United Red Army
Le 06/05/2009 à 11:36Par Yann Rutledge
Notre avis
Que la France chérisse avec nostalgie ses révolutions qui ont jalonnées son Histoire (1789, la Commune, le Front populaire, Mai 68) mais reste pourtant frileuse quant à défendre au présent ses valeurs humanistes souligne tout le paradoxe hexagonal. Le cas nippon est tout autre. La radicalisation meurtrière des mouvements de protestation estudiantins et par la même la formation de la Faction Armée Rouge (FAR) a conduit au tournant des années 60-70 à une vague de violence envers les représentants de l'autorité, d'attentats et de rapts incompris par la population. L'incompréhension se transformant en rejet pur et simple lors des dix jours de prise d'otage de la prioritaire dans son chalet par cinq membres de l'Armée Rouge Unifiée (ARU) [1] seuls survivants d'une morbide purge interne dont quatorze membres de la ARU ont été victimes.
Ancien yakuza reconverti durant les années 60 dans le cinéma érotique - les vicelards et rebelles Violence Without A Cause (1969), Season Of Terror (1969) et Ecstasy of the Angels (1972) - Koji Wakamatsu a longtemps flirté de très près avec des membres de ces Armées Rouges au point de concevoir pour eux le documentaire (de propagande ?) Armée Rouge - Front de Libération Palestinien : Déclaration de guerre mondiale. Soutenant leur cause comme nombre d'intellectuels de l'époque, il n'a en revanche jamais pu comprendre quelle sombre folie a conduit ces idéalistes (auxquels il se sentait proche) à s'entre-tuer. Excédé de constater que les films consacrés à ces événements soient erronés ou pire prennent position pour l'autorité ("C’est criminel de tourner du point de vue du pouvoir" affirme-t-il) et désirant mettre en lumière aux générations futures un pan de l'Histoire occulté des livres scolaires, Wakamatsu hypothèque sa maison afin d'autofinancer ce mastodonte hautement polémique de plus de trois heures.
Segmenté en trois blocs mastoc chacun marqué d'une esthétique distincte, United Red Army rappellera formellement dans sa première partie (la genèse des groupuscules) la série Combat sans code d'honneur de Kinji Fukasaku de par sa façon d'exposer à coups d'arrêts sur images et de cartons nominatif les dates fondamentales du mouvement contestataire et les protagonistes clés de ces événements. Mêlant nombres d'images d'archives et reconstitution fictionnelle, cette partie demeure indispensable pour comprendre les fondements idéalistes de ces terroristes, mais à l'instar de la série du réalisateur de Battle Royale celle-ci pêche par un ton factuel écrasant qui peut s'avérer difficilement digestible si on ne s'accroche pas.
Suite à l'exil en montagne des membres fugitifs de l'ARU, la reconstruction documentaire de la premier segment se transforme en un huis-clos claustrophobique intense et étouffant. Durant ces deux mois d'autarcie passé à l'entraînement du maniement d'arme et à la consolidation du groupe, le couple de leaders fanatisés exerce sur leurs militants un harcèlement psychologique les contraignant à faire leur "autocritique" (une répression et négation des sentiments individuels au profit de la consolidation du groupe), un harcèlement qui se transformera en torture physique puis en meurtre. Portés par une mise en scène froide et implacable, nous sommes littéralement scotchés face à cette folie d'une incroyable cruauté dont sont victimes ces révolutionnaires aveuglés par le bien fondé de la guerre qu'ils mènent. Moins gore et extrême que l'insoutenable Kichiku de Kazuyoshi Kumakiri (qui traitait en douce de ce tragique événement), ce segment n'en reste pas moins un véritable supplice névralgique plus psychologique que graphique.
Le troisième et dernier segment (les dix jours de siège dans le chalet) prolonge cette impression de claustrophobie mêlée ici au chaos, les forces de l'ordre entourant le chalet usant de jet d'eau, de fumigènes et de gaz lacrymogène afin d'expulser les cinq terroristes. Se sachant condamnés, assiégé par une présence policière fantomatique, les certitudes idéologiques des terroristes se brouillent : luttent-ils pour le bien de tous ? La purge dont ils ont été les protagonistes était-elle nécessaire ? Ultra médiatisé, le siège avait à l'époque été suivi en direct par le Japon entier. Naturellement empêchés de pénétrer aux côté des terroristes dans le chalet, les journaux télévisés retransmettaient alors largement des images des forces de l'ordre faisant le piquet pendant les dix jours de siège. Considérant que les médias ont largement fait le jeu de l'autorité, Koji Wakamatsu refuse que sa caméra quitte les cinq révolutionnaires désemparés. A la mise en scène rigide de la deuxième partie se répond ici une mise en scène plus chaotique caméra épaule épousant les corps et regards en détresse des révolutionnaires déchus.
Refusant de juger ses personnages, Koji Wakamatsu s'interdit pendant les trois heures de métrage de susciter un semblant d'émotion, d'empathie pour les victimes ou de dégoût pour les bourreaux. Leurs actes parlent pour eux. Wakamatsu déclare avoir en partie conçu United Red Army pour témoigner à la jeunesse apolitisée des soubresauts politiques qui ont secoué le pays quelques décennies auparavant. Sur ce point précisément, il faut convenir que le cinéaste échoue justement parce qu'il empêche toute implication émotionnelle du public envers ses personnages. Comment accrocher une génération d'après lui paresseuse si on ne lui donne rien auquel s'accrocher émotionnellement ? Les autres seront eux électrisés par cette peinture glaçante d'idéalistes qui se perdent dévorés par une interprétation extrême et biaisée de leur doctrine. Un film monstre non dénué de défaut mais transcendé par le regard déterminé d'un cinéaste septuagénaire qui est loin de s'être assagi.
[1] Groupuscule révolutionnaire né de la scission de la FAR lorsqu'une partie des militants ont décidé de former l'Armée Rouge Japonaise et de quitter le pays pour la Palestine pour y poursuivre leur combat à un échelon international.