ! Dans le film, vous pouvez voir que Mark ne sourit quasiment jamais, parce que c’est comme ça qu’était Rob. C’était vraiment drôle de voir ces deux hommes se changer l’un en l’autre tout au long du projet.
FilmsActu : Avez-vous utilisé les vraies cassettes vidéos tournées par Wilbur dans le film ? Celles qui montrent les effets de la contamination sur ses animaux ?
Todd Haynes : Oui. Ce sont les vraies images. On en avait des heures. Dans toutes ces cassettes, Jim filmait seul et commentait ce qu’il constatait. Il analysait ses vaches lorsqu’elles étaient malades, et quand elles mourraient, il les disséquait et il filmait tout. Sa voix, son débit de parole, cette façon de commenter comme un journaliste, alors qu’il n’avait aucune certitude que quelqu’un regarde un jour ses cassettes, c’était comme un message adressé directement au futur. Ce qu’il a vu, ce qu’il a découvert… Il avait tout compris depuis le début. Grâce à Rob, le monde sait maintenant que Wilbur avait raison. Malgré toutes les manigances de Dupont, son histoire a été entendue, et c’est une formidable victoire.
Dark Waters, actuellement au cinéma.