Silent Hill
Le 21/04/2006 à 08:00Par Aurélie Vautrin
Notre avis
Depuis Le Pacte des loups, Christophe Gans a changé et est à la fois resté le même. On retrouve ainsi chez le réalisateur toute sa propension à soigner à l'extrême l'esthétique de ses images. Que ce soit l'apparition d'un monstre, une scène d'action dans un couloir, des plans anodins sur une voiture roulant vite, un simple mouvement de caméra à l'intérieur du véhicule, Rose parcourant son jardin en petite tenue ou se tenant allongée contre un arbre avec sa fille, chaque plan est d'une beauté à couper le souffle. Gans sait quand et comment faire bouger sa caméra, et lorsque le cadre se fixe pour des dialogues ce sera toujours sous un angle, avec des décors en fond ou une lumière bien précise pour que l'ensemble reste riche et cohérent. L'univers esthétique de Silent Hill est maîtrisé dans les moindres détails et l'immersion qu'il propose rappelle à ce niveau l'efficacité de ses précédents films. En même temps, la fracture avec Le Pacte des Loups est immense, notamment par un style beaucoup plus sobre et posé. Pas de ralentis, pas d'accélérations, tout passe dans les cadres, le découpage et le montage (Sébastien Prangère et David Wu sont encore de la partie), ce qui en soit s'imposait de par le sujet.
Cette exigence artistique de cinéaste démarque immédiatement Silent Hill des Resident Evil et autres apocalypses sur pellicule, en sentant sur toute sa durée le bon cinéma. Le pari d'un jeu vidéo transformé en film est donc relevé avec un brio esthétique et grammatical à faire rougir de honte le moindre blockbuster tiré d'un scénario original. En ça, et malgré les défauts que nous allons relever, Silent Hill marque un tournant : celui du film d'horreur moderne à l'univers riche et passionnant sur tous les niveaux. Exit les Mila Jovovich ne trouvant de consistance qu'en brandissant ses flingues et ses highkick, et même Romero prend un coup de ringardise avec son Land Of The Dead . C'est dire.
Le revers de la médaille était alors de tomber dans les pièges des jeux vidéo qui même dans les cas les plus fouillés comme la saga Silent Hill se permettent des simplifications scénaristiques. Si le tissu narratif global du film est fluide et parfaitement adapté au grand écran, on note tout de même quelques petits signes de faiblesse, notamment dans l'introduction. Vite expédiée, elle ne semble en effet presque servir que de prétexte à rentrer dans le vif du sujet. Un choix radical pardonnable lorsqu'on a une manette entre les mains mais qui devient légèrement frustrant à l'écran. Heureusement, Silent Hill appartient à cette catégorie de films où le meilleur est à venir et non l'inverse, et parvient à se faire rapidement pardonner ce raccourci. Cet exemple met en valeur un piège de l'adaptation voulue parfaite : en bâclant ses dix premières minutes, l'histoire rappelle l'espace d'un instant qu'elle est tirée d'un jeu, qui, à l'instar du genre entier, cherche à exposer les faits en même temps que le sujet au détriment d'une introduction que tout le monde aurait zappé en pressant le bouton "Start".
Le film démarre véritablement au moment où Rose (Radha Mitchell) prend la route avec sa fille. Le jeu nous plongeait progressivement dans un cauchemar éveillé, le film y parvient également. Certes les frissons ne sont plus tout à fait là où ils étaient sur console, les conditions n'étant plus les mêmes : nous ne sommes plus seuls dans une pièce face à notre écran et aux commandes de notre alter-ego virtuel en danger de mort, mais dans une salle de cinéma présentant un film à l'expérience ne durant "que" deux heures. Pour contourner cet handicap, Silent Hill possède deux atouts majeurs : le premier est l'atmosphère oppressante et malsaine du jeu totalement palpable ici, le second est la présence d'un réalisateur connaissant parfaitement les codes du film d'horreur et arrivant à instaurer quelques moments de haute tension chez le spectateur. Il serait difficile de dire que Silent Hill fait peur tellement ce serait réducteur : ses qualités vont bien au delà des simples sursauts d'un slasher banal. La plongée dans le cauchemar est progressive, et jamais sur toute l'histoire on ne se sent à l'aise, que ce soit dans les scènes plongées dans les ténèbres où les monstres apparaissent, ou celles de lumière où le mystère et l'inquiétude planent constamment.
La plus grande réussite au delà de la reconstitution de la ville enfouie dans la brume et les cendres réside incontestablement dans le passage vers la dimension des ténèbres. La recette demeure relativement simple : une sirène se met en route au loin, la lumière baisse jusqu'à disparaître et laisser la place à un écran noir. Rose s'éclaire alors avec ce qu'elle peut (un briquet, une torche) et découvre le décor se transformant de ruines en un cauchemar rouillé où les créatures de Dante prennent vie et hurlent leur douleur en avançant vers leurs victimes. Le tout porté par une bande-son démentielle, démonstrative à souhait et pourtant d'une richesse et d'une finesse inouïe.
Si Gans impressionne par ses goûts artistiques, ils se prolongent jusqu'au niveau des effets spéciaux. Usant d'artifices mécaniques ou d'acteurs pour la plupart des créatures, les effets générés par ordinateur se montrent bluffant. Passé la première attaque de monstres dans une ruelle (où leur chaire en synthèse demeure trop voyante), les effets s'enchaînent tout en étant merveilleusement intégrés aux personnages et décors. L'ensemble est organique, dérangeant, bref mit en scène avec le même soucis d'esthétisme que le reste, lui apportant là encore une cohérence manquant aux autres adaptations de jeux vidéos vite moulinées.
L'autre inquiétude que l'on pouvait avoir se situait au niveau des acteurs. Connu pour rester un peu trop derrière son combo sur les plateaux de tournage, Gans n'a jamais été un excellent directeur d'acteurs. On aura donc une nouvelle fois quelques reproches à l'encontre des deux personnages principaux : Radha Mitchell remplit parfaitement sa figure esthétique de femme fragile en détresse, mais perd en partie de sa crédibilité lorsqu'elle est obligée de débiter ses dialogues. Laurie Holden de son côté cherche trop à coller à son personnage de femme forte (forcément, elle est flic) et ne nuance pas assez son jeu pour ne pas paraître de temps en temps caricaturale. L'énorme surprise provient alors des personnages secondaires, à commencer par Deborah Kara Unger en sorcière humaine et torturée, et la jeune Jodelle Ferland qui incarne trois personnages avec brio. Sans oublier Alice Krige et son timbre de voix terrorisant qui font de ce gourou hanté un personnage fascinant. Sean Bean de son côté remplit son rôle en faisant du Sean Bean, dans une intrigue secondaire qui paraîtrait futile si elle n'était pas aussi bien découpée dans l'histoire et n'amenait pas à une conclusion assez troublante (bien qu'étant le seul élément prévisible du film). Bref, Silent Hill trouve en ses deux acteurs principaux des éléments esthétiques redoutables, mais handicapant lors des scènes de dialogues. Une caractéristique finalement assez proche de la mentalité des plus grand classiques d'horreur, où les actrices - souvent fétichisées - ne servait que d'instrument artistique.
L'histoire en elle-même reprend les forces et faiblesses du jeu, à savoir un développement progressif impressionnant ayant pour point de départ un postulat en apparence trop simpliste. Son originalité n'est certes pas sa première qualité, mais la manière dont elle est dévoilée au fur et à mesure par des non dits avant d'éclater dans un flashback et un final sous forme de bain de sang gore hautement jouissif, lui confère toute la justesse que l'on pouvait espérer, avec les défauts encore inhérents au genre.
Silent Hill s'impose donc comme une révolution en matière d'adaptation de jeu vidéo à l'écran, mais bouscule également le genre complet du film d'horreur populaire tel que nous le voyons depuis une dizaine d'années au cinéma. Son ambition lui apporte une force considérable et quelques petites faiblesses qui, à la sortie de la salle, ne sont pas sans rappeler que l'on vient de voir un film de Christophe Gans. Ce dernier marque également une petite rupture tant attendue dans sa (pourtant courte) filmographie : la réappropriation d'un sujet. La démarche est osée, le pari en partie rempli, et le plaisir incommensurable de découvrir autant de cinéma sur 2h07 de pellicule suffit à générer l'enthousiasme.