Happy Sweden

Si son précédent métrage, The Guitar Mongoloid, s'attardait sur des personnalités hors normes ne faisant aucun cas du regard des autres, Ruben Östlund fait un virage à 180° sur le plan thématique puisqu'il s'intéresse cette fois aux réactions de l'individu au sein du groupe. Présenté au Festival de Cannes 2008 dans la sélection Un Certain Regard, Happy Sweden entrecroise plusieurs histoires au premier abord anecdotiques mais pourtant très parlantes sur l'importance de la notion d'intégration. Hommes ou femmes, adultes ou adolescents, les sujets forment une palette d'individus variés et auront pour point commun d'être confrontées au cours du film à une situation mettant en question leur acceptation par le groupe. Qu'il s'agisse de plaire ou de ne pas perdre la face, chaque histoire se fait révélatrice de l'influence universelle du regard des autres sur les comportements de chacun, qu'il s'agisse de ce trentenaire qui ne parvient pas à imposer ses limites face aux pratiques homosexuelles de ses amis sur sa personne, de cette enseignante qui se met à dos ses collègues en montrant trop de zèle dans son travail, de ces adolescentes qui cherchent à ressembler à des allumeuses, ou encore de cet homme qui tente de cacher ses faiblesses de santé à son entourage. On reste particulièrement marqué par l'expérience pratiquée sur une écolière chargée de déterminer le trait le plus long entre deux traits de taille différentes : après avoir été contredite deux fois par sa classe, la petite fille finit par montrer la plus courte pour recevoir l'approbation du groupe...

Construit comme un film choral, Happy Sweden pourra quelque peu rebuter par sa mise en scène aride cherchant absolument le réalisme. Une mise en scène statique et principalement composée de plans séquences. Principalement car Ruben Östlund ne colle pas rigoureusement au principe associant à chaque scène un seul angle, ce qui a quelque chose de surprenant au vu des ambitions du film. Comme si le réalisateur n'assumait pas jusqu'au bout ses choix artistiques. Sans avoir la maîtrise d'un Michael Haneke, Östlund joue cependant habilement sur la distance entre la caméra et son sujet, optant pour un très grand angle lorsqu'il filme les pitreries d'une bande de trentenaires de sortie, avec ce besoin irrepressible d'envahir l'espace si typique des groupes exclusivement masculins, et pour un cadre très resserré lorsqu'il tente de capter l'intimité des deux adolescentes en pleine poussée hormonale et agissant en cachette de leurs parents. A la fois perspicace sur la psychologie de groupe et lucide sur les réactions individuelles, Ruben Östlund se place avant tout en observateur et ne porte aucun jugement explicite sur les actions ou non-actions de ses sujets, et ce même si une victime de la mécanique de groupe se distinguera toujours inéluctablement. Le concept de Happy Sweden possède tout de même une limite. En effet, à force de juxtaposer ces tranches de vie, le film finit par se garnir d'une dimension un tantinet démonstrative, une impression qui serait très certainement inexistante si l'on avait découvert chaque histoire séparément. Ce léger défaut n'entame cependant pas la crédibilité de l'expérience qui a au moins pour mérite de conserver une réelle cohérence sur le plan de sa thématique.