Mon espion préféré

Ils sont quand même très forts chez Millenium. En moins d'un mois, ils auront quand même réussi à nous énerver deux fois. La première, on le rappelle, c'était pour avoir exhumé dans tous les cinémas du monde les corps de Robert de Niro et Al Pacino dans un thriller faisandé qui sentait bon la naphtaline, et en obligeant les deux hommes à promouvoir cette immondice avec la plus odieuse des langues de bois ("c'est le meilleur scénario que j'ai lu depuis longtemps" - no comment). Même si Bob et Al n'avaient pas attendu les anciens de Nu Image pour tourner dans des navets, il fallait en vouloir pour arriver à égratigner l'image de ces deux géants : Millenium l'a fait. Mais avec Mon espion préféré, il ont vraiment commis l'irréparable. Car s'il y avait bien une icône, une seule icône du cinéma américain à laquelle il ne fallait pas toucher, c'était bien Meg Ryan.

Alors oui, pour le cinéphile de base, cette dernière phrase peut prêter à rire, tant il est vrai qu'aux côtés de De Niro et Pacino, les déboires artistiques de la "petite fiancée de l'Amérique" semblent bien anecdotiques. Pourtant... Pourtant malgré un bon paquet de films très moyens, cette dernière avait réussi jusqu'à aujourd'hui à conserver cette fraîcheur unique qui faisait que 20 ans après Quand Harry rencontre Sally, elle restait aux yeux de tout le monde l'incarnation de la romance moderne. Même dans des productions sans grand intérêt tels que Kate & Leopold, Addicted to love, Raccroche et même cette ignominie avec Russell Crowe que tous ses fans se sont pressés d'oublier, la blonde au sourire d'ange arrivait à maintenir l'illusion qu'elle possédait toujours ce charme pétillant qui avait fait sa renommée dans le chef d'œuvre de Rob Reiner. Mais dans Mon espion préféré, le mythe s'effondre. Celle que l'on avait tellement aimée chez Nora Ephron, celle qu'on avait envie de réconforter après la mort de Goose dans Top Gun, celle qui était si belle aux côtés de Nicolas Cage dans le remake des Ailes du Désir par Brad Silberling, aujourd'hui et pour la première fois ne nous a pas touché. Un drame pour l'auteur de ses lignes.

Il est dur, très dur, même pour ses plus fervents fans de la voir cabotiner dans cette comédie sans saveur, qui évite de sombrer dans la médiocrité uniquement parce qu'elle a la décence de ne pas se prendre pour ce qu'elle n'est pas. En nous offrant un best-of de ses mimiques (qui fonctionnaient encore il ya quelques années, mais qui aujourd'hui sonnent irrémédiablement faux sous ce masque de plastique qu'elle arbore depuis sa dernière opération de chirurgie esthétique), la belle semble résignée. Finie la période In the Cut, où Ryan tenait à ce que tout le monde comprenne qu'elle ne voulait plus être assimilée aux comédies romantiques. Dans Mon espion préféré c'est comme si, lasse de ne pas avoir trouvé le rôle de contre-emploi qu'elle attendait depuis des années, elle tentait finalement de se rappeler à notre bon souvenir en tirant de manière pataude sur la fibre nostalgique. Un réflexe d'artiste blessé, qui rappelle un peu ces chanteurs qui, à défaut d'inspiration, ressortent le même tube tous les ans pour que le public ne les oublie pas. Mais nous, nous le l'avions pas oubliée. Nous ne l'oublierons jamais d'ailleurs. Ce que nous effacerons de notre mémoire en revanche, c'est cette miteuse tentative de séduction, dans laquelle Meg Ryan se rabaisse à faire du Meg Ryan pour continuer à apparaître sur les grands écrans. C'est bien triste, car elle mérite bien mieux que ça.