The Spirit
Le 26/12/2008 à 18:05Par Arnaud Mangin
Ca-ta-strophique ! C'est le mot qui vient et revient pendant les interminables 1h48 durant lesquelles s'écoule la première tentative de Frank Miller d'exercer le métier de réalisateur au cinéma, malgré son génie d'auteur et dessinateur de comic-book. L'appui de Robert Rodriguez constituait une épaule indéniable sur Sin City pour que la pilule passe et que le résultat final adhère un minimum aux codes du cinéma de divertissement. Désormais laissé en roue libre pour faire ce que bon lui semble, Miller prouve avec The Spirit que le cinéma n'est définitivement pas son métier, en n'adoptant à aucun moment le moindre réflexe de cinéaste et en s'embourbant dans des tics de bande-dessinée inconcevables sur grand écran. Tant au niveau de la mise en scène, du rythme que de la narration, Miller perd absolument toute inspiration au profit de l'esthétique, cette dernière n'étant qu'une repompe complètement fade de son expérience numérique précédente.
Ridicule jusqu'à l'os au point que l'on prend le parti d'en rire pendant la projection (il faut voir Samuel L . Jackson et Scarlett Johansson déguisés en nazis pour le croire...), The Spirit clot le mois de Décembre en s'imposant comme le nanar ultime de l'année 2008 au cinéma. Ni plus, ni moins !
On n'est pas du genre à vouloir confiner les talents dans des cases pour ne plus jamais les en ressortir, mais certains feraient mieux de en pas y bouger. Surtout justement quand ils excellent dans "les cases". Inutile ici de refaire la bibliographie de Frank Miller : ce type est un génie et a parfaitement su réinventer une double façon de se plonger dans les comics books. Qu'il s'agisse de forme comme de fond. Mais le problème des génies reconnus comme tel, est qu'on leur déroule des tapis rouges à ne plus savoir qu'en faire jusqu'à un gonflage de melon à la limite du zeppelin. Le déclic malheureux, c'est Sin City, le film. Une adaptation assez chouette, véritable divertissement sans complexe que Rodriguez avait ingénieusement su se réapproprier, tant dans le ton que dans le design avec pour résultat une esthétique unique. Qu'on aime ou non, Sin City est indubitablement une véritable proposition de croisée des chemins entre le cinéma et la BD. Et Miller, intimement intégré dans le projet s'est alors senti pousser des ailes. Faire copain-copain avec Tarantino, c'était déjà une façon de se dire qu'il avait un pied dans le cinéma et le succès de 300 semble l'en avoir définitivement convaincu. Voilà, Frank Miller est aussi un mec qui aimerait bien faire un film (parce que du peu qu'il a vécu, il a dû trouver ça sympa) et est apparemment un mec à qui personne n'ose poliment dire "Non". Et puisqu'on y est, le bonhomme affiche sa légitimité comme on enfonce les portes : ''Je veux faire The Spirit, j'étais un très grand ami de Will Eisner''. C'est beau comme un numéro spécial. Et personne ne bronche.
Frank Miller est donc quelqu'un à qui personne ne dit "Non" et entreprenant donc sa première vraie grosse responsabilité comme un touriste. Le problème, c'est qu'il ne s'écoule pas une seule seconde dans The Spirit sans que l'amateurisme ne nous saute aux yeux. Devenu maître à bord d'un engin qu'il n'a jamais appris à piloter, il se contente alors de reproduire à tâtons ce qu'il a pu observer d'un œil discret : des mecs devant un fond vert. Le reste suivra. Ce n'est donc pas un hasard si son film ressemble à Sin City, et que sa recette de mise en scène se limite à un mimétisme plus pratique qu'inspiré, doublé d'un bidouillage et d'une idée relativement faussée du cinéma plutôt qu'une vraie démarche artistique. Le tout sans compter qu'on ne trouvera pas un seul plan là-dedans qui ne prête pas à comparaison. L'homme qui a tellement apporté à la bande dessinée ne se serait pas contenté d'un plagiat s'il avait vraiment su comment gérer une barque aussi importante. Même pour la musique, Miller n'a pas hésité à demander à son compositeur de mimer Danny Elfman en lui reprenant littéralement les thèmes des Batman de Tim Burton, de Spider-man, pour un résultat absolument atterrant. Voilà donc le gros problème de The Spirit : celui d'être un film-caprice dont la mise en chantier est incompréhensible, fait de la mauvaise façon par la mauvaise personne et probablement soutenu par de mauvais conseils. Dès lors, il va falloir s'y faire : ce machin n'existe que parce qu'il ressemble à un succès et parce qu'un grand nom est collé dessus ! Fin de l'histoire. Ou presque.
Lancé là-dedans avec une confiance tellement aveugle qu'une meute de labradors n'arriverait pas à la rectifier, Miller fonce tête baissée, guidé par ses propres instincts d'auteur. Le résultat est... expérimental, prenant la forme d'une tambouille assez spéciale, proche de l'expérience sensorielle rarissime au cinéma. Ca s'appelle un nanar pur jus.
Le bonhomme est totalement trompé par la narration, les ellipses et la stature contemplative des comics books qui ne collent évidemment pas au cinéma. En adaptant en plus les aventures d'un héros qui n'est pas le sien, Miller garde ses réflexes de ''Rebooteur'' pour délivrer à l'écran la BD qu'il aurait toujours rêvé de dessiner en envoyant valser tous les compromis possibles. Il n'accepte pas les sacrifices du cinéma, sa rapidité d'exécution ou ses outils, et bricole clopin-clopant un petit chemin mal fagoté au carrefour des deux media. Rien ne fonctionne : l'intrigue, le montage, la narration, la direction d'acteurs... Pire que tout, le film est ennuyeux comme on ne devrait pas le permettre, lardé de répétitions, d'éléments qui tournent en rond et de scènes qui n'en finissent plus, étirant son semblant de romance glamour alambiquée comme seul fil rouge.
Cerise sur le gâteau - une pastèque, plutôt - Miller coiffe le tout d'une voix off naïve surfant sur un 14ème degré déplacé, comme pour s'amuser avec les tics de la BD des années 40. Là encore, non seulement ça ne marche pas, mais les semelles de plomb du moindre dialogue du film feraient passer Dick Tracy pour du Bergman. Dans le genre, on lui préfère mille fois la série TV Batman des années 60 (ou le film, de la même équipe), à qui Samuel L. Jackson rend un hommage involontaire en se prenant pour César Romero dans le rôle du Joker lorsqu'il sautille sur place en se frottant les mains. Mais ce n'est pas fini ! A ce tableau déjà peu ragoûtant, il faut ajouter une bonne dose de mauvais goût à la frontière de la scatophilie (Jackson et Le Spirit qui se battent dans du caca, Eva Mendes qui fait une photocopie de son cul, Scarlett Johanson qui traite l'un de ses hommes de ''Prout''), quelques clins d'œil lestés sur des parpaings à une floppée de super héros (''You'll believe a man can't fly'' s'écrie un passant en voyant le Spirit sur le point de tomber d'un toit) et surtout un nombre hallucinant de tentatives désespérées du cinéaste de faire de l'irrévérencieux. Et là où le cinéaste se lâche le plus, c'est avec le personnage de Samuel L. Jackson (Octopus), déguisé tour à tour en samouraï ou en nazi, accompagné dans son numéro de grotesque gratuit par une Scarlett Johansson effacée. Voir les deux trublions prendre la pose devant une croix gamée filmée complaisamment constitue une sorte de point de non retour de la nullité globale du film, illustrés à chaque fois par des discours inter-minables à souhait.
Déjà que Frank Miller ne sait pas faire de cinéma normal, mais où va-t-on si en plus il essaye d'être transgressif ? Nulle part, excepté vers la porte de sortie pour fuir cette "tentative" transformée en énorme ratage et méritant un gros coup de gomme.