TOGO : "C'est un vrai film d'aventures qui méritait le grand écran" Willem Dafoe interview

Le 22/04/2020 à 12:11
Par Olivier Portnoi

On ne présente plus Willem Dafoe. En près de 40 ans de carrière, l'acteur de 64 ans a marqué de manière indélébile le cinéma américain. Que cela soit via Les Rues de Feu, Platoon, La dernière Tentation du Christ, Mississippi Burning, Né un 4 Juillet ou encore Police Fédérale Los Angeles, Sailor et Lula (démentiellement malsain en Bobby Peru), Light Sleeper, American Psycho et plus récemment Brooklyn Affairs et The Lighthouse. La liste de ses films marquants est longue, très longue.

 

Aujourd'hui Willem Dafoe est à l'affiche de Togo disponible sur Disney+. Une grande aventure épique pour laquelle l'acteur s'est rendu dans la province d'Alberta au Canada travailler plusieurs mois avec des chiens.

 

 

L'histoire de Togo, adaptée de faits réels, est celle de Leonhard Seppala, qui en 1925 accompagné de son chien de traîneau Togo, doit affronter une tempête gigantesque afin de ramener dans son village isolé un antibiotique qui sauvera les enfants condamnés par une épidémie de diphtérie.

 

Début avril, en plein confinement, on a pu discuter une dizaine de minutes par téléphone avec Willem Dafoe lors d'une table ronde virtuelle.

 

 

 

Comment se passe votre confinement Willem ?
Je vais bien. Je suis en sécurité et en quarantaine.

Vous avez l’habitude de tourner 4,5 films par an. Comment vous vivez le fait de devoir rester chez vous ?
(Willem Dafoe rit avec son fameux rire du Joker). C’est plutôt agréable. C’est vrai que j’ai tendance à me lancer dans des tonnes de projets parce que quand on m’envoie un projet intéressant, je n’arrive pas à résister. Je ne sais pas comment faire un break quand il y a tellement d’opportunités alléchantes. Et j’aime être actif. Mais comme je n’ai pas eu de pause depuis un certain temps, et même si cette pause survient dans un contexte dramatique avec sa dose d’insécurité et d’anxiété, il est positif pour moi. Je passe plus de temps avec ma femme, je passe du temps seul, j’étudie, je me relaxe, je mange mieux (rires).

 

Dans Togo, vous vous faites voler la vedette par un chiot. Ce n’est pas trop dur ? Etiez-vous à l’aise avec les chiens avant ce film ?
(rires). Je n’ai jamais eu d’animaux. J’ai toujours apprécié les chiens mais en faisant ce film ma compréhension pour les chiens s'est renforcée. Mon amour pour eux aussi. Se faire voler la vedette par un chiot ? (rires). Oui il me vole la vedette ! Mais on ne se soucie jamais de ça. Si vous vous souciez de ça en tant qu’acteur, vous êtes très mal barré ! Vous faites ce que l’on attend de vous. Un film est un travail collectif. Et en vérité, je suis heureux de me faire voler la vedette par des chiots ! Je suis là pour eux. J’étais là pour intégrer leur univers. Mais cela n’a pas été simple. Travailler avec des animaux nécessite beaucoup de patience. Il n’y a pas d’autres façons de collaborer avec eux que d’être là pour eux. C’était la seule manière de pouvoir jouer ces scènes.

 

 

Il y avait principalement un chien pour Togo qui s’appelait Diesel. Ce n’était pas toujours facile. Il fallait faire avec ses humeurs, ses envies. Mais c’est un chien tellement attachant. Pour les chiots, il y en avait plusieurs.

 

Vous avez dû apprendre à diriger les chiens de traineau ?
Oui. Je me suis beaucoup entraîné. Le tournage a été très long. Il y a peu d’effets spéciaux numériques sur Togo. On les utilisait seulement quand cela devenait trop dangereux pour les animaux. Pour le reste, 95% des scènes que vous voyez sont tournées telles quelles. Il n’y a pas eu de fonds verts sauf pour la séquence sur la glace. Bien que l'on ai vraiment tourné vraiment sur un lac gelé. Cette réalité était importante. Il a été important d’arriver préparés et zen sur ce tournage. Les animaux étaient magnifiques. Ils sont athlétiques, adorent courir, j’ai appris à bien les connaître. Quand on regarde quelqu’un sur un traineau, cela a l’air simple. Mais en réalité, cela demande une certaine finesse et une conscience du terrain, des conditions météos, de l’état de fatigue des chiens...

 

 

Avez-vous été ému en découvrant Togo ?  Le film a un message très émotionnel sur les rapports des hommes avec les animaux.
Togo a été une expérience géniale. C’était une vraie aventure. Pas juste à l’écran mais aussi pour l’équipe du film et les acteurs. Cela n’a pas été un film simple à faire. Au contraire, il a même été difficile. Avant d’accepter, je me suis demandé si j’en étais capable physiquement. Même si je suis en grande forme, je ne suis plus tout jeune (rires). Mais j’aimais l’histoire, j’ai aimé collaborer avec ces gens… J'ai été ému par le film à la projection. Ma partenaire Julianne Nicholson, qui joue ma femme dans le film, a elle pleuré... mais que cela reste entre nous.

Appréciez-vous vous voir à l’écran ou est-ce un supplice ? Beaucoup d’acteurs supportent mal de se regarder…
Pour moi, ça va. Cela fait assez longtemps que je fais ce métier pour ne pas me voir à l’écran mais plutôt le personnage que j’incarne. J’aime voir mes films quand ils sont finis. Je suis curieux de découvrir le résultat. Un film change beaucoup au montage et ne correspond pas toujours, voire rarement, à ce que moi j’imagine sur le tournage. Me voir ne me dérange pas. Je ne regarde pas non plus obsessivement mes films. Mais une fois qu’un film est fini, je m’engage à le regarder au moins une fois pour pouvoir en parler.

 

 

 

En 2019, vous avez tourné The Lighthouse avec Robert Pattinson, Tommaso, le dernier Abel Ferrara et Togo. Vous aimez que chacun de vos projets représente un grand écart cinématographique par rapport aux précédents ?
J’adore oui. Je recherche cette difficulté. Cela vous oblige à ne pas rester sur vos acquis et à repartir de zéro. Chacun de ces rôles exige une compétence particulière et une construction spécifique. Cela bouscule mes habitudes. Je ne peux pas me permettre d’être fainéant sur un tournage et de m’asseoir dans des habitudes. Il faut être présent et intégrer mentalement et physiquement ces projets. Impossible de faire Togo de la même manière qu’un film d’Abel Ferrera ou de Robert Eggers. Il n’y a pas de gueule de bois d’après tournage. Vous êtes forcé de vous transformer d’emblée. Je recherche cette exigence dans mon métier. Je ne me souviens pas d’avoir tourné deux films qui se ressemblent l’un après l’autre.

 

Est-il facile de passer d'un rôle en rôle ? Ou certains vous suivent-ils ?
Certains rôles me suivent longtemps. Comme pour la Dernière Tentation du Christ (il a été Jesus pour Scorsese en 1988), ou Van Gogh (pour At The Eternity’s Gate, 2018) ou quand on a tourné quatre mois à Auschwitz (pour Triumph Of The Spirit, 1989). Ce genre d’expérience reste en vous pour toujours. Mais je passe aisément d’un personnage à un autre. Je suis une sorte de nomade.

 

(La dernière Tentation du Christ)

 

 

On savait dès le départ qu’il était prévu pour une plateforme. Disney cherchait à produire du matériel original. Mais Togo a été tourné comme un film de cinéma avec les moyens et les exigences techniques d’un film de cinéma qui serait projeté sur grand écran. Il n’y a pas eu de concessions techniques parce qu’il allait être diffusé sur Disney+. C’était important pour moi. Ces paysages ont été filmés à l’ancienne sans effets. Pour être honnête, j’aurais préféré qu’il sorte au cinéma. Parce qu’à mon humble opinion, c’est la meilleure manière de profiter des films. Mais je sais que le mode de consommation des films change, que les spectateurs ont d’autres envies aujourd’hui et je ne veux pas être le vieux con qui est là depuis la nuit des temps et qui reste accrocher aux anciennes méthodes. Ceci dit, les spectateurs semblent apprécier découvrir Togo chez eux, seul ou en famille. Ne le regardez juste pas sur votre téléphone.  Si vous le regardez ainsi, vous allez louper quelque chose. C'est un vrai film d'aventure à l'ancienne qui méritait le grand écran.

 

 

Non je n’y fais pas attention. Un film comme The Florida Project n’a pas été un gros succès publique mais il a marqué ceux qui l’ont vu. Il y avait beaucoup d’amour et d’espoir dans ce projet. J’ai eu beaucoup de retours positifs dessus. Et même quand un film est un flop, le temps lui permet parfois de se démarquer. Comme pour Police Fédérale Los Angeles (de William Friedkin, 1985. Dafoe y joue un faux monnayeur particulièrement sadique). Cela a été un échec à sa sortie. Aussi bien commercial que critique. Les gens ne l’ont pas compris. On reprochait à Friedkin qu’il n’y ait pas de personnage auquel s’identifier. Du moins pas de personnage « bon » à soutenir. Mais c’était ça l’idée. Et ceci bien avant Tarantino qui a su dynamiter la conception de ce que doivent être les histoires au cinéma. Depuis, beaucoup de choses ont évolué et Police Fédérale Los Angeles a été réévalué et est souvent cité parmi les meilleurs thrillers du cinéma sur Los Angeles

 

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(Police Fédérale Los Angeles)