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Hunger

Le 21/11/2008 à 10:05
Par
Notre avis
9 10

Steve McQueen se penche sur un personnage fascinant de l'Histoire de l'Irlande du Nord et signe un premier film puissant et viscéral. Plongée dans l'univers carcéral, Hunger utilise des images d'une rare force d'évocation pour dépeindre la violence qui s'exerce sur les corps et les esprits, avant de développer un propos d'une radicalité extrême sur le sacrifice de soi au service d'une cause. Magistralement mis en scène, le film de McQueen dépasse le statut d'oeuvre politique pour nous laisser seuls juges et soulever des questions touchant directement à la condition humaine, et c'est ce qui le rend si saisissant, si bouleversant. Au talent du cinéaste vient s'ajouter une qualité d'interprétation remarquable, s'exprimant notamment lors d'un incroyable face-à-face entre Michael Fassbender et Liam Cunningham.

 



Critique Hunger

Critique Critique Hunger

Hunger prend aux tripes dès ses premières images : un gardien de prison nettoie des plaies à vif sur ses mains, jetant des regards plein de douleur et de lassitude dans un miroir. D'où viennent ses blessures ? Qui a reçu les coups ? Que ressent réellement cet homme amené à infliger de tels traitements à ses semblables ? Des questions qui nous assaillent en un rien de temps et dont les réponses ne seront suggérées que bien plus tard, même si les images laisseront toujours une latitude à l'imagination. Cette démarche elliptique, Steve McQueen l'appliquera tout au long de cette plongée oppressante dans l'univers carcéral, de la définition du contexte politique, tout juste explicité par des extraits de discours en voix-off, au parcours personnel de chaque détenu avant leur incarcération. A l'exception d'une poignée de scènes et d'un flash back libérateur, Hunger se déroule intégralement entre les murs du Quartier H de la prison de Maze, où des prisonniers à qui l'on refuse le statut politique ont décidé d'entamer une grève des couvertures et de l'hygiène (le fameux Blanket Protest). Devant la fermeté des chefs politiques, la démarche va prendre une tournure des plus tragiques.

 

Critique Critique Hunger

 

Le but de Steve McQueen n'est clairement pas de faire un film politique à la manière d'un Ken Loach, encore moins de présenter les militants de l'IRA comme des martyrs. Le cinéaste adopte d'ailleurs tour à tour les points de vue d'un gardien, d'un prisonnier fraîchement débarqué et du célèbre Bobby Sands qui mourut le 5 mai 1981 en initiant un mouvement de grève de la faim. Avant de centrer son attention sur ce dernier, Steve McQueen s'intéresse à la réalité débilitante de la prison, à la déshumanisation progressive de ses occupants. Hunger est de ces films porteurs d'une violence à la fois viscérale et mentale, qui s'abat ici sur les détenus mais aussi sur leurs bourreaux, comme en témoigne une séquence poignante au cours de laquelle un gardien sanglote dans le coin d'une pièce tandis que les détenus sont battus un à un. Le cinéaste met son sens de la composition picturale au service d'images d'une rare puissance, qu'il s'agisse des plans interminables sur les couloirs et sur les murs des cellules encrassés par les excréments, ou des scènes trash de passage à tabac de prisonniers entièrement nus. L'omniprésence de la chair et de substances issues du corps humain témoigne d'une volonté de revenir vers des sensations élémentaires, une sorte de retour à la condition humaine qui s'associe à un propos radical sur le sacrifice de soi au service d'une cause. Car lorsqu'un être humain se voit déposséder de tout, jusqu'à son statut de citoyen, il ne lui reste plus qu'un seul moyen de contestation, un seul champ de bataille à dévaster : son propre corps. Le corps et sa dégradation se trouvent justement au centre de la dernière partie du métrage, où l'on assiste à la lente agonie de Bobby Sands - l'acteur Michael Fassbender fait à ce titre preuve d'un investissement impressionnant puisqu'il a perdu rien moins que treize kilos pour les dernières semaines de tournage.

 

Critique Critique Hunger


Hunger est de ces rares films qui s'insinuent durablement dans les esprits, qui bouleversent nos repères tout en nous laissant seuls juges, qui nous amènent à nous interroger sur notre place dans le monde. Un film qui signifie énormément avec très peu de dialogues, le mutisme des personnages ne se brisant qu'à l'occasion d'une scène pivot. Une joute verbale philosophique entre Bobby Sands et le Père Dominic Moran qui pourrait s'apparenter à un monologue intérieur chez le prisonnier et qui tient tout simplement du tour de force. De la part des comédiens Michael Fassbender et Liam Cunningham bien sûr, tous deux d'un charisme impressionnant, déclamant 22 minutes durant en une seule prise. De la part du cinéaste enfin, qui parvient avec la plus grande simplicité - un face-à-face dialoguée dans une pièce vide - à transmettre le cheminement et la détermination d'un homme prêt à aller jusqu'au bout, et à ancrer son geste dans l'Histoire de tout un peuple. Un coup de maître qui méritait au moins la Caméra d'Or que Steve McQueen a raflée à Cannes, si ce n'est plus.

 








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