Les Beaux Gosses
Le 10/06/2009 à 14:37Par Yann Rutledge
Notre avis
Comme son amie Marjane Satrapi (Persepolis) avant de livrer son premier film, Riad Sattouf vient de la BD où il a fait ses armes avec son personnage macho Pascal Brutal (chez Fluide Glacial), ses chroniques adolescentes Retour au collège et La vie secrète des jeunes publiées chaque semaine dans le bête et méchant Charlie Hebdo, dans lesquelles il dresse un portrait juste de la jeunesse d'aujourd'hui, à la fois grande gueule, nigaude mais perspicace. Expert ès-relations adolescentes, Sattouf se tourne sans grande surprise pour son premier film vers la teen comedy. Mais comme l'ont maladroitement démontré Enki Bilal et Frank Miller, faire un dessin et faire un film n'est pas la même affaire. Or Riad Sattouf dissipe dès les premières images toutes les appréhensions liées au projet.
D'abord Les Beaux Gosses, c'est quoi ? C'est l'histoire de Hervé, un ado moyen de 14 ans, ingrat physiquement et débordé par ses envies de sexe, qui un jour sans très bien comprendre comment a une touche avec Aurore l'une des plus belles filles de la classe. Grande gueule et vantard devant son meilleur pote Camel, Hervé est un véritable boulet maladroit en tête-à-tête avec sa nouvelle copine. Encouragé par son pote, il tentera de braver sa timidité de puceau pour coucher avec elle... Et en avant pour quatre-vingt-dix minutes de leçons de french kiss, d'anatomie féminine, de discussions cul et de branlettes dans des chaussettes sur les belles pages de La Redoute ou devant le www.mamans-trop-bonnasses.com (en guest star Valeria Golino !) dans la plus pure tradition de la teen comedy bien con. L'image que donne Les Beaux Gosses de l'adolescence n'est pas la plus flatteuse qui soit - c'est le moins qu'on puisse dire - et pourtant, elle correspond à un état de fait, inutile de le nier. A 14 ans, comme nous tous ici, vous aviez un physique ingrats, la peau grasse, boutons bourgeonnant, parliez mal à vos parents et aux profs (vous parliez mal tout court en fait), et par dessus tout le sexe était (chez vous messieurs) une obsession, une idée fixe maladive, centre de toutes vos jactances entre potes.
Ce qui aurait pu n'être qu'une innocente comédie pipi-caca relevée par des dialogues qui font mouche se révèle au final un film sincère et jamais moqueur sur l'affirmation de soi à travers les premiers émois sentimentalo-sexuels adolescents. Une denrée trop rare sur les écrans. Les Beaux Gosses tient ainsi plus du cultissime Breakfast Club (affirme-toi par toi-même, ne laisse pas l'autorité te dire qui tu dois être), de Supergrave (le thème du passage à l'âge adulte) et de la série Freaks and Geeks que de la consternante chronique de la jeunesse dorée parisienne, Riad Sattouf ayant en effet plus de tendresse pour les exclus et les ados mal dans leur peau que pour le beau blond populaire sourire colgate.
Et c'est précisément là que réside la réussite du film, tout autant que l'humour sympathiquement puéril hérité d'American Pie. Lorsqu'un personnage s'affirme en dehors du moule imposé, le cinéma français a pour habitude d'en faire un ringard à pointer du doigt et à méchamment moquer (cf. Cyprien et les comédies de Dubosc/Onteniente). Dans la lignée des grands de la comédie populaire US (la clique Apatow, les frères Farrelly, Hugues...), Sattouf estime que nous avons tous un "loser" tapi en nous, et c'est précisément ce "loser" qui participe à forger notre personnalité. Refusant à l'instar de Paul Feig et Judd Apatow pour Freaks and Geeks de brosser l'ado dans le sens du poil, doté d'une finesse d'esprit et d'une compréhension du monde comme personne, Sattouf compose des personnages archétypaux (au point d'en travestir d'une perruque certains) tels que la binoclarde, la catho, l'invisible, le souffre-douleur, la petite frappe, le hippie, etc, autant de personnages bourrés de défauts (stupide, pleutre, moche, menteur, mesquin...) mais dotés d'une réelle et profonde personnalité.
Ce n'est clairement pas tant par les péripéties jalonnant le récit que se distingue Les Beaux Gosses mais profondément par l'approche pragmatique que cache le projet. Sans en dévoiler trop, le métrage ne se clôt en effet pas sur la traditionnelle note moralisatrice ou pire mystificatrice qui veut que la relation amoureuse nouée durant le métrage soit le grand Amour véritable et éternel. Pas de morale simpliste limite conservatrice ici mais un regard sensé et lucide sur l'amour. Et c'est véritablement touchant.
Première publication de la critique : 20/05/2009