Bons Baisers de Bruges
Le 23/04/2008 à 07:24Par Michèle Bori
Pari réussi pour Martin McDonagh, qui avec Bons Baisers de Bruges a parfaitement maitrisé son baptême du feu en tant que metteur en scène de cinéma (il est, à la base, dramaturge de théâtre). Il offre au spectateur un film très sombre, mais qui, grâce à son humour si particulier, ne tombe jamais dans le pessimisme plombant. De plus, lors d'un final quasi onirique, le réalisateur se permet même un petit clin d'œil à Ca tourne à Manhattan de Tom DiCillo. Avec une telle référence, on ne pouvait qu'apprécier.
Il y a quelques mois nous découvrions la bande-annonce d’un film américain, intitulé In Bruges, avec Colin Farell et Ralph Fiennes dans les rôles principaux. Une BA punchy, rythmée, bourrée de oneline et de money-shot qui laissaient présager d’un énième actioner jouissif comme l’ami Arnaud Mangin les aime tant (le bougre a aimé The Marine, c’est dire). Quelques semaines plus tard était dévoilé sur la toile l’affiche française d’un film américain, intitulé Bons Baisers de Bruges, avec dans les rôles principaux Colin Farrell et Ralph Fiennes. Une affiche aux couleurs flashy, à la typo blanche et rose style Bisounours, et à l’accroche marrante : La Belgique : ses moules, ses frites, ses tueurs à gages. Une affiche qui laissait présager d’une petite comédie de truands, proche de l’univers d’un Guy Ritchie quand il est en forme.
Et finalement ils nous aura bien fallu trois jours pour faire le rapprochement entre l’affiche et la BA, pour finalement nous rendre compte qu’il s’agissait là du même film. Dès lors, une question nous a bien vite taraudée : comment un même film peut-il avoir deux campagnes promo si éloignées l’une de l’autre ? La réponse nous a aussitôt parue évidente : Bons Baisers de Bruges ne doit être ni un actioner bourrin, ni une comédie de gangsters. Ces deux plans marketing (conçus en suivant une vieille ficelle de publicitaire qui consiste à faire miroiter un produit appartenant à un genre bankable - le film d’action aux US, la comédie en France – alors que ce n’est pas le cas) étaient forcément le reflet d’une difficulté des distributeurs à avoir su saisir le sens du film, ce qui est souvent un gage de qualité pour nous autres cinéphiles avertis. Du coup, on était forcément curieux de découvrir le résultat, et d’une pour comprendre ce qui avait bien pu mettre nos amis du marketing dans un tel embarras et de deux pour savoir si nous avions raison de penser que Bons Baisers de Bruges était autre chose que le bidon de lessive qu’on essayait de nous vendre.
Oubliez donc le film d’action et la comédie potache, car Bons Baisers de Bruges n’est ni l’un, ni l’autre. Véritable descente aux enfers nous plongeant au cœur des questionnements existentiels de deux tueurs à gages, ce film du novice Martin McDonagh tient plus du drame intimiste que d’autre chose. Et si effectivement le film contient quelques coups de pétoires, deux ou trois bastons d’un quart de seconde, et des répliques cinglantes balancés sur le ton de la comédie, on est véritablement là en présence d’un film noir, dans la plus pure tradition hollywoodienne. Farrell et Gleeson (tous deux excellents, en particulier le premier, qui n’en finit plus de nous prouver qu’il est capable de jouer autre chose que le mec qui fronce les sourcils en serrant les poings) y incarnent donc deux tueurs à gages mis au vert dans la cité Wallonne (respectivement une bleusaille et un vieux de la vieille), amenés à remettre leur existence en perspective après un contrat qui a mal tourné. Hantés par des remords qui ressurgissent d’un lourd passé, ces deux hommes vont entamer côte à côte un lent voyage psychologique (voire psychanalytique) duquel ils ressortiront marqués à jamais. Dans leur dérive, ils seront amené à croiser l’internationale et délicieuse Clémence Poesy (actrice française vue dans Harry Potter 4 et Le Dernier Gang) en vendeuse d’exta, Jérémie Renier en petite frappe et sosie officiel de Kool Shen, et surtout de Ralph Fiennes, en tueur froid et britannique, qui fait toujours aussi peur avec son regard halluciné.
Une base classique, imprégnée d’un véritable souffle nihiliste, qui arrive pourtant à se démarquer des autres films de ce genre par un certain humour et une véritable légèreté dans le ton employé. Attention, qui dit légèreté ne dit pas Je-m’en-foutisme et on est ici bien loin des blagues faites par dessus la jambe d’un Snatch ou de la cool attitude poseuse des premiers Tarantino. Non, l’humour est ici intelligent (presque cérébral) et toujours bien dosé, donnant au final à Bons Baisers de Bruges une étrange singularité qui fait qu’on comprend mieux le problème de campagnes promotionnelles cité plus haut. De plus, on appréciera également la poésie gothique émanant du film, qui doit beaucoup au choix de la ville de Bruges comme décor principal. Traitée comme un personnage à part entière, la ville fait ici office de penchant formel aux deux personnages, puisqu’elle est dépeinte comme un grand village paisible pendant la période de Noël, rongé de l’intérieur par le vice et la violence. Comment deux mecs aussi sympas peuvent-ils commettre de telles horreurs ? Comment de telles horreurs peuvent-elles se passer dans une si jolie petite ville ? Deux interrogations qui sont au cœur de la mise en scène de McDonagh, et qui viennent à merveille symboliser le décalage souhaité par ce dernier. Un fond et une forme en parfaite adéquation donc, pour un résultat surprenant, déroutant et profondément touchant.