Chéri
Le 06/04/2009 à 22:20Par Elodie Leroy
Vingt ans ont passé depuis Les Liaisons Dangereuses, adaptation la plus réussie à ce jour du roman épistolaire de Choderlos de Laclos, dans laquelle Michelle Pfeiffer bouleversait en prêtant ses traits à la tragique Madame de Tourvel. Le réalisateur Stephen Frears et la comédienne se retrouvent dans un nouveau film adapté d'une oeuvre littéraire française et dont le scénario est écrit par Christopher Hampton, qui collabore pour la troisième fois avec le cinéaste après Les Liaisons Dangereuses et Mary Reilly. A présent, Frears se penche sur l'oeuvre de Colette en portant sur le grand l'écran Chéri que la romancière signait en 1920 à l'âge de 47 ans. Le cadre de l'histoire n'est autre que le Paris du début du XXe siècle et plus précisément le milieu des courtisanes, ces demi-mondaines très en vogue à l'époque puisque les riches aristocrates de toute l'Europe se disputaient les faveurs. Les plus prisées d'entre elles parvenaient à amasser de véritables fortunes tout au long de leur carrière, ce qui leur permettait d'atteindre un statut à part, devenant en quelque sorte des femmes émancipées avant l'heure. Courtisane aisée en fin de parcours, Léa de Lonval (Michelle Pfeiffer) débute une liaison avec un jeune homme de 19 ans, Fred Peloux, surnommé Chéri (Rupert Friend). Mais six ans plus tard, quand vient l'heure pour celui-ci d'entrer dans sa vie d'homme en acceptant le mariage arrangé par sa mère (Kathy Bates), les deux amants réalisent la vraie nature de leurs sentiments.
Même dans le cinéma d'aujourd'hui, en ce début de XXIe siècle, le personnage de Léa de Lonval conserve une dimension subversive : épanouie sans être sous la tutelle d'un homme, sexuellement active sans désir d'enfant, cette grande horizontale continue d'exercer un pouvoir irrésistible sur des hommes beaucoup plus jeunes qu'elle. Ce qui ne l'empêche nullement d'être dépeinte comme un être bon et sincère. Son âge finit cependant par la rattraper et la société (patriarcale) par reprendre ses droits. Chéri dresse le portrait émouvant d'une courtisane qui après une carrière pleine de succès s'autorise pour la première fois à écouter son coeur. Alors qu'elle constate chaque jour les signes du temps, Léa découvre alors un sentiment tout nouveau pour elle : la douleur d'un chagrin d'amour. De son côté, alors que tout devrait être possible à cette période sa vie, Chéri souffre lui aussi et semble se trouver dans une impasse, tiraillé qu'il est entre trois femmes (la mère tyrannique, la maîtresse dont l'amour a quelque chose de maternel, l'épouse qu'il ne parvient pas à aimer), entre les délices de la passion et ses devoirs de fils et d'époux. Si le thème de l'amour contrarié prêtait à la tragédie, Stephen Frears choisit de rester fidèle au style impressionniste de Colette en évitant la dramatisation. Jouant sur le rythme et les ellipses, le cinéaste et son scénariste croquent les personnages par petites touches, ajoutant ça et là des couleurs pour distiller avec pudeur et subtilité les émotions. Il en va de même pour les dialogues qui préfèrent les mots d'esprits aux affrontements directs dans le conflit qui finit inévitablement par opposer Léa à Charlotte Peloux. Stephen Frears saisit par là même toute l'hypocrisie d'un milieu paradoxal puisque situé au coeur de la vie sociale du pays mais placé au banc de la société, et dont la fausse cordialité et les signes ostentatoires de richesse masquent une vraie misère affective.
Si la courtisane Léa de Lonval tranche nettement avec le personnage de Michelle Pfeiffer dans Les Liaisons Dangereuses, Stephen Frears demeure toujours aussi inspiré par la comédienne. Au passage, on s'amusera de voir cette dernière interpréter coup sur coup et dans des films radicalement différents deux rôles mettant son âge en question, entre la sorcière en quête d'élixir de jouvence dans Stardust et la courtisane vieillissante dans Chéri. Devant la caméra de Stephen Frears, elle rayonne littéralement, capturant le regard à chacune de ses apparitions, alors même que son personnage souligne les ravages du temps sur sa personne à travers plusieurs répliques pleines d'ironie. Le reste du casting est au diapason, à commencer par Kathy Bates qui fait une Charlotte Peloux pathétique et venimeuse, empaquetée qu'elle est dans des costumes lourds et tape-à-l'oeil. Un personnage dont l'égoïsme soulève l'inévitable question de la survie pour une femme non mariée à cette époque. Si Rupert Friend ne fera pas immédiatement l'unanimité, l'acteur parvient sur la durée à transmettre l'immobilisme de ce jeune homme qui se referme progressivement sur lui-même, même si l'on eut espéré davantage de potentiel dramatique dans son jeu.
Profond sans être mélodramatique, intimiste mais rythmé, Chéri est une nouvelle réussite de Stephen Frears qui prouve une nouvelle fois ses affinités avec la littérature française.