Millenium Partie 1 : Les Hommes qui n'aimaient pas les Femmes
Le 24/04/2009 à 08:08Par Elodie Leroy
Pour ceux qui n'auraient pas mis les pieds dans une librairie depuis quelques années, la trilogie Millenium de Stieg Larsson est l'un des succès littéraires phares de ces dernières années. Publiée en Suède en 2004 et en France deux ans plus tard, la saga continue d'occuper le top 3 des meilleures ventes sur l'hexagone où elle s'est vendue à plus de 2,6 millions d'exemplaires, chiffre estimé à 10 millions à l'échelle du monde entier. Un succès amplement justifié auquel l'auteur n'aura tristement pas pu assister puisqu'il est décédé juste après avoir remis les trois tomes à son éditeur. Une fois n'est pas coutume, Hollywood ne s'octroie pas la récupération du phénomène puisque Millenium fait l'objet d'une adaptation dans son propre pays, la Suède, qui explorte ainsi son premier vrai blockbuster. A l'origine, seul le premier volet, Les hommes qui n'aimaient pas les femmes, devait sortir en salles, La fille qui rêvait d'un bidon d'essence et d'une allumette et La Reine dans le palais des courants d'air devant faire l'objet d'une série de quatre téléfilms. Mais compte tenu du carton du premier opus dans son pays et de son gros potentiel à l'international, la chaîne de télévision publique SVT a changé d'avis et les suivants sortiront bel et bien au cinéma en Suède sous forme de longs métrages. Ceux qui ont lu Les hommes qui n'aiment pas les femmes ne démentiront pas : l'histoire possède toutes les qualités requises pour engendrer un excellent film, à savoir un scénario reposant sur un mystère intrigant, des personnages dotés d'une réelle épaisseur psychologique et un découpage prêtant particulièrement au cinéma. Seulement voilà, le film tombe à peu près dans tous les panneaux typiques des adaptations trop rapprochées en date des œuvres dont elles s'inspirent et qui manquent par conséquent de recul. Il s'avère en outre rapidement que le réalisateur Niels Arden Oplev n'était pas du tout l'homme de la situation.
Le premier reproche que l'on émettra tient à la piètre qualité de l'écriture d'un scénario qui, sous couvert de reprendre pas à pas les éléments essentiels du matériau de base, passe en réalité complètement à côté de son sujet. De l'intrigue riche et captivante du roman, Niels Arden Oplev ne conserve que la colonne vertébrale, à savoir l'enquête policière, et évacue d'un revers de main toute la critique de la société suédoise qui l'accompagne. En effet, Millenium I : Les hommes qui n'aimaient pas les femmes ne saurait se résumer à une simple histoire de meurtres en série agrémentée de quelques scènes de viol et de torture. Connu pour son engagement contre l'extrême droite et les discriminations en tous genres (le sexisme et le racisme, notamment), Stieg Larsson développait en arrière plan des thématiques fortes telles que le passé nazi de la Suède, la corruption régnant dans le milieu du journalisme économique ou encore tolérance insupportable (et bien universelle) vis-à-vis des violences perpétrées contre les femmes. Autant de thèmes subversifs qui se retrouvent ici réduits à de simples anecdotes tout juste bonnes à être évoquées au détour d'une conversation, sans aucun effort de mise en perspective par rapport à la société dans son ensemble. Le résultat est que l'histoire perd considérablement de son intérêt, quand elle ne devient pas tout bonnement racoleuse. Le propos féministe gommé, les scènes de violence sexuelle paraissent ainsi vulgairement opportunistes.
Si encore Niels Arden Oplev avait fait preuve de suffisamment d'inspiration artistique pour délivrer un thriller atmosphérique digne de ce nom, l'indulgence aurait pu être de mise. Malheureusement, le réalisateur se contente d'enchaîner les "champ contre champ" paresseux, peu mis en valeur il faut le dire par un montage trop rapide, qui prend constamment le risque de larguer en route le spectateur non-initié. Le décor, qui constituait dans le roman un personnage à part entière, se voit d'ailleurs tellement sous-exploité (en plus de n'être pas exempt de quelques incohérences) qu'il est impossible au spectateur d'envisager l'espace de manière globale. Pour ce qui est de l'enquête à proprement parler, là où Stieg Larsson stimulait les méninges du lecteur en décrivant minutieusement les dernières actions de Harriet Vanger répertoriées le jour de sa disparition, le film survole le sujet en deux ou trois répliques, tout comme il survole honteusement les personnalités hautes en couleurs des différents suspects de l'enquête que sont les membres de la famille Vanger (la plupart n'apparaîtront que sur un seul plan). Exit l'aspect ludique de soupçonner tour à tour les uns et les autres. Les indices menant à la solution de l'énigme semblent d'ailleurs avoir été semés comme par magie sur le chemin de Mikael Blomqvist et Lisbeth Salander. Il n'y a qu'à voir la facilité avec laquelle ces derniers retrouvent la photo prise quarante ans plus tôt par une passante à la Fête des Enfants pour se convaincre de la négligence des scénaristes.
Dire que Les Hommes qui n'aimaient pas les femmes constitue un ratage sur tous les tableaux serait cependant abusif. Le matériau de départ s'avère suffisamment bon pour assurer au film un minimum d'efficacité narrative. L'équipe du film peut aussi se féliciter d'avoir déniché l'actrice idéale pour incarner le personnage culte du roman, Lisbeth Salander, jeune femme déjantée, dotée d'un esprit aussi brillant que révolté. En plus de posséder le physique adéquat pour le rôle voire de correspondre incroyablement à la description, Noomi Rapace révèle un charisme indéniable et adopte un jeu très intériorisé, exprimant sans aucune fausse note les sentiments de son personnage, dans sa rage contenue comme dans ses explosions de violence. Les scènes très dérangeantes avec le tuteur s'avèrent à ce titre plutôt réussies de par leur brutalité réaliste, inenvisageable dans la plupart des blockbusters. Le bilan s'avère nettement plus mitigé en ce qui concerne le choix de Michael Nyqvist, trop vieux et surtout trop insipide pour tenir le rôle du journaliste de Millenium. Preuve qu'il ne suffit pas d'avoir la cote auprès du public local pour se fondre dans la peau d'un personnage. A la décharge du comédien, il faut souligner que tout trait de caractère de Mikael Blomqvist susceptible de déranger la bonne morale a été passé à la trappe, réduisant le bonhomme à un célibataire inoffensif et aseptisé, ne manifestant d'ailleurs aucune révolte particulière à l'égard du système tentaculaire dont il a été victime dans l'affaire Wennerström. Plutôt qu'à un Superblomqvist, disons que nous avons affaire à un Miniblomqvist. Son union libre avec Erika Vanger (Lena Endre) et la bigamie de cette dernière ont d'ailleurs été supprimées. Il en va de même pour toute intrigue relative au journal Millenium, au point que le non-initié pourra légitimement se demander pourquoi la saga s'est vue affublée d'un tel titre...
Reste à voir les deux volets suivants pour se faire opinion définitive, notamment sur les éléments absents du film. Mais à l'heure actuelle, cela nous coûte de l'admettre mais nous en venons presque à souhaiter qu'un remake hollywoodien soit lancé dans les prochaines années pour réparer la frustration engendrée par cette version. Un comble.