Une bande annonce pour MUCH LOVED, le film scandale sur la prostitution au Maroc
Le 29/07/2015 à 18:22Par Maxime Chevalier
On rappelle qu'après sa projection cannoise, ce film a donné naissance à une énorme polémique au Maroc. En mai dernier, on apprenait ainsi que Loubna Abidar, la comédienne principale du long-métrage, avait fait l'objet de menaces de mort. "Imaginez un étranger qui appelle vos parents pour leur dire que leur fille va mourir", a expliqué Abidar sur son compte Twitter, où elle s'est largement faite harcelée et insultée par des extrémistes ayant du mal à faire le distinguo entre une comédienne et son personnage. "C'est seulement du cinéma, du cinéma. Les gens qui nous appellent au téléphone pour m'insulter moi et mes parents je ne sais pas comment ils ont fait pour avoir notre téléphone. C'est honteux." On rappelle que Much Loved a été interdit de sortie au Maroc par le ministère de la Communication pour "outrage grave aux valeurs morales et à la femme marocaine, et une atteinte flagrante à l’image du royaume." Retrouvez aussi, ci-dessous, une interview générique, sous la forme d'une note d'intention, retraçant la démarche du réalisateur.
NABIL AYOUCH - Interview générique
1) Parlez-nous de votre rencontre avec les protagonistes du film ?
Ce qui m’a le plus marqué en rencontrant toutes ces jeunes femmes, c’est leur manque d’amour. Elles font vivre des familles entières et pourtant elles ont la sensation de n’en faire jamais assez pour qu’on puisse les aimer. Car tout ce qu’elles reçoivent en retour, c’est un jugement, une condamnation, au mieux du mépris. « Pour eux, je suis devenue une carte de crédit », m’a dit l’une d’elle, sans émotion apparente. Trop aimées par certains, pas assez par d’autres, en tout cas mal aimées. Comme une malédiction, l’argent qu’elles gagnent est forcément « haram », l’argent du péché, celui qui les brûle, qui les dévore de l’intérieur, et dont elles doivent se séparer au plus vite.
Pour ne pas sombrer, elles vivent. Elles rient, elles dansent, elles s’amusent des hommes, d’elles-mêmes. Leur solitude les agresse, les rend cruelles parfois. C’est dur d’être seules quand on est tellement entourées.
2) Que représentent-elles selon vous ?
Noha, Randa, Soukaina, Halima sont les stigmates d’une société qui se cherche. Entre une économie de subsistance qu’on tolère et un conservatisme qu’on affiche, l’hypocrisie est bien là. Pour certaines, Dieu les protège, pour d’autres c’est leur innocence ou leur force qui leur sert de rempart. Mais toujours les mêmes peurs, les mêmes blessures.
J’avais envie de dire cette réalité, loin des mythes. Dire c’est montrer. Tout. Sans retenue, sans concession ni fausse pudeur. Lever le voile sur cette industrie, c’est mettre chacun face à ses responsabilités, à ce qu’il refuse de voir. Je ne ressens aucune pitié ou sentiment de misérabilisme à l’égard de ces femmes et je serais peiné qu’on en ressente en voyant mon film. Je ressens de la tendresse, de l’attachement. Je les trouve épatantes dans leur liberté, dans leur capacité à faire vivre leurs proches et à souffrir en silence. Elles ont du courage, la rage au cœur des combattantes.
3) Vous qualifiez souvent vos interprètes de guerrières ?
Oui ce sont des amazones du temps présent. En ce sens, leur rapport aux hommes doit nous interpeller. Elles s’en servent, les utilisent, comme une vengeance sur ceux qui croient les posséder car ils les payent. Ce rapport aux hommes est un des enjeux essentiels du film car il est là pour nous rappeler que le monde arabe est avant tout une société matriarcale où la femme, malgré les apparences, est dominante. Saïd, leur protecteur, servant, conducteur, en est le reflet palpable. Ses voyages narratifs ou introspectifs dans Marrakech, l’un des personnages principaux du film, sont une plongée au cœur d’une ville capable de vous rendre ivre. Comme toutes les villes qui se donnent, Marrakech demande à être guidé pour ne pas sombrer. Et c’est quand le réel prend le pas sur la mythologie que ce lieux devient violent, donc passionnant.