Yesterday : on a rencontré Danny Boyle et Richard Curtis - interview
Le 12/07/2019 à 19:02Par Olivier Portnoi
Trainspotting meets 4 Mariages et un enterrement. Au milieu des années 90, une association entre Danny Boyle et Richard Curtis aurait paru insensée. Et pourtant en 2019, le duo signe la comédie légère et rock de cet été avec Yesterday (au cinéma le 3 juillet).
Danny Boyle (Trainspotting, Sunshine, Slumdog Millonnaire) réalise tandis que Richard Curtis (Notting Hill, Good Morning England, Love Actually) signe le scénario.
L'histoire : Jack, musicien qui ne parvient pas à percer, se réveille après un accident dans un monde où les Beatles n'ont jamais existé. Il n'hésite pas à faire croire que les tubes des Fab Four sont ses compositions et devient le jeune artiste le plus incroyable de l'histoire de la musique. Mais ... car il y a forcément un mais...
FilmsActu a eu la gande joie de pouvoir discuter quelques minutes avec Danny Boyle puis Richard Curtis lors de leur venue à Paris.
La rencontre a eu lieu dans un double decker jaune garé devant un grand hôtel parisien et décoré aux couleurs du film Yesterday.
- DANNY BOYLE
Dans les années 90, Transpotting semblait être l’anti-4 Mariages et un enterrement. C’est surprenant de vous voir collaborer ensemble aujourd'hui.
Danny Boyle : Je sais c’est étrange non ? Mais au final, nous sommes assez proches. On est presque nés au même moment. J’ai juste deux semaines de plus que lui. Dans chacun de nos films, la musique est indissociable des images. C’est un élément crucial pour nous. Et si vous regardez de plus près le travail de Richard, je pense notamment à Blackadder (une sitcom pseudo historique de la BBC), une oeuvre radicale et extraordinaire, il ne mérite pas cette réputation de gentil anglais. 4 Mariages et en enterrement est finalement aussi assez radical. Ce film possède une sensibilité très différente de Transpotting bien sûr mais dans un sens il apportait une vraie fraîcheur aux films anglais traditionnels. On a pas mal de point communs quand on y réfléchit. Et j’ai toujours aimé son travail. Quand il m’a envoyé le script de Yesterday, je l’ai trouvé génial. J’ai adoré cette idée qui est si simple, joyeuse et qui reflète l’essence du travail des Beatles.
Après vos derniers films plutôt sombres et la série Trust, également très dur, vous aviez envie de plus de lumière ?
Oh oui. Trust ignore totalement ce qui est joyeux (rires). J’ai voulu fuir cette noirceur. Cela faisait du bien de tourner un film optimiste qui croit aux gens. On ne trouve pas beaucoup d’éléments similaires dans le monde des Getty. Il y a beaucoup d’argent mais aussi les problèmes qui vont avec. Jack, le personnage de Yesterday, est tenté par Hollywood, on lui propose beaucoup d’argent pour vendre son âme mais il va s’interroger sur le monde de la musique.
La musique et les bandes originales sont essentielles à votre cinéma…
Je construis souvent mes films à partir de chansons. Le montage se fait plus dans ce sens que dans l’autre. Je suis très fier de ça. Je tiens à montrer que la culture pop n'est pas quelque chose d'éphèmère mais qu'elle a influencé nos vies. Pour moi cette culture pop a posé les fondations de nos vies.
Richard et vous êtes restés faire des films en Angleterre malgré l’appel d’Hollywood. Pourquoi ce choix ?
On a eu des tentations. La plupart des réalisateurs qui ont connu un succès similaire aux nôtres sont partis travailler aux Etats-Unis. Mais on a refusé. On a voulu faire des films avec des racines anglaises.
Vous avez quand même essayé l’aventure américaine que cela soit pour 127 heures, Une vie moins ordinaire ou même Alien 4 finalement réalisé par Jean-Pierre Jeunet ?
Oui mais je suis toujours revenu en Angleterre. Et je préparais ces films de chez moi. Je n’ai jamais emménagé à Hollywood.
Quelle est votre bande originale préférée ?
Celle de Spike Lee pour Summer Of Sam. Une bande-originale incroyable.
Votre film rock préféré ?
Je ne suis pas très fan de biopic. Je préfère Apocalypse Now qui utilise le son pour gonfler ses images plutôt que de prendre le prétexte du biopic pour mettre en images des chansons d’un groupe. J’aimerais faire un film sur un musicien. On a travaillé sur un film consacré à David Bowie et Iggy Pop. Mais avoir les droits est très compliqué. Je ne sais pas s’il se fera mais je serais partant pour un film musical.
Une comédie musicale ?
Pourquoi pas ? Avec de la danse. J’aimerais tourner des scènes de danse. Il y en a eu un peu dans SlumDog Millionnaire mais j’aimerais faire un film musical avec de la danse. Comme Cabaret, Que le spectacle commence (All That Jazz) et le cinéma de Bob Fosse.
Lequel de vos projets avortés regrettez-vous le plus ?
Forcément James Bond. Notre histoire était vraiment bien. Mais travailler avec d’autres sur un aussi gros film est compliqué. On avait pas la même envie autour de Bond. Je ne sais pas ce que Cary Fukunaga va faire mais il m’a envoyé un message très gentil et je lui souhaite le meilleur. Il y aussi ce film sur Bowie que j’aurais vraiment aimé tourner.
Dans le film Jack prétend que les chansons des Beatles sont les siennes. Quel film aimeriez-vous faire croire qu’il est de vous ?
Apocalypse Now. Sans hésiter. Si je me retrouve dans un monde où Francis Ford Coppola n’existe pas, j’en fais un remake. Je n’aurai aucun scupule à la faire. Je l’ai tellement vu et analysé que je m’en souviendrai scène par scène je pense.
J’ai toujours été curieux de savoir pourquoi vous n’aviez pas tourné Alien Ressurection. A quel point avez-vous été impliqué dans le film ?
J’avais rencontré Sigourney Weaver. On avait longuement parlé du film. J’étais aussi allé voir Winona Ryder afin d’évoquer son rôle potentiel. Elle n’avait pas encore été officiellement castée. Tout se passait bien. Le script de Joss Whedon était vraiment fort. Joss Whedon n’était pas encore connu. Il était encore un jeune scénariste. Personne ne m’a empêché de faire ce film. C’est moi qui me suis empêché seul de le faire. Je n’étais pas à l’aise avec les effets spéciaux. On était pas encore pleinement entré dans l’ère numérique et j’avais trop de questions en tête qui demeuraient sans réponse. Devait-on tourner avec des effets numériques ou des effets réels comme l'avait fait Ridley Scott ? je n'étais pas à l'aise avec ce domaine à ce moment là. De plus, la série des Alien a été très dure pour les réalisateurs qui sont passés après Ridley Scott et James Cameron. J'ai préféré laisser la place.
Si vous pouviez inviter l’un de vos personnages pour une soirée, lequel choisisseriez-vous ?
Oh mon dieu ! Probablement Spud de Transpotting. Cela serait très chaotique et fun je pense.
- RICHARD CURTIS
Ed Sheeran joue son propre rôle dans Yesterday. Mais j’ai lu que vous aviez pensé à Chris Martin de Coldplay avant lui.
Richard Curtis : Oui. Je connais Chris Martin et je sais à quel point il peut être drôle. On avait tourné une parodie de Game Of Thrones ensemble pour la campagne Red Nose en Angleterre. On lui a proposé de jouer dans le film mais il nous a renvoyé une vidéo vraiment marrante où il explique qu’il y a un malentendu et qu’il est le pire acteur du monde et que l’on devait chercher quelqu’un d’autre.
Vous avez donc opté pour Ed Sheeran ?
Dans un sens, le film est sur lui. Ed est un bon ami depuis 5 ans. Comme Jack le personnage, il s’est marié à une fille avec qui il était à l’école. Yesterday est l’histoire d’un type qui peut partir vadrouiller le monde entier mais choisit cette fille qui l’a aimé en premier.
Dans le film, Ed Sheeran fait preuve de beaucoup de second degré sur lui-même…
C’est un type normal devenu popstar. Il joue avec l’image que le public a de lui. Dans ses concerts, vous pouvez désormais acheter une perruque rousse Ed Sheeran afin d'avoir un look aussi pourri que le sien (rires). C’est un type en or et un exemple parfait que la célébrité n’est pas forcée de te détruire.
Il est surprenant au vu de vos carrières respectives de vous voir collaborer avec Danny Boyle…
Imaginez combien c’est incroyable pour moi de travailler avec lui ! C’est marrant que des gens que personne n’imaginait collaborer ensemble le fassent. Mais je me souviens qu’après avoir vu Transpotting, je m’étais dit que nos films n’étaient pas si différents. 4 Mariages traitait d’une bande de copains. Ma bande de copains avait un problème avec les mariages, la sienne avec la drogue et l’héroïne. Danny et moi nous nous connaissons depuis longtemps. J’ai pensé qu’il serait bien que ce film soit réalisé par un bon réalisateur. C’était un choix parfait.
L’Angleterre est toujours le terrain de jeu de vos films.
Oui. C’est important que mes films concernent des univers que je connais parfaitement. J’ai essayé d’écrire un film américain mais je me suis rendu compte que je ne savais pas ce que les gens mangeaient, ce qu’ils avaient dans leur frigo, les vannes qu’ils pouvaient se lancer entre ex camarades de classe… Quand vous écrivez Star Wars, vous ne pouvez qu’inventer mais je dois écrire sur ce que je connais. Et je connais très bien le Suffolk et les Beatles.
A quel point les Beatles ont-ils été importants pour vous ?
Ils sont mon groupe préféré quand mes 7 ans. Je viens d’avoir 62 ans. Avec 10 de mes amis, on a passé ma soirée d’anniversaire à passer nos 30 chansons préférées des Beatles par ordre croissant jusqu’à « Here, There and Everwhere » (extrait de Revolver) qui a été n°1 de nos votes à notre grande surprise.
Les Beatles survivants sont-ils au courant de l’existence de Yesterday ?
On a eu la permission d’utiliser les 15 chansons des Beatles que l’on entend dans le film. Je ne sais si eux avaient lu le scénario ou s’ils se sont dits ‘on peut faire confiance à Danny et Richard’. Aujourd’hui, Olivia Harrison (la veuve de George Harrison –ndr) et Ringo Starr ont vu le film et nous ont envoyés de très gentilles lettres. J’espère que Paul McCartney va aimer. Je le connais mieux que Ringo et on essaie de trouver un soir où il est libre pour une projection. J’ai écrit à Paul pour lui demander si on pouvait appeler le film Yesterday. Il m’a répondu "bien sûr même si je pense que ‘Scrambled eggs’ (œufs brouillés) est un meilleur titre". Les paroles d’origine de Yesterday étaient « let us have some scramble eggs » car il a composé cette chanson au petit déjeuner. Au moins, cela témoigne qu’il n’est pas contre ce titre de film.
Si les Beatles se formaient aujourd’hui, seraient-ils aussi populaires et influents d’après vous ?
Je pense que oui. Ed Sheeran sort une nouvelle chanson toutes les deux semaines pour son nouvel album. Les Beatles ont assez de chansons pour sortir une chanson toutes les deux semaines pendant cinq ans. Et ce sont des chansons incroyables. Imaginez si « I want to hold your hand » était suivie par « Love me do », « Please please please » « she loves you » etc. Le son est différent, la texture aussi, mais plus je travaillais sur ce film plus je me disais que ces titres et cette production sont incomparables.
Y-a-t-il des chansons des Beatles que vous n’avez pas pu mettre dans le film ?
Oui. Au moins 120 (rires). Mes deux chansons préférées sont "And I love her" et "If i fell" qui sont tous les deux sur Hard Day’s Night. Je les adore et elles ne sont pas dans le film. On a choisi les plus connues.
Quelle est votre bande originale de film préférée ?
Celles de Danny sont vraiment biens. La plus vendue des bandes originales doit être la bande originale de Bodyguard. Or j’adore toutes les chansons de Whitney Houston. Mais ma préférée ? peut-être celle d'American Graffitti. Elle nous a offert toutes ces chansons pré-Beatles. Pour moi la musique et le cinéma sont indissociables. Il m’est arrivé d’écrire une scène à propos de ce que m’évoquait une chanson même si elle n’était pas dans le film. Notting Hill c’est d’après une chanson appelée « Downtown Train » qui a été écrite par Tom Waits. Quand je l’ai entendue, je me suis dit que c’était le feeling que je recherchais pour le film même si elle n’est pas dans la B.O.
Quel film aimeriez-vous prétendre qu’il est le vôtre ?
C’est une bonne question. Mon film français préféré est l’été meurtrier avec Isabelle Adjani. J’aurais aimé faire celui là. Mon film italien préféré est La Chambre du Fils de Nanni Moretti. Je pourrais en faire un dans chaque langue. Je ferais La Vie des autres en allemand, puis Ma Vie de Chien en suédois et en anglais Brève Rencontre de David Lean.