The Night Of : rencontre avec le showrunner et John Turturro
Le 09/07/2016 à 10:13Par Olivier Portnoi
The Night Of est la mini-série HBO de cet été (sur OCS Choc dès le 11 juillet). Ce drame judiciaire tourné à New York fait suite à la seconde saison de True Detective diffusée en juin juillet dernier. Ecrit par Steven Zaillian (La Liste de Schindler, American Gangster, Millenium version David Fincher, Gangs Of New York), qui est aussi à la réalisation, et Richard Price (The Wire), The Night Of a été conçu comme un long film de 8 heures découpé en 8 épisodes.
Il s'agit de l'adaptation US de Criminal Justice, une série produite par la BBC en 2008. L’histoire est celle de Nasir Khan (Riz Ahmed, vu dans Night Call et bientôt dans Bourne et Rogue One), un jeune New-Yorkais d’origine pakistanaise, accusé d’avoir violemment assassiné une jeune femme à coups de couteau. Pris au piège par le système judiciaire, il va se faire aider par Jack Stone (John Turturro) un avocat de seconde zone, maladroit et opportuniste.
James Gandolfini (Les Soprano) devait initialement tenir le rôle de l'avocat. Mais sa mort survenue après le tournage du pilote en 2013 l'en a empêché. Il aura fallu deux ans à HBO pour relancer le tournage avec John Turturro dans le rôle titre après que Robert De Niro ait décliné l'offre pour des questions de planning.
Grâce à OCS et HBO, on a pu rencontrer Steven Zaillian, John Turturro et Riz Ahmed à Londres. Voici les interviews de Steven Zaillian et John Turturro (on publiera celle de Riz Ahmed plus tard) afin de décrypter ce nouvel évènement HBO.
John Turturro
Qu’est-ce qui vous attiré dans The Night Of ?
Dès le scénario, j’ai été captivé. Pour un acteur, c'est le rêve quand tout est aussi bien écrit. Je connais Richard (Price) depuis plusieurs années. Avec Steven, on avait évoqué l'idée que je participe à son premier film mais je n'étais pas libre. Les deux ensembles sont une combinaison parfaite. Leur approche est celle de romanciers. Ils ont su mettre en avant les contradictions du système judiciaire américain. Il n'y a pas de personnage parfait dans The Night Of. Le mal cotoie le bien. Les frontières sont floues. Steven parvient à rendre la série immersive. On est en prison avec ce gamin, on a peur avec lui et on se dit que jamais de la vie on aurait envie de finir là-bas. C'est un cauchemar. Cela t'affecte en tant que spectateur. N'est-ce pas le cauchemar de tous de se trouver dans la position d'un suspect à tort ? Gamin, mon père voulait que je sois avocat. Il était avocat de la défense. J'ai été dans un jury, j'ai dû aller au tribunal pour témoigner, c'est déjà stressant. Alors accusé…
Vous aviez déjà fréquenté l’univers carcéral dans d'autres de vos films...
Oui. Dans les années 80, j'ai travaillé dans une prison à haute sécurité pour Police Fédérale Los Angeles de William Friedkin. C'était terrifiant. On avait été enfermé aveC les prisonniers. J'étais dans une aile à risque avec tous ces criminels. Mon conseiller pour ce film était un meurtrier. J'ai appris par la suite qu'il avait été condamné trois fois. Je me souviens m'être dit que ces gars sont comme des enfants de primaire. J'ai été prof il y a longtemps et les prisonniers ont besoin que tu leur portes de l'intention comme des enfants.
Vous avez aussi été inspecteur dans Clockers de Spike Lee (1995) ?
Il y a des années, j’ai été en patrouille avec la brigade des homicides pour Clockers. J’ai tellement appris en trainant avec eux. Chaque fois que je les ai accompagnés, il y a eu un meurtre. Ils m'ont fait mettre ce produit sous le nez pour se protéger des odeurs, ils m’ont fait prendre les empreintes, j’ai mis des sacs sur des membres... Les premières fois, j’ai vraiment cru que j’allais vomir. Eux faisaient des blagues sur les victimes. J’étais choqué. Comment pouvait-t-on se moquer de gens morts ? J'ai vite compris que ceux qui exercent ces métiers ont besoin d'humour le plus noir. C'est un mécaniste de survie pour eux. Ils utilisent l'humour pour contrecarrer les horreurs dont ils sont témoins.
Avez-vous vu le premier pilote avec James Gandolfini ?
Oui. James était un mes grands amis. Je ne voulais pas le regarder mais James y est que pour une seule scène. Il ne parle même pas avec Riz. On le voit juste traîner avec les flics. Je l'ai regardé avec un oeil fermé. C'était dur. C'était vraiment un de mes amis. Il a joué dans mon film Romance and Cigarettes, j'ai été à son mariage, à l'enterrement de ses parents, il a été aux miens… Ce n'était pas évident de passer après lui mais il n'a pas eu le temps d'explorer le rôle. J'ai souvent pensé à lui pendant le tournage. Ce que James détestait, c'est le maquillage. Or pour le rôle, j'ai dû me faire mettre un faux eczema (son personnage en a les pieds recouverts). On en rigolait avec le maquilleur. James serait devenu fou avec toutes ces séances (rires) Il se plaignait déjà avant le tournage paraît-il.
Steven Zaillian (co-scénariste, réalisateur, showrunner)
Pourquoi ce choix de tourner entièrement à New York ?
Si on l’avait basé dans une autre ville, l’histoire n’aurait pas forcément été différente en ce qui concerne les procédures de la justice américaine. Mais pour nous, cela a toujours été une histoire new-yorkaise. C’est une ville tellement incroyable pour le cinéma car elle a tant de caractère. Martin Scorsese, Woody Allen et beaucoup d’autres grands réalisateurs y ont tourné leurs meilleurs films. Mais je crois que nous sommes parvenus à filmer New York différemment. Tu ne manques jamais de lieux de tournage à New York.
Pensez-vous que l’esprit et l’énergie de la ville ont investi The Night Of ?
Je pense que oui. New York a aussi inspiré les personnages et les acteurs qui sont quasiment tous new-yorkais. C’était un confort pour eux de jouer dans leur environnement. Rien n’a été fait sur fond vert. On a toujours été dans la ville. L’appartement de Stone est un appartement typique new-yorkais.
Ce projet tenait à cœur à James Gandolfini. Que reste-t-il de sa contribution ? Le personnage de Jack Stone a-t-il changé après sa mort ?
C’est l’idée générale que The Night Of est le projet de James. La vérité est que le script du pilote a été écrit avant qu’il ne soit impliqué. Mais il voulait vraiment être Jack Stone. Je le souhaitais aussi. Quand on a réalisé le pilote en 2013, on n’a tourné qu’un seul jour avec lui. Son personnage n'avait qu'une seule scène. Le pilote était alors plus court que celui d’aujourd’hui. Bien que j’aurai adoré pouvoir tourner cette série avec James, le rôle est devenu celui de John Turturro. Ce sont tous les deux de grands acteurs.
James Gandolfini demeure crédité comme producteur exécutif au générique. Est-ce une forme d'hommage ?
Oui. Mais il avait déjà ce titre quand il travaillait sur la série. On l'a laissé.
Vous avez rencontré une centaine d’acteurs avant de choisir Riz Ahmed pour le rôle de Naz. Qu’est-ce qui vous attiré chez lui ?
On a fait beaucoup d’auditions. J’étais assez anxieux de ne pas trouver la bonne personne. Par chance, je suis tombé sur Riz que je ne connaissais pas. Pourquoi lui ? C’est un feeling. Avant lui, je n’imaginais pas les autres candidats capables de faire toutes les scènes du script comme je le souhaitais.
Vous avez réalisé tous les épisodes sauf un. Ce qui est plutôt rare pour une série.
Mon intention de départ était de réaliser le pilote puis de m’éclipser comme le font beaucoup de réalisateurs. Puis, je me suis dit pourquoi ne pas en faire un second puis un troisième. Au final, je me suis retrouvé tellement investi dans ce projet que je n’ai pas su transmettre les reines à quelqu’un d’autre. Sauf pour un épisode. Mais j’étais sur le plateau. Avec Richard (Price, scénariste), on est devenu possessif. C’est une expérience que j’aimerai refaire si je trouve un sujet qui s’y prête.
Stephen King a salué la qualité du pilote.
Waouh, je ne le savais pas. C’est génial. C’est incroyable. C’est quelqu’un d’extraordinaire. Merci de me l’avoir dit.
Qu’est-ce qui vous attiré dans cette histoire ?
Ce n’était pas de savoir si Naz était coupable ou pas. J’ai été attiré par l'histoire et l'ensemble des personnages. Ils me passionnaient suffisamment pour que je décide de passer autant de temps avec eux. Puis j'ai eu cette envie de présenter un drame judiciaire, un genre que l’on connait tous, mais de manière différente.
Vous avez tourné à Rikers Island (la plus grande prison à New York) et collaboré à nouveau avec le détective Richie Roberts qui a inspiré American Gangster.
Oui. Richie Roberts est le personnage de détective incarné par Russell Crowe dans American Gangster de Ridley Scott. Richie a été détective, puis avocat pour l’accusation et enfin avocat de la défense. Il connait tous les rouages du système. Il a relu le scénario, m’a offert des conseils et il a été d’une grande aide. On a eu d’autres consultants comme des anciens prisonniers de Rikers, des flics, des avocats. Aller à Rikers est une expérience rare. Je n’étais pas très confortable à l’écriture de la partie en prison. Qu’est-ce que je savais de la vie là-bas. J’ai eu besoin de connaître les lieux et non pas de m'appuyer sur ce que j'avais appris d'autres films ou séries. The Night Of veut montrer de manière la plus détaillée possible ce qu'il se passe en prison.
The Night Of n’est pas la seule série sur l’échec du système judiciaire américain à être parue ces derniers temps. On a pu voir Making A Murderer sur Netflix, American Crime Story ou encore le documentaire HBO The Jinx.
C’est un sujet passionnant. Et terrifiant. Il n’y a pas assez de temps et de moyen aux Etats-Unis pour offrir à chacun un procès. Les cas se résolvent à 95% avec des négociations de peine (plea deal en anglais) qui se font rapidement et qui permettent d'économiser de l’argent. Une réduction de peine peut être demandée par un procureur en échange d'un aveu de culpabilité de la part de l'accusé, qu'ils soient coupables ou pas. Les avocats orientent là-dessus leurs clients quand ils risquent de se voir attribuer une sentence trois fois plus lourde avec un procès. Même s’ils sont innocents.
La télé est-elle une bénédiction pour des réalisateurs comme vous aujourd’hui qui ne parviennent plus à imposer de tels sujets au cinéma ?
Ce genre de drame est en danger au cinéma. Si un studio produisait 25 films il y a 20 ans, il n’en produit plus que 5 aujourd’hui. Et les films qu’ils choisissent sont des gros films coûteux. Pas le genres que j'affectionne. La télévision est devenue une aubaine pour les scénaristes. Beaucoup de grands réalisateurs viennent y travailler.
Avez-vous vu le Prophète de Jacques Audiard ?
Oui. J’ai adoré. Je n’y ai pas forcément pensé lors du tournage de The Night Of mais je l’ai trouvé incroyable.
Ou en est votre gros projet The Irishman qui devrait rassembler Robert De Niro, Al Pacino et Martin Scorsese ?
Je sais que le scénario a été acheté à Cannes. Le film devrait être réalisé l’année prochaine. C’est un film de gangsters. Il y a eu Les Affranchis et Casino. Celui-là est dans la lignée avec une histoire différente. J’ai hâte qu’il se fasse. (The Irishman est centré sur la vie de Frank "The Irishman" Sheeran, soupçonné d'avoir fait disparaitre le baron de la pègre Jimmy Hoffa en 1975).