Nuits d'Ivresse Printanière
Le 13/04/2010 à 18:37Par Elodie Leroy
Découvrez ci-dessous la critique du film nuit d'ivresse printanière...
Critique nuit d'ivresse printanière
En 2006, on frôlait l'incident lorsque le Festival de Cannes projetait Une Jeunesse Chinoise, quatrième long métrage de Lou Ye abordant la répression du mouvement étudiant de 1989 à Tian An Men. Interdit dans son propre pays, le film avait valu à son auteur une interdiction de tournage de cinq ans. Mais Lou Ye, l'homme de toutes les controverses, n'a pas mis d'eau dans son vin pour autant. Avec son nouveau film, Nuits d'Ivresse Printanière, tourné clandestinement avec des financements français et hongkongais, le cinéaste continue de briser les tabous en se penchant cette fois sur une liaison homosexuelle. Un choix osé dans un pays où l'homosexualité est encore officiellement considérée comme une maladie mentale. Pourtant, le cinéaste se défend de toute intention de se faire porte parole d'une cause : "Je n'ai pas choisi l'homosexualité comme sujet de mon film", explique-t-il. "C'est avant tout une histoire d'amour. Ce qui m'intéresse, ce sont les relations humaines." Au bout de ces nuits d'ivresse printanière, la passion obsessionnelle et donc inévitablement destructrice, mais aussi de la quête de soi et peut-être la solitude.
Plongée clandestine et atmosphérique dans la vie nocturne de Nankin, étreintes fiévreuses sous la douche ou dans une cabane isolée au sein d'une forêt pluvieuse, les moments forts de Nuits d'Ivresse Printanière jaillissent avec une sincérité et une sensualité à fleur de peau. Depuis l'étonnant Suzhou River, la caméra de Lou Ye n'a rien perdu de sa capacité à saisir la vérité intime des êtres, à déployer leur soif d'amour à l'écran. Les lumières pâles sont entêtantes et le film toujours plus envoûtant, cependant que la présence de quelques longueurs ne suffira pas à mettre en danger l'émotion qui s'empare peu à peu du spectateur devant les errances de Jing Cheng (Qing Hao), Luo Haitao (Chen Sicheng) et Li Jing (Tan Zhuo). Il faut dire que les personnages de Nuits d'Ivresse Printanière sont d'une authenticité telle que l'on en oublie vite qu'ils sont incarnés par des comédiens. Ces derniers révèlent tous un naturel étourdissant, à commencer par Qing Hao, beau et troublant en amant lucide sur l'inéluctable lâcheté de ses partenaires. Et tandis que les déhanchés décomplexés de Luo Haitao devant son miroir évoquent de loin la danse narcissique de Leslie Cheung dans Days of Being Wild de Wong Kar-Waï, les femmes du film sont plus que jamais mises en déroute par la dissimulation de leur corps, de leurs charmes, à l'écran. Une occultation qui fait écho à la détresse de l'épouse de Wang Ping (Wu Wei) face à un amour qui échappe à sa compréhension, en plus de ravager son couple. Au contraire, la jeune Li Jing (Tan Zhuo), petite amie de Luo Haitao, se place au-dessus des carcans sociaux pour accepter la liaison des deux hommes comme ce qu'elle est, une émotion intime entre deux êtres. Comme pour ajouter à l'universalité du propos, le titre du film reprend celui d'un roman de Yu Dafu, première inspiration de Lou Ye lors de l'écriture de Nuits d'Ivresse Printanière, au point de citer directement certains passages de l'œuvre dans son film.
Centré sur la passion amoureuse, Nuits d'Ivresse Printanière n'abordera donc pas les discriminations homophobes. Ainsi, l'impact de la révélation brutale en public des orientations de Jing Cheng par une épouse désespérée sera éclipsé du récit. L'homosexualité n'est certes pas le thème central de Nuits d'Ivresse Printanière mais elle constituera très certainement un prétexte suffisant pour que le film soit refusé par la Censure chinoise. Surtout sachant que cette dernière s'offusquait déjà, à l'époque d'Une Jeunesse Chinoise, non seulement du propos sur Tian An Men mais aussi de la représentation à l'écran de relations adultères (comprendre, en dehors mais aussi avant le mariage). Nuits d'Ivresse Printanière risque de lui donner du fil à retordre, d'autant qu'aux tabous sexuels s'ajoute l'évocation explicite du travail clandestin dans les usines de contrefaçon chinoise. "Je pense qu'il n'est pas normal qu'un réalisateur n'ait pas le droit de travailler", commente Lou Ye quand on l'interroge sur son interdiction de tournage de cinq ans. Mais avec le temps, une lueur d'espoir pointe-t-elle à l'horizon ? "Il y a actuellement de la part de bon nombre de réalisateurs chinois un fort mouvement de critique contre le système du Bureau du Cinéma", explique le cinéaste. "Le Bureau s'est assoupli depuis quelques années, et même si ce n'est pas encore suffisant, il est un peu plus ouvert et accepte plus de films qu'avant. Mais il y a encore beaucoup de films avec un contenu politique ou social qui ne reçoivent pas son aval." Espérons que la liberté d'expression finira par triompher, à force de persévérance et de courage.