Le Monde de Charlie
Le 02/01/2013 à 18:16Par Jonathan Butin
LE MONDE DE CHARLIE : CRITIQUE
En 1999, Stephen Chbosky, alors sur les bancs de la fac, publie « Pas Raccord » (The Perks of Being a Wallflower, en VO), un récit épistolaire qui devient rapidement un succès populaire, d'abord outre-Atlantique puis dans le monde entier. Largement autobiographique, le livre se présente sous la forme d'une série lettres envoyées à un ami imaginaire par Charlie, un adolescent mal dans sa peau, miné par le suicide de son meilleur ami et par un traumatisme infantile dont la teneur nous sera révélée dans les derniers instants du bouquin. Ringard aux yeux des autres lycéens, surdoué pour son professeur de Lettre, le jeune homme va finalement connaître le sentiment d'appartenance à un groupe grâce à Sam et Patrick, deux élèves plus âgés qui se considèrent comme des marginaux, et à leur groupe d'amis, adeptes de soirées arrosées et de prise de substances illicites. Chbosky, fort du succès de la série Jericho dont il était créateur et scénariste (arrêtée en 2008), aura donc attendu 13 ans pour lancer l'adaptation de son propre récit initiatique au cinéma en prenant place pour la première fois derrière la caméra.
Sur le papier, les conditions étaient optimales pour une adaptation réussie : la transposition au cinéma d'un livre à succès par son propre auteur peut difficilement se révéler infidèle et de ce point de vue là, Le Monde de Charlie est une réussite. Cependant, considéré strictement comme objet filmique, le long métrage de Stephen Chbosky, qui ne peut plus s'appuyer sur la qualité stylistique et les changements de ton du support littéraire, se démarque trop peu du reste des "coming of age movies", ces films sur le difficile passage de l'adolescence à l'age adulte. Le panel de personnages stéréotypés qu'il propose n'y est sans doute pas étranger, de Patrick (Ezra Miller), homosexuel jovial qui se fait un devoir d'amuser la galerie pour cacher son mal être, à Sam (Emma Watson), jolie fille attirée par les mauvais garçons qui se demande pourquoi diable elle n'est pas heureuse en amour, en passant par une brochettes de personnages secondaires peu avares de poncifs (l'adolescente fan de hard rock au caractère apparemment bien trempé mais qui dissimule un côté fleur bleue ou le quaterback cachant son homosexualité pour préserver sa réputation).
Une galerie d'autant plus agaçante que tout ce petit monde semble se gargariser de sa propre marginalité et de sa cool-attitude peu convaincante. Fort heureusement, chaque personnage est sauvé à sa façon par l'acteur qui l'interprète. Ezra Miller, à des années lumière de son rôle dans We Need To Talk About Kevin est formidable dans le rôle de l'extraverti Patrick et vole la vedette en une réplique à ses interlocuteurs plus expérimentés que sont Emma « Harry Potter » Watson et Logan Lerman, touchant mais fatalement bridé par le rôle du trop inexpressif Charlie.
Porté à bout de bras par son casting, Le Monde de Charlie propose tout de même quelques vrais moments d’émotion et parvient à s'adresser à l'adolescent qui sommeille en chaque spectateur. Stephen Chbosky confie dans la note de production qu'il souhaitait s'adresser a toutes les générations et pas simplement à la sienne. L'époque à laquelle se déroule l'histoire est donc volontairement floue. Le spectateur sait simplement qu'il s'agit d'un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître (le lecteur, lui, sait qu'il s'agit de l'an de grâce 1991), une époque reculée à laquelle les jeunes s'offrent des compils de musique sur cassettes audio pour se témoigner leur affection et où mettre un nom sur une chanson entendue à la radio devient, faute d'internet, une véritable quête du Saint Graal (en l’occurrence Heroes de David Bowie). Cette volonté de plaire à tout le monde se ressent également, et c'est plus dommage, dans l'esprit trop bon enfant qui se dégage de l’œuvre de Chobosky, dont la conversion en pellicule s'est faite au détriment de sa subversivité.
D'aucuns pourront alors reprocher à Stephen Chbosky un manque d'audace dans l'adaptation de son best-seller qu'une vision extérieure (un autre réalisateur par exemple) aurait certainement pu corriger. Le Monde de Charlie se place malgré tout franchement au-dessus de la moyenne des « teenage movies ».