Zero Dark Thirty
Le 20/12/2012 à 17:45Par Jonathan Deladerriere
CRITIQUE DU FILM ZERO DARK THIRTY
Une cicatrice toujours convalescente, une héroïne isolée, un croquemitaine commun à toute une nation et une exaltation patriote à la limite du nationalisme exacerbé; il n’en fallait pas plus pour que l’ex-madame James Cameron parte en guerre contre l’extrémisme religieux du moyen orient… Alors donc que le sixième festival international du film d’Abu Dhabi (tenu fin octobre aux Emirats arabes unis) mettait à l’honneur trois réalisateurs assumant le débat à travers leurs œuvres, qu’en est-il du propos des cinéastes d’outre atlantique ?
Ce « Zero Dark Thirty », ce « minuit trente », c’est, en jargon militaire, l’heure à laquelle le commando Navy Seal américain entra en action. L’intervention eut lieu le 2 mai 2011, dans une forteresse pakistanais. Une forteresse dans laquelle, reclus, le terroriste Oussama Ben Laden sera abattu. Mais de ces années de traques, de mobilisations de troupes, de recherches de renseignements, de tortures niées, que reste-t-il vraiment, plus de dix ans après, de cette cavale sans précédent ? C’est ce qu'a souhaité raconter la metteuse en scène, avec toute l’implication qu’on lui connaît, soutenue par tout un pays comme, on s’en doutait, par l’académie des Oscars…
Oeuvre consensuelle ou réelle remise en cause du discours officiel ? Quid de ce projet aussi casse gueule et polémique que prometteuse et captivante ?
ON NOUS ATTAQUE !
C’est donc cette recherche du chef spirituel du réseau djihadiste Al-Qaida, auto-proclamé responsable des dramatiques attentats du 11 septembre 2001 à New York, qui entrainera l’Amérique dans un conflit de plus de 10 ans. Des montagnes d’Afghanistan aux bidonvilles du Pakistan, c’est le travail sans répit d’une analyste de la CIA (formidable Jessica Chastain) que choisit de prendre comme colonne vertébrale du récit la réalisatrice de Strange Days.
Le film de celle qui mît tout le monde d’accord avec Aux frontières de l’aube fait tout d’abord le choix de simplifier sa démarche et d’écrire son parcours en trois actes. Comme à son habitude, celle-ci imprime dans la rétine du spectateur, et dès la première bobine, certaines scènes assez insoutenables d’actes guerriers (tortures, interrogatoires, attentats). Brûlant pamphlet nécessaire à la compréhension d’une nation qui souhaite faire le deuil d’un traumatisme toujours rougeoyant (et peut-être pour éviter toute chasse aux sorcières meurtrières), Bigelow nous plonge en pleine salle d’interrogatoire. La démarche est brute mais sincère, quoi que peut-être un peu facile… Cette première descente aux enfers, soutenue par un acteur en état de grâce (Jason Clarke est parfait en bourreau aussi impitoyable que tourmenté), laisse le spectateur le souffle court, oubliant parfois que cette mise en scène volontairement inégale et frontale (on pense souvent à The Shield) n’existe que pour soutenir l’immersion.
For God and country
C’est malheureusement à ce moment, lors du second tiers, que les partis pris de la réalisatrice montrent leurs limites. Ce passage du documentaire choc au bras de fer bureaucratique entre les hautes instances et cette femme mue par ses certitudes, plombe alors vite le rythme et fait retomber la pression… Passer des couloirs dangereux, bruyants, et surpeuplés d’une ville aussi hostile qu’indéchiffrable, à ceux d’un immeuble de bureaux où se joue l’avenir du monde : difficile de conserver toute l’attention d’un spectateur alors circonspect.
La cinéaste, comme le cinéphile, connaît la suite de l’histoire et n’attend alors plus qu’une chose. L’explosion de violence qui en découle, l’affirmation d’une suprématie américaine, ici justifié par un propos assez larmoyant voir rétrograde. Après donc avoir précipité le spectateur derrière la porte que le gouvernement tachait de maintenir close, la cinéaste met alors toute son énergie pour expliciter les différents rouages amenant à la capture du terroriste. Une fois la mécanique administrative digérée (James Gandolfini est une nouvelle fois parfait en conseiller du président), il est temps de passer à l’action. Et pour ça, Kathryn Bigelow maitrise son office, Demineurs en témoigne.
Délaissant son analyste et la mise en péril de sa carrière pour passer en mode Call of duty (qui est toujours le jeu vidéo, enfin le produit culturel le plus vendu au monde), Bigelow entame sa conclusion et laisse éclater sa rage. Caméra à l’épaule, sur une musique oppressante, en vue subjective et lunettes à vision nocturne, on lorgne ici avec de gros sabots vers le final du Silence des agneaux ! Emmené par le souvent efficace Joel Edgerton (Star Wars, The Warrior), l’équipe d’intervention, une demi heure durant, nous donne les palpitations attendues et démontre qu’il ne faut pas voler dans les plumes de l’oncle Sam.
Fable théâtrale et géopolitique en 3 actes alternant avec un certain savoir faire face à face avec les exactions les plus crasses, scepticisme bureaucratique et explosion finale sans surprise mais à la maitrise formelle indéniable, Zero Dark Thirty ne brille pas forcément pas son absence de manichéisme ou par ses multiples niveaux de lecture. Inutile toutefois d’avouer qu’il trouvera à coups sûrs ses aficionados, notamment lors de la prochaine cérémonie des statuettes, la thématique étant déjà gagnée d’avance.