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Interview de Romuald Beugnon

Le 20/12/2007 à 09:12
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Interview de Romuald Beugnon

A l'occasion de la sortie de Vous êtes de la Police ?, le réalisateur Romuald Beugnon nous a accordé un entretien au cours duquel il revient longuement sur ce premier long métrage original et attachant, un polar teinté de comédie qui se déroule dans une maison de retraite. Il nous parle aussi de ses acteurs, et notamment de Jean-Pierre Cassel, dont c'est le dernier film.

 

FilmsActu : Pouvez-vous nous retracer votre parcours ? Comment avez-vous été amené à diriger un long métrage de cette envergure après votre court métrage Béa ?

Romuald Beugnon : J'ai toujours voulu faire du cinéma. Au lycée, j'étais allé voir le conseiller d'orientation pour lui demander de quelle façon m'y prendre. Il a ouvert son classeur et m'a indiqué la FEMIS, que j'ai intégrée après un Bac+2 Arts du Spectacle. Là, j'ai fait un certain nombre de courts métrages : des fictions, des documentaires, des films expérimentaux... J'ai notamment réalisé un documentaire sur une maison de retraite, Aspirez, qui m'a donné envie de creuser ce thème. En sortant de l'école, j'ai commencé à écrire mon premier court métrage dans ce cadre. Mais je me suis très vite aperçu que toutes mes idées ne tenaient pas dans ce format. Il me fallait plus de temps. J'ai contacté un camarade scénariste qui était de la même promo que moi pour qu'on écrive ensemble. J'ai aussi sollicité un camarade producteur qui était intéressé par le projet. Le parcours de ce premier long métrage a duré sept ans. Entre temps, j'ai travaillé dans l'informatique et réalisé deux documentaires institutionnels, tout en continuant à écrire des courts métrages, dont un a été diffusé sur Arte. J'ai réalisé Béa, qui était une façon de ne pas perdre la main mais aussi d'expérimenter des méthodes de travail qui allaient me servir pour le long. J'ai travaillé sur un thème proche et avec la même idée de la direction d'acteurs, de la façon de filmer. Ce court est un film à part entière mais il m'a permis de vérifier si ma façon de voir les choses tenait la route sur le long terme.

 

Interview de Romuald Beugnon

 

Le fait de placer l'action dans une maison de retraite est particulièrement original. Qu'est-ce qui vous attirait dans ce décor ?

J'aime que le cinéma m'aide à découvrir des endroits que je ne connais pas. Il peut s'agir d'autres galaxies comme avec Star Wars, mais aussi de microcosmes, d'univers où on n'entre pas du tout ou alors avec réticence. Ce qui m'intéresse, c'est de montrer que dans ces endroits il y a une vie, des règles sociales, un fonctionnement à part. J'avais découvert les maisons de retraite à l'occasion d'un documentaire, et je m'étais dit à l'époque que ces gens que l'on croit finis ont en réalité des envies, des projets. Il est vrai que j'aurais pu me contenter de faire un documentaire plus long, mais il me semblait important de réaliser une fiction. Car tant qu'on reste dans la fiction, cela veut dire qu'on est vivant et qu'on est sûr de ne pas être regardé d'au-dessus. Je voulais qu'il y ait un regard tendre sur les gens et pour l'obtenir, la fiction me semblait être le cadre le plus approprié.

 

Le film de genre est-il justement particulièrement propice selon vous à montrer la fantaisie qui anime ces personnes ?

Oui car finalement, le film de genre, c'est le film de jeunes. On y parle de sentiments, de passion, de fureur, de vengeance... En décalant le film de genre dans ce lieu, je montre qu'il y a là des émotions fortes et de l'imagination, donc de la vie. L'avantage des films de genre est que l'on se situe dans une convention qui permet de raconter autre chose en contrebande. Or ce côté "cinéma de contrebande" me plaît énormément. Le genre est ce qui aide à faire passer le pari audacieux de Vous êtes de la Police ? : retenir le spectateur pendant une heure et demie à l'intérieur d'une maison de retraite. Comme on vient pour s'amuser, pour suivre une histoire policière, cette rencontre du troisième âge se fait sans douleur. L'idée était de rassembler tous ces personnages qui s'apparentent à des archétypes, en les vieillissant de quarante ans. Même la vieille dame est vieillie de quarante ans, tout comme le "jeune loubard" et la femme fatale.

 

Interview de Romuald Beugnon

 

Aviez-vous certains interprètes en tête au moment d'écrire le scénario ?

J'ai pensé à beaucoup de comédiens mais Philippe Nahon est celui qui s'est imposé le plus vite, au point d'influencer l'écriture du scénario. Nous avons aussi très rapidement pensé à Micheline Presle. J'imaginais difficilement le rôle joué par quelqu'un d'autre qu'elle. Pour les autres rôles, j'ai eu la chance d'avoir les gens que je voulais, même s'il y a eu quelques recherches à droite et à gauche.

 

On a l'impression en voyant le film que les comédiens se sont beaucoup amusés. C'est le cas ?

Bien sûr. Mais il est vrai que je fais un cinéma qui met les acteurs au premier plan. Philippe Nahon, en particulier, s'est énormément amusé. Pour la première fois de sa carrière, il se voyait confier un rôle de comédie, loin de cette image de dur à cuire qui lui colle à la peau. C'est un comédien très entier, qui est donc souvent choisi par des réalisateurs pour des rôles difficiles. En ce qui me concerne, je trouvais stimulant d'aller chercher autre chose. Micheline Presle et Jean-Claude Brialy se sont également beaucoup amusés. Le cas de Jean-Pierre Cassel est un peu différent : son personnage étant assez froid, il restait la plupart du temps dans un certain état de tension. Il y a eu malgré tout pas mal d'éclats de rire sur le tournage. La scène avec les deux voleuses de vernis à ongle, par exemple, a tourné au fou rire général. On était partis dans des improvisations sans fin et il s'est passé quelque chose de vraiment magique. D'autre part, Cassel et Nahon s'étaient déjà rencontrés sur Virgil de Mabrouk El Mechri, et ils étaient très complices.

 

Etant donnée la différence d'âge qui vous séparait des comédiens, est-ce qu'il n'a pas été difficile au début de les diriger ?

Non. Au contraire, ils aimaient beaucoup l'idée d'être dirigés par un réalisateur plus jeune. Ils ont débuté dans le métier avec des jeunes, des gens assez exigeants. J'ai eu de longues discussions à ce sujet avec Jean-Pierre. Ce qui lui importait, c'est qu'on le pousse à aller le plus loin possible. Ce qui est confortable avec de tels comédiens, c'est que la première proposition est toujours bonne. En même temps, c'est comme avoir affaire à de grands solistes : chacun joue sa partition merveilleusement, à sa façon, mais il revient ensuite au chef d'orchestre de trouver une harmonie d'ensemble. Il est essentiel que chaque scène en particulier entre en résonance avec le reste du film. Jean-Pierre Cassel m'avait dit qu'il appréciait mes qualités d'écoute. J'aimais en effet écouter les comédiens, trouver ce qui filait bien dans la parole, et si quelque chose accrochait, comprendre pourquoi.

 

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Les comédiens ont-ils apporté quelque chose de personnel à leur personnage, si l'on compare avec le scénario ?

Dans différents registres, oui. Yolande, par exemple, a réécrit plusieurs de ses répliques avant le tournage. Elle avait une vision très claire de son personnage. Micheline l'a fait aussi, mais plutôt par le biais d'improvisations, en fin de séquence notamment. Parfois, on tentait une prise en improvisation en plus de celles qui suivaient le scénario, et ces prises-là s'avéraient souvent être les meilleures. Il était important que Micheline se lâche, qu'elle exprime toute la folie du personnage. Jean-Claude et Jean-Pierre étaient en revanche très attachés au texte et leurs propositions concernaient plutôt la présence physique de leur personnage. Mais lorsque quelque chose ne marchait pas, il fallait réécrire avec eux, ce qui donnait lieu à des moments très créatifs. Je n'aime pas enfermer les comédiens dans un carcan. Bien sûr, j'arrive le matin avec un découpage, mais j'aime travailler la scène et placer la caméra en fonction de ce que les comédiens proposent. Le manque de temps rend parfois les choses un peu compliquées, mais c'est le prix à payer pour gagner cette liberté sur le plateau. Je passe davantage de temps avec les comédiens qu'avec la caméra.

 

Avez-vous participé au montage ?

Bien sûr, j'étais là tous les jours.

 

Y a-t-il une grande différence de maîtrise sur les étapes de la production entre un long et un court métrage ?

Disons que certaines choses sont plus difficiles sur un long. Sur un court métrage, il y a moins de problèmes de rythme à gérer sur la longueur. On peut maîtriser tous les tenants et les aboutissants alors que sur un long métrage, on est obligé de raisonner par parties avant d'appréhender l'ensemble et de pouvoir restructurer. L'avantage est que l'on a plus de temps et donc la possibilité d'affiner le montage dans le moindre détail. Dans le cas de Vous êtes de la Police ?, l'ordre des séquences n'est pas le même dans le montage final que dans le scénario. L'intrigue policière est très différente à l'arrivée mais cette version fonctionne mieux. J'aime bien réécrire à toutes les étapes : travailler le scénario, réécrire au moment du tournage, du montage... On rajoute encore du sens au moment du montage son, du mixage... Je ne dirais pas que l'étalonnage rajoute du sens, mais presque.

 

Interview de Romuald Beugnon

 

Etes-vous aussi intervenu dans le choix des chansons ? Le choix du Pénitencier en ouverture du film n'est tout de même pas un hasard ?

Non, ce n'est pas un hasard du tout, je l'avais écrit. J'avais choisi plusieurs chansons, et s'il fallait qu'il n'y en ait qu'une seule dans le film, ce devait être Le Pénitencier. Elle raconte vraiment ce que le personnage ressent à ce moment-là, plus que ce que je veux dire en général sur les maisons de retraite. Vous êtes de la Police ? n'est pas un film "anti-maisons de retraite", je n'irais jamais dire que les maisons de retraite sont des prisons car ce n'est pas le cas. Cette chanson dit par ailleurs des choses sur différents personnages, par exemple sur celui de Philippe Nahon. EMI en détenait les droits et nous avons passé un accord avec eux sur les autres titres. Nous avons cherché dans leur catalogue les morceaux correspondant aux autres scènes et personnages. Le choix a été assez long car je tenais à ce que chaque chanson fasse sens. Le choix du rock qu'allait chanter Francky était important, tout comme la chanson d'amour. Dans ce dernier cas, je voulais une chanson qui commence par être kitsch et qui finisse par toucher au sublime. Le glissement entre rire et émotion était essentiel dans cette scène. Pourtant, au moment où l'émotion survient, où l'on se dit qu'il peut bel et bien y avoir de l'amour dans une maison de retraite, le policier reprend le dessus puisque Simon comprend quelque chose.

 

Qu'en est-il de la musique originale ?

Sébastien Gaxie en est le compositeur et il s'agit de sa première musique de long métrage. Il a composé pour un certain nombre de courts métrages auparavant et il collabore régulièrement avec Alexandre Desplat. Nous avons vraiment travaillé ensemble car j'avais des idées assez précises au sujet du rôle de la musique. Je venais tous les jours chez lui, il me faisait écouter des maquettes, on travaillait au piano... A la fin, l'enregistrement avec les vrais musiciens a été un moment superbe.

 

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Dans un polar de ce type, il faut un thème musical fort...

Le thème de Simon, par exemple, est décliné de différentes façons. Ce qui est intéressant quand on travaille avec un compositeur de musique contemporaine, c'est que l'on ne rentre pas dans les dogmes de la musique de film, dans l'émotion appuyée avec de grands violons. Il y a toujours une sorte de décalage, et des moments où la musique apparaît au premier plan. Rechercher ensemble une façon différente de traiter la musique tout en jouant avec les règles du genre a été un travail passionnant. De la même façon que Vous êtes de la Police ? est un film de genre décalé dans le lieu et dans l'âge, le traitement de la musique est lui aussi décalé par rapport aux images.

 

 

Quel a été l'accueil du film en festival ? A Montréal, par exemple ?

Le film a été présenté au Festival du Film du Monde à Montréal, au festival des jeunes réalisateurs à St-Jean de Luz, au Festival de Colmar, au Festival du Film Noir de Courmayeur en Italie... A chaque fois, l'accueil du public a été fabuleux. Il y a toujours beaucoup de rires dans la salle. Les gens viennent me voir à l'issue de la projection et beaucoup me disent quelque chose comme : "Qu'est-ce que vous devez aimer les vieux pour faire un film pareil !". Que le public l'ait ressenti me touche beaucoup. Le film a d'ailleurs obtenu le prix du public à Courmayeur. Sur le plan professionnel, l'accueil a là aussi été très agréable. Philippe Nahon a notamment remporté le prix d'interprétation à St-Jean de Luz.

 

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Avez-vous d'autres projets dans l'immédiat ?

Pour l'instant, je suis très pris par la sortie du film, mais j'ai plusieurs autres projets dont un, assez ambitieux, qui est en tout début d'écriture. En ce moment, je suis intéressé par différents types de cinéma. D'un côté, j'ai envie de raconter des histoires avec des comédiens célèbres, avec un certain confort de tournage et une certaine ampleur. De l'autre, j'ai aussi envie de faire des choses dans mon coin, en vidéo, pour un public plus restreint. Je ne souhaite pas me cantonner à un seul cinéma. Vous êtes de la Police ? reflète un peu ces envies diverses, puisqu'il s'agit à la fois d'un film de genre, d'un film d'auteur et d'un film un peu documentaire.

 

Concernant votre projet en cours d'écriture, qu'entendez-vous par "ambitieux" ?

J'ai vécu un an au cirque. Mes parents sont magiciens et je les ai accompagnés. J'ai envie de raconter cet univers. Cela nécessiterait beaucoup de moyens car il s'agit d'un grand cirque avec de très beaux numéros. Ça pourrait bien être un film de genre également...

 

 

Le court métrage Béa est visible sur le site http://www.6nema.com

 






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