Stranger than paradise
Le 03/10/2007 à 09:39Par Sabrina Piazzi
En 1982, Jim Jarmusch réalise un court-métrage de 30 minutes intitulé Stranger than paradise. Deux ans après, les acteurs John Lurie, Eszter Balint et Richard Edson reprennent leurs rôles dans deux « suites » qui seront greffées à ce court-métrage (la première partie rebaptisée « The New World ») pour ce qui deviendra le deuxième long métrage de Jim Jarmusch. Avec ce film, le cinéaste approfondit les thèmes déjà abordés dans Permanent Vacation : des personnages en marge de la société, enfermés la plupart du temps entre quatre murs, sans but, inadaptés, sans avenir et désirant oublier leur passé et leurs racines.
Willie (John Lurie) semble vouloir oublier ses origines hongroises, refuse qu'on lui parle cette langue et voit d'un mauvais œil l'arrivée de sa cousine étrangère qui parle à peine l'anglais. Willie vit depuis dix ans aux Etats-Unis mais l'American Dream semble l'avoir mis sur le banc de touche. Engoncé dans son appartement (comme Chris Parker et sa compagne dans Permanent Vacation), Willie tombe amoureux de sa cousine et décide de prendre la route afin d'aller la retrouver à Cleveland un an après. Une fois réunis, ils décident en compagnie d'Eddie, l'ami de Willie, de découvrir le paradis de la Floride. Pour eux, les Etats-Unis deviennent une terre de désillusions et Miami, capitale du jeu, devient leur dernier espoir, finalement factice, d'un exil. Même lorsqu'ils se retrouvent un an après, les personnages ne parviennent toujours pas à communiquer.
La réalisation de Jim Jarmusch, composée essentiellement de plans fixes, semble ne proposer aucune échappatoire ou issue. Les personnages sont figés sur place : avancer ne les mène nulle part. Ce qu'Eva voit de New York en arrivant ne se résume qu'à l'aéroport, la rue de Willie et son appartement. Lorsqu'elle décide de rejoindre sa tante à Cleveland, son cousin la découvre un an plus tard travaillant comme serveuse et ayant perdue toute illusion. Willie « gagne » sa vie aux cartes grâce à la complicité d'Eddie, mais rentre directement chez lui pour manger des plats déjà préparés (des plateaux télés) et regarder le sport à la télévision. Aucun des personnages du film ne parvient à s'intégrer. Comme le résume Eddie : « N'importe où tout est pareil ». Le paradis tant convoité sera hors de portée, les trois personnages seront noyés sous la neige. Si le « Paradis » leur semblait proche, ils finiront par se perdre en chemin.
Jim Jarmusch fait appel à la sensibilité de chacun, le spectateur devant se faire sa propre interprétation des évènements à venir pour les personnages. Le Festival de Cannes ne s'y est pas trompé en récompensant le film de la Caméra d'Or en 1984.