Synecdoche, New York
Le 09/03/2009 à 12:51Par Arnaud Mangin
Pour son premier film en tant que réalisateur, le scénariste à tiroirs Charlie Kaufman s'est démené. Très démené... trop démené ! A force de trop jouer avec les cartes d'espace et de temps, d'univers parallèles, possédant eux-mêmes leurs propres sous-univers parallèles, où le nombrilisme épouse la schizophrénie (autobiographique), Synedoche New York pose des barrières que seul son propre auteur semble capable de traverser. Un film se nourrissant trop de son inaccessibilité démontrant que certaines œuvres ne devraient pas être uniquement celles d'un seul homme... ou comment écorcher de l'intérieur un très beau scénario. Pour le coup, une vraie déception !
On est comme vous, il y a quelques minutes à peine, on ne savait pas du tout ce que signifiait le terme synecdoque, accroche provocatrice du père Charlie Kaufman bien décidé à interpeller son public (grimaçant) devant l'affiche ou la bande annonce de son film. Une entrée en matière qui annonce la couleur sur l'expérience entière que constitue le visionnage de sa première œuvre en tant que réalisateur. Une sorte d'incarnation de la prise de tête magnifiée par un sens du baroque, dont les petits chefs d'œuvre que sont Eternal sunshine of a spotless mind et Dans la peau de John Malkovich constituent une carte de visite immanquable. Des ovnis enivrant qui semblent comparativement passer pour de simples essais sur ce que Kaufman s'est précieusement gardé sous le coude. Et oui, Synedoche New York est non seulement son nouveau script mais surtout l'échelon suivant à gravir dans son improbable univers à la psyché atteinte sur la moindre parcelle de cellule grise. Toute préparation sera aussi nécessaire qu'inutile, tant le bonhomme est plus rapide à construire des tiroirs que nous à les ouvrir... Au fait, la synecdoque, telle qu'on l'a comprise, c'est une sorte de dépendance entre des éléments dans le langage courant, à tel point qu'une partie peut suffire à résumer le tout. En gros, quand vous dites ''La France a gagné la coupe du monde'' au lieu de ''L'équipe de France de football a remporté la coupe du monde'', vous faites une synecdoque....
On se sent donc un peu moins bête. Mais comme toute définition entendue une fois et impossible à ressortir au milieu d'une conversation, on risque de l'oublier. C'est un peu la sensation que laisse planer l'incarnation filmique de la synecdoque selon Kaufman quelque part dans les tréfonds de notre boite crânienne. Le sentiment d'avoir été la victime d'un surplus des capacités d'un auteur dépassé par ses propres idées, comme punaisées jusqu'à l'infini sur un tableau. Le sentiment de savoir de quoi parle le film sans jamais arriver à correctement bien le raconter. A force de trop de "qui ?", "quoi ?", "où ?", "comment ?", qui dénoncent habilement une forme d'hypocondrie de son personnage principal (excellent Philip Seymour Hoffman, au demeurant), repérant une nouvelle maladie dont il est victime dans chaque support médiatique ou publicitaire, le film tenait là de quoi livrer un beau portrait de personnage, comme l'auteur a souvent l'habitude d'en livrer. Et comme souvent, le remède est pire que la maladie. Passant d'un premier thème évoqué précédemment (qui s'avèrera finalement être une fausse piste) à un autre encore plus touffu : en gros, on comprend mieux sa propre vie si l'on en est spectateur plutôt qu'acteur. Se remettre en question est plus aisé si c'est par procuration de sa propre biographie... Ainsi, un homme reconstruit son propre univers dans une réalité alternative avec des décors et des acteurs dont il est le metteur en scène et qu'il modifie en fonction de ce que le quotidien lui réserve. Les doubles des uns se mêlant de la vie des autres... Etrange non ? Et ça, ce n'est que le pitch de départ !
Jusque là, on est super open, Charlie Kaufman semble se déballer lui-même tout de go, parce que la schizophrénie latente dont il souffre n'est plus un secret pour personne si l'on s'est essayé à au moins l'un de ses scénarios. Le héros de son film trouve un homme pour jouer son propre rôle... un rôle de réalisateur qui nécessitera évidemment d'un second acteur qui jouera le rôle du premier et ainsi de suite... Le problème, c'est qu'en seul et bon maitre à bord, Kaufman n'arrive plus à dissocier ce qui est nécessaire de ce qui ne l'est pas, continuant d'embourber de page en page (de minute en minute), sa sculpture avec encore plus d'argile boueuse que nécessaire. Une telle satisfaction de son propre univers qu'il n'arrive pas à trouver le courage d'en sacrifier la moindre parcelle au point de desservir le film. Trop, c'est trop ! Chaque idée amène une déclinaison, elle-même matrice d'un autre élément, comme des poupées russes, sans jamais s'arrêter. A force d'implication, le film perd autant pied que son malheureux héros, plus brinqueballé par lui-même que par les malheurs ouvertement sadiques infligés ça et là. Abus de confiance, surcharge de talent... La grande qualité de l'auteur a fini par desservir le réalisateur.
Charlie Kaufman est une plume unique d'une fertilité stupéfiante, son Synecdoche, New York en est la preuve à chaque idée géniale surgissant ça et là, mais cette tentative sacrifiée est également la preuve qu'un autre cinéaste (formel par exemple, du type Gondry pour ne pas le citer) aurait du s'en mêler pour soigner cette œuvre malade. Trop malade pour que le spectateur ait le courage d'y remédier... Dommage, tenir jusqu'au bout ne fait que confirmer que l'on passe à côté de quelque chose de grand.