The Mist
Le 13/02/2008 à 12:13Par Arnaud Mangin
Oh la vache ! Il a mangé du lion le père Darabont. Toujours aussi fidèle à sa principale source inspiratrice - la littérature de Stephen King - l'un des faiseurs hollywoodiens les plus sages de sa génération capture son public par le col là où on ne l'attendait vraiment plus. Loin des jérémiades du pourtant très bon La Ligne verte ("J'ai tué un ange, je suis condamné à ne jamais aller au paradis, blablabla..."), The Mist demeure le fruit d'une étonnante remise en question post-The Majestic, mais surtout l'aboutissement d'une intime frustration artistique et sociale qui éclate comme une pelote de nerfs. Plus de vingt-cinq ans après la publication du roman original et suite à une gentille carrière de metteur en scène toute aussi longue, Frank Darabont épaule son fusil du bon côté et tire à bout pourtant sur la plus grosse idéologie fondamentale américaine depuis que les Etats se sont Unis.
The Mist, le brouillard qui permet d'y voir clair ?
Au départ, ça sent un peu la farce opportuniste avec des clins d'oeils grossiers à Carpenter et Leone, mais surtout le flirt timidement avoué avec le cinéma de genre au tournant d'une carrière devenue un peu plate. Thomas Jane se prend pour Tom Hanks, les raccourcis d'écriture sont incroyablement speed et on entre en quelques minutes seulement dans le nœud d'une intrigue - en apparence - un peu éculée. Celle d'un microcosme de base coincé dans un supermarché (le carrefour hétéroclite par excellence) alors qu'un brouillard massif façon The Fog s'abat violemment sur un petit patelin. On connaît la chanson, on s'entraide entre gens de milieux divergents et on se révèle sous son vrai jour dans les situations les plus dangereuses, en se barricadant contre l'inconnu façon Assaut, Alamo ou Romero... Si en plus d'horribles monstres tentaculaires parsèment les alentours, cachés dans la brume, il y a de quoi semer un vent de panique au rayon charcuterie. Et de la charcuterie, il va y en avoir...
Oui dans l'absolu et en apparence, Darabont se décomplexe totalement et succombe aux sirènes qui l'ont appelé depuis bien longtemps. Parce qu'il a toujours aimé les monstres, les bestioles sanguinolentes et le fantastique pur et dur rempli de créatures outrancières, il se libère enfin d'une frustration vieille de 20 ans. Son passif de scénariste sur des productions bis de tous calibres (le génial Blob de Chuck Russell, c'est lui) n'y est pas étranger et encore moins sa récente participation active mais non officielle au King Kong de Peter Jackson (un coup d'œil sur les 7 ou 8 heures de making of sont parlantes). Ca lui a donné envie, c'est une certitude, et surtout envie d'être généreux. C'est le cas. Mais comme c'est un type qui va de l'avant, au moins autant que le propos idéologique moderne de son histoire, il a également succombé aux efficaces méthodes de tournage rapide acquise sur celui de ses épisodes de The Shield, histoire d'être un peu plus rentre-dedans. On reconnaîtra que le film reste encore un peu gauche dans sa forme, trahissant parfois son tournage express de téléfilm, mais les motivations chocs et gores du cinéaste prennent rapidement le dessus. Parce que le monstre, le vrai, n'est pas l'énorme mollusque Lovecraftien déambulant à l'extérieur, mais bien le plus l'immonde sournois qui creuse insidieusement les tréfonds du psyché humain...
S'il rumine sa version de The Mist depuis deux décennies, ce n'est bien évidemment pas uniquement pour nous livrer un survival en huis clos de plus, mais bel et bien pour cracher à la face de ceux qui l'entourent, à la face d'une certaine humanité - son public premier, les Américains - le venin qu'il semble avoir trop longtemps conservé en travers de la gorge. Les gens ne sont fondamentalement pas mauvais. Ils sont mêmes "gentils par nature", lâche-t-il l'espace d'une ligne de dialogue. En revanche, ils sont d'une effroyable et abyssale connerie lorsqu'il ont décidé de s'y mettre, et bien plus encore lorsqu'il se comportent en moutons de panurge dans les situations de crise les plus inextricables. Parce qu'il est moderne donc, il ne se cache même plus pour tirer à boulet rouge sur l'évangélisme sous toutes ses formes et ses idées d'un autre âge. Ceux qui prodiguent comme ceux qui écoutent, les plus manipulateurs comme les plus naïfs, les fous comme les désespérés et probablement, en particulier, cette effrayante liberté d'opinion actuelle consistant à remplir les bouquins d'Histoire de relectures où hommes et dinosaures cohabitent sous la coupe bienfaisante de ces bons vieux Adam et Eve.
Darabont ne contient plus son amour pour le cinéma et la littérature horrifique, en l'occurrence ici celle de Stephen King (les deux hommes collaborent depuis plus de vingt ans), mais il déverse surtout cette longue frustration athéiste en giflant sans le moindre espoir les victimes d'excès religieux. Avec ce même élan de furie, il dépeint sans complexe l'Homme comme le singe qu'il a toujours été (eh oui !) et qui, devant l'inconnu, ne trouve rien de mieux que de se raccrocher aux dernières branches. Toujours avec cet élan, le cinéaste n'hésite même plus à qualifier certains représentants de pouvoirs (religieux, évidemment, mais aussi politiques) de malades dangereux qui conduisent l'espèce à sa perte en la contrôlant par la peur. Ca peut paraître dingue de sortir un film comme ça à une époque et dans un pays coincé sous une coupole manipulatrice d'une telle ampleur, mais il transpire de ce projet encore imparfait une rage complètement saine. Un appel à la réflexion indépendante, un maigre espoir pour la sagesse cartésienne et sans doute la volonté de sortir l'american way of life de ses stupides carcans. Quitte à exploser sans le moindre répit le cadre familial tant fantasmé... Un coup de boule rempli d'amour.
Bien évidemment, The Mist et ses deux heures de bon sens ne changeront pas les mentalités, parce que la brume symbolique n'aura jamais de cesse d'aveugler une majorité allumée. Mais il a le mérite d'affirmer une opinion aussi divertissante que nihiliste jusque dans son impressionnant final (ça ne plaira pas, et tant mieux) ainsi qu'une ouverture politique nécessaire. Efficace et vraiment loin d'être con...