Vous êtes de la police ?

En ces temps de jeunisme exacerbé, rares sont les films de genre à mettre en scène des héros dépassant un certain âge, l'action étant susceptible de tenir une place importante dans l'intrigue. Vous êtes de la Police ? se distingue cependant doublement de la majorité de la production actuelle. Non seulement le premier rôle y est dévolu à un représentant du troisième âge, mais c'est aussi le cas de tous les autres personnages ou presque, l'intrigue du film se situant ni plus ni moins que dans une maison de retraite. Pour son premier long métrage, le jeune réalisateur Romuald Beugnon ne manque donc pas d'audace, et la bonne nouvelle est qu'il tient son pari jusqu'au bout :  Vous êtes de la Police ? est un film bien plus "jeune" et rafraîchissant que la plupart des teen movies produits à la chaîne par Hollywood.

De manière habile, Vous êtes de la Police ? nous fait pénétrer dans cette maison de retraite aux côtés de Simon Sablonnet (Jean-Pierre Cassel), dont on adopte immédiatement le point de vue, mélange de lassitude et de circonspection à la vue de ce décor peu engageant. Contre toute attente pourtant, c'est avant lui que l'on est séduit par l'ambiance étrangement animée qui se dégage de ce lieu, lorsque viennent au premier plan les notes mélancoliques du Pénitencier interprété par Francky (Philippe Nahon), le trublion du groupe accro au karaoke. Autour de ce dernier, on découvre des gens qui semblent moins malheureux que ce que l'on pouvait craindre, qui paraissent même s'amuser franchement. Assez rapidement donc, Romuald Beugnon parvient à installer un vrai sentiment de familiarité avec ses protagonistes, faisant subrepticement tomber les préjugés tandis que Simon prend ses marques dans sa nouvelle demeure, auprès de ses nouveaux compagnons. Et il faut dire que ceux-ci ne manquent pas de sel. Entre le facétieux Francky Garcia, la femme fatale américaine Jane Latour-Jackson (Micheline Presle), la centenaire muette Edwige Renard (Sylviane Ramboux) ou encore le timoré Jacques Poutrard (Pol Deranne), notre inspecteur à la retraite ne s'ennuie pas autant qu'il l'aurait cru. Mais il faudra à Simon, pour véritablement se sentir en terrain connu, assister à la chute fatale d'Alfred Lamproie (Jean-Claude Brialy) - un choc qui titille immédiatement son instinct de fin limier. Toutefois, un autre souci émerge à mesure qu'il se persuade de se trouver face à un meurtre : comment résoudre une affaire quand les seules personnes capables de relayer vos déductions à qui de droit vous traitent comme un enfant ? 

En un sens, Vous êtes de la Police ? montre, non sans une légère ironie, à quel point les deux extrémités de la vie se rejoignent. Le plus gros de l'énergie que Simon doit déployer consiste en effet à faire admettre la justesse et la légitimité de ses hypothèses aux "adultes" que sont les membres du personnel de la maison de retraite. Pleine de bonne volonté, la directrice Monique Laval (Marilyne Canto) ne prend pas pour autant au sérieux les soupçons de ce pensionnaire un peu trop fouineur à son goût. A moins qu'elle ne soit impliquée dans l'affaire ? Il en va de même pour l'infirmière Christine Léger (Yolande Moreau), qui persiste à parler à Simon comme à un gamin de six ans. Le réalisateur porte sur tous ses personnages un regard plein de tendresse qui ne flirte toutefois jamais avec une quelconque condescendance. Plus le récit progresse, et plus ce sont en réalité les personnes âgées qui apparaissent comme les véritables rebelles, luttant contre la tyrannie des plus jeunes qui refusent de les écouter. Un renversement de situation intéressant, étayé par de nombreux moments humoristiques (Jean-Pierre Cassel obligé de se justifier devant la directrice après que Micheline Presle l'a accusé d'avoir cherché à abuser d'elle dans sa chambre) qui doivent une grande part de leur efficacité à la présence et au jeu des comédiens principaux.

Si l'on pourra reprocher à Vous êtes de la Police ? une photographie un peu terne par moments, ce défaut se fait finalement aisément oublier grâce au rythme soutenu auquel est mené l'intrigue, et surtout grâce à une très bonne direction d'acteurs. Voir Philippe Nahon camper le sidekick de Jean-Pierre Cassel avec cette énergie et cet humour irrésistibles est un vrai régal. Il suffit de se remémorer sa prestation grandiose mais terriblement sombre dans le très beau Vendredi ou un autre jour (Yvan Le Moine), sorti l'année dernière, pour prendre une fois de plus la mesure de l'éclectisme vertigineux de son registre. Micheline Presle, quant à elle, prête à son personnage une espièglerie qui ajoute encore au charme de l'ensemble, en particulier lors de ses joutes verbales avec les deux enquêteurs zélés. Jean-Pierre Cassel, enfin, confère une vraie prestance et une vulnérabilité touchante au revêche Simon Sablonnet, qui restera comme son tout dernier rôle. Raison de plus pour savourer sans modération ce polar pas comme les autres.