Watchmen - Les Gardiens
Le 04/03/2009 à 18:20Par Michèle Bori
Important : Watchmen opposera deux types de spectateurs. Ceux qui ont lu le roman graphique, et ceux qui ne l'ont pas lu. L'avis rédigé ici est celui d'un fan du livre, qui le connaît presque comme sa poche. Avec un œil "neuf", le film sera sans doute perçu d'une manière totalement différente.
Il serait un euphémisme de dire que l'attente aura été longue. Watchmen en film, un rêve pour toute une génération de fans qui espéraient depuis plus de vingt ans voir un jour porté à l'écran ce que beaucoup considèrent comme le plus grand roman graphique jamais fait. Las. Trop sombre, trop pessimiste, trop ambigu, pas assez entertaining, l'œuvre d'Alan Moore semblait avoir sombré dans les tréfonds du development hell si cher à Hollywood. Tour à tour dans les mains de Terry Gilliam, Paul Greengrass ou encore Darren Aronofsky, le projet tombera finalement dans celles de Zack Snyder, propulsé "maitre ès adaptation de graphic novel" après le carton de 300. Un choix tactique de la part de la Warner, qui comptait sur son golden boy pour transformer les cases dépressives de Moore et Gibbons en un divertissement rentable qui plaise à la fois à la communauté des purs fanboys (qui n'aurait pas hésité à lancer une omerta contre quiconque dénaturerait le comics) et au spectateur lambda qui voudrait juste en avoir pour son argent. Mais comment ce jeune cinéaste allait réussir là où les autres avaient échoué ? Comment allait-il arriver à conserver l'essence corrosive du matériau d'origine face à des studios de plus en plus frileux face à toute forme de subversion ? Et surtout, comment allait-il rendre accessible une œuvre si austère et si alambiquée à un grand public qui pourrait n'y voir qu'un film de super héros de plus ? Telles étaient les questions essentielles qui entouraient le projet.
Snyder est un malin. Ou alors un escroc, mais nous pencherions plutôt pour le premier choix. Watchmen étant jugé à raison totalement inadaptable en film, le réalisateur de l'Armée des morts ne l'adaptera pas. Pas au sens où l'on a toujours "adapté" un livre ou une BD, en tout cas. Pourquoi risquer une réécriture qui pourrait faire perdre du sens à l'histoire lorsqu'on peut simplement la reprendre telle quelle ? Watchmen en film sera donc exactement tel que Moore l'a écrit. Au dialogue prêt. Une démarche dont on ne peut que souligner la fidélité, et qui vient répondre à une question fondamentale : oui, le film conserve toute la noirceur, la violence et les thématiques du comics. Non les personnages n'ont pas été trahis. Non, Snyder n'a pas fait de Watchmen un blockbuster vain et décérébré. Les problématiques sur les notions de libertés individuelles, de justice, de bien et de mal, de paranoïa et toute l'ironie entourant l'existence de super-héros dans un monde en proie à un anéantissement nucléaire qui dépasse l'entendement (l'histoire se déroule en 1985, en pleine guerre froide) se retrouvent ici, identiques à ce qu'elles étaient dans le roman graphique. Elles ne sont même pas atténuées, preuve que le succès colossal de The Dark Knight a certainement convaincu quelques studios que les films sombres et matures n'effrayaient pas le public, bien au contraire. Un très bon point donc, surtout lorsqu'on sait que les deux dernièrs portages de récits d'Alan Moore (LXG et V pour Vendetta) brillaient surtout par leur incapacité à cerner précisément ce qui faisait la force de leurs fondations.
Mais de cette fidélité découle deux sérieux problèmes concernant Watchmen, le film. Tout d'abord, au risque de répéter une évidence, le rythme d'un film n'est pas celui d'une BD découpée en plusieurs volumes, que chacun peut choisir de lire à la vitesse qu'il veut. La principale faiblesse du film réside donc dans le constat qu'en évitant toute forme d'adaptation ou de réécriture, Snyder prive son bébé d'une réelle forme cinématographique. La narration est ici complètement plate, menée sur un faux rythme constant, qui nous propose 1h30 de présentation des personnages, puis un deuxième acte expédié, jusqu'à un climax final mou du genou qui pointe le bout de son nez beaucoup trop tardivement. "Bah ouais mais c'est comme dans la BD quoi !" diront certains. Certes, mais à l'écran, ce menu défaut (qui n'en est d'ailleurs pas un sur papier glacé) est plus que préjudiciable, puisqu'il rebutera sans doute les non-initiés, venus quand même à la base pour voir un film de cinéma, et pas un slide-show évolué d'une BD. Ce qui nous amène au second défaut du film. Quelle est donc la valeur ajoutée de ce film par rapport au comics ? Qu'apporte-t-il de plus, si ce n'est la possibilité de découvrir en 2h40 et pour un prix raisonnable l'équivalent de 400 pages (soit de très longues heures de lectures) vendues 50€ dans le commerce ? Pas grand-chose, si ce n'est rien. En regardant Watchmen, on a comme une étrange sensation de déjà vu et l'on se retrouve donc devant de la même manière qu'on est face à un jeu des sept erreurs (on cherche les différences et à tout casser, on en trouve sept à la fin). Un syndrome récurrent dont souffraient déjà Sin City et 300. Nous sommes donc en droit de nous demander : vaut-il mieux une mauvaise adaptation ou pas d'adaptation du tout ? Car même avec tous leurs défauts, LXG et V avaient au moins pour mérite de surprendre celui qui connaissait le matériau original. Il serait d'ailleurs hypocrite de se plaindre que ces films trahissent leurs bases respectives tout en pointant du doigt que Watchmen les respectent trop. Comme d'habitude dans ces cas-là, l'équilibre se trouve dans le juste milieu. Mais il demande beaucoup de travail et de talent. N'est définitivement pas Peter Jackson qui veut ...
Pour le reste, c'est-à-dire tout ce qui ne concerne pas le scénario, Watchmen ressemble peu ou prou à ce à quoi nous nous attendions, au vu des bandes-annonces et des vingt minutes qui nous avaient été dévoilées il y a quelques mois. C'est clairement du Snyder dans le texte, avec tout ce que cela implique. Des ralentis là où il n'y en a pas forcément besoin, une utilisation un peu facile de la musique (la BO est énorme, mais factice - le meilleur exemple est l'utilisation de la Chevauchée des Walkyries sur les scènes du Vietnam) mais aussi une générosité dans quelques money-shot bien bourrins et assez sanguinolents. L'ensemble peut se montrer très froid par moments (en particulier les scènes d'actions, qui sont à l'opposée des séquences parkinsoniennes auxquelles nous a habitués Hollywood depuis quelques années... encore une fois, un juste milieu aurait été préférable) mais qu'on se le dise, entre les quelques plans "poseurs" découverts pour la plupart dans les trailers, Watchmen ressemble à du cinéma, composé, travaillé, découpé comme un film "normal", et non comme une succession de vignettes type Sin City. De plus, ceux qui craignaient que 300 et son imagerie factice tournée sur fond vert ne déteigne sur le travail de Gibbons peuvent se rassurer : Watchmen ne sonne pas faux. Mises à part les séquences sur Mars et en Antarctique, le film a été tourné dans des décors en dur, réalistes et assez détaillés. Snyder a beau être un 21st century digital boy, il a ici un peu calmé ses pulsions infographiques pour offrir une bobine qui s'équilibre entre ses deux précédents travaux. Ce n'est pas pour nous déplaire. Maintenant, après un remake et deux "copier-coller", on aimerait bien découvrir Snyder sous un angle un peu plus personnel, histoire de savoir ce que le bonhomme a réellement à proposer, et s'il a vraiment des choses à dire.
Critique publiée le 25/02/2009 à 15h03.