James Bond Skyfall : la critique
Le 15/10/2012 à 20:41Par Michèle Bori
Conscients que leur saga était partie dans trop de directions différentes sans jamais toucher du doigt les questions importantes relatives au statut de leur personnage central, les producteurs de James Bond ont décidé de mettre les choses à plat et de rappeler à tout le monde que le commander n'est ni un espion ringard, ni un ersatz de Jason Bourne : il est l'un des plus grands héros de l'histoire du cinéma. Introspectif et pourtant spectaculaire, ultra symbolique tout en restant divertissant, ce Skyfall est un épisode à part dans l'histoire de la franchise. Donc, forcément, un épisode à voir. Découvrez ci-dessous notre critique de James Bond Skyfall.
La crise de la cinquantaine se manifeste chez certaines personnes entre 45 et 55 ans. La raison en est simple : c'est à cet âge que l'on commence à entrevoir l’extrémité de sa vie. Et c'est également durant cette période que l'on s'évoque sans se l'admettre la possibilité de sa propre mort. Les spécialistes s'accordent à dire que cette crise, plus encore que celle de la trentaine et de la quarantaine, est synonyme de malaise profond chez l'homme, car elle s’accompagne souvent d’une perte des repères. Tout ce qui semblait important devient secondaire et le quinqua se pose alors la question essentielle : qu’ai-je fait de ma vie ? La saga James Bond fête ses cinquante ans cette année et pour elle, l'heure du bilan est arrivée...
Pourquoi une telle métaphore introductive dans un papier qui n'est sensé qu'apporter une simili-réponse à la question triviale "bah alors, il est comment le nouveau James Bond ?" ? C'est vrai quoi, pourquoi s'embarrasser de posture analytique dans une simple critique de Skyfall, alors qu'il suffit d'écrire que c'est génial, que Daniel Craig a la classe, que l'histoire est super et tout le monde est content. Simplement parce qu'il s'avère que Skyfall est loin, très loin, d'être un James Bond comme les autres. Il est alors difficile d'en parler comme d'un film d'action lambda en faisant fi de la mythologie qui l'entoure.
Avant d'évoquer le film en lui-même, il faut le resituer dans l'histoire de la saga. La franchise James Bond existe donc depuis 50 ans et le moins que l'on puisse dire, c'est qu'elle a eu plusieurs vies. Sans remonter aux calendes grecques, on se rappellera qu'il y a à peine dix ans, dans Meurs un autre jour, Bond faisait du kit-surf sur la banquise et avait une voiture invisible. Un "jump the shark" qui a poussé ses producteurs à rebooter l'histoire de l'agent secret, pour l'ancrer dans une réalité plus en phase avec les attentes du grand public. Un choix gagnant, mais qui a divisé la fan-base du 'commander'. Quel est le "vrai" James Bond ? Celui d'aujourd'hui, à mi-chemin entre Bourne et le Batman de Nolan, sérieux, froid, paranoïaque et semblant porter tout le poids du monde sur ses épaules. Ou était-ce celui d'avant, le "ringard", avec ses gadgets, son sourire en coin, sa cool-attitude et ses punch-lines vaseuses. Bond doit-il être à l'image de son époque, suivre les modes, ou doit-il être un monument figé dans le temps, enfermé dans des codes qui s'apparentent plus à un cahier des charges poussiéreux qu'autre chose.
Des réponses à cette question, il y en a autant que d'amoureux de l'espion britannique. Si si, il y en a même pour trouver que Moonraker est fun, c'est vous dire ! C'est pourquoi les producteurs de la saga sont aujourd'hui dans une position étrange. Comment continuer de satisfaire un public aussi hétérogène, qui ne sait pas lui-même pourquoi il continue d'aimer Bond. C'est alors que ce questionnement, cet "état des lieux" dont on parlait en introduction devient important. Qui est Bond ? Qu'est ce qui fait l'essence du personnage ? Qui a-t-il dans son passé qui soit suffisamment fort pour qu'il ait sa place dans le présent, et l'avenir ? Quel est son rôle dans le monde actuel ? Et surtout, que lui manque-t-il pour grandir ? Ce sont justement ces interrogations que soulève Skyfall - bien plus que Casino Royale, qui n'était finalement qu'un demi-tour à 180° effectué un peu à l'aveugle (Quantum of Solace en est la preuve) entraînant une perte de repère chez son personnage et chez ses fans. Skyfall, le reboot du reboot ? Non, c'est plus que cela. Skyfall, ce n'est pas un film de James Bond. C'est un film sur James Bond. Une analyse du mythe plus qu'une continuation de ses aventures.
Durant 2h30, Skyfall va donc s'affairer à passer en revue cinquante années de Bond. On retrouve, en vrac, l'exotisme des temps anciens, les courses poursuites modernes, quelques gadgets, un peu d'humour (chose prohibée dans les deux derniers opus), des infos sur la backstory de Bond (continuité de Casino et de Quantum), un martini au shaker, un fond politique contemporain (de bon aloi), une belle voiture retro et deux James Bond Girls sexy mais pas potiches (comprenez par là qu'elles ont leur importance dans l'histoire, mais pas plus). On aura même droit à un combat dans une fosse habitée par un dragon du Komodo que n'aurait pas reniée Roger Moore dans ses grandes années. Skyfall prend alors des allures de film-somme autant que de tri sélectif. Car une fois évoqués, ces éléments sont systématiquement mis de côté comme pour bien stipuler qu'ils n'ont pas vraiment d'importance. En allant du méga au macro, en visant systématiquement l'épure et le minimalisme (la première séquence est une course-poursuite improbable en Turquie, la dernière est un duel en hui-clôt), en multipliant les "petites morts" et à fortiori les résurrections (le thème principal du film), en montrant l'affrontement entre Bond et un Némésis - sublime - qui n'est autre que son antithèse (le génial Javier Bardem), Skyfall cherche à toucher du doigt l'essentiel : faire accepter à James son statut de Héros. Un thème que d'aucuns qualifieront à la va-vite de Nolanien, oubliant par là même un certain Joseph Campbell. Skyfall peut alors être considéré comme un épisode à part dans la saga, souvent lugubre, crépusculaire et pourtant tourné vers l'avenir, qui tient plus du décryptage que du dépoussièrage.
C'est alors que l'on comprend le choix de Sam Mendes pour réaliser ce 23eme épisode. Pourquoi diantre un réalisateur oscarisé réaliserait-il un film de commande tel que Skyfall ? D'abord parce qu'en véritable touche à tout, Mendes ne s'est jamais caché de vouloir mettre en scène un blockbuster. Ensuite, parce qu'il est anglais, et que Bond est certainement la figure héroïque la plus emblématique du Royaume-Uni, avec Beowulf. Enfin parce qu'on retrouve dans ce Bond plusieurs thématiques qui lui sont chères, en particulier celle de la place de l'individu dans la société et la problématique qui découle des attentes de la seconde envers le premier (thème principal de Jarhead et de Away We Go). Dire que Sam Mendes s'en tire avec les honneurs serait un bel euphémisme, puisqu'en plus de nous offrir un film ahurissant de maitrise technique (le découpage des scènes d'action est d'une extrême limpidité), Mendes réussit à imprégner sa pate sur la totalité du film. Et ce, malgré le fait qu'il s'agisse d'une commande, un long-métrage franchisé au héros plus grand que nature. Un exploit réalisé ces dernières années par les plus grands uniquement : Peter Jackson (King Kong), Steven Spielberg (Tintin), Sam Raimi (Spider-Man), Christopher Nolan (Batman). Gageons qu'en cas de succès de Skyfall au box-office, quelques studios comprendront que les grands héros méritent de grands réalisateurs, des hommes capables d'insuffler du sens aux images qu'ils tournent.
Nous rassurons néanmoins les amoureux de divertissement : s'il se démarque de ses prédécesseurs par une conscience auto-analytique rare, Skyfall n'en est pas moins un divertissement de premier ordre. A la fois film d'action, grand affrontement manichéen et thriller d'espionnage, Skyfall tient la dragée haute aux blockbusters de l'année en réussissant un mélange des genres savamment dosé. Certains trouveront certainement à redire sur le manque de séquences musclées qui ponctuent d'ordinaire ce genre de production. On préfère quant à nous se dire que les scénaristes ont préféré privilégier la qualité à la quantité et que les rares séquences de bravoures sont réellement soignées. Dès lors, pas sûr que ce Skyfall plaise à tout le monde. Peut-être que ceux qui chercheront dans Skyfall un défouloir débridé et bourrin repartiront déçus. En revanche, ceux qui voudront voir un film d'entertainment pas trop bête - et qui a du recul sur la mythologie qu'il aborde - trouveront certainement leur plaisir devant cette œuvre inattendue et vraiment à part dans l'histoire de la série. Au passage, on souhaite bien du courage à celui ou celle qui passera après …