Critique : Lost - l'épilogue : Un monde s'achève
Le 29/09/2010 à 16:00Par Yann Rutledge
Notre avis
Le 23 mai 2010 au soir, la geekosphère dans son entier était en ébullition comme jamais. Les rescapés du vol 815 d'Oceanic Airlines tiraient leur révérence après six années coincés sur une étrange île aux propriétés mystiques. Des adieux au cœur d'une église qui ne manquèrent pas de scinder la communauté geek en deux chapelles bien distinctes. D'un côté, les téléspectateurs qui versent une larme aux côtés de leurs héros et admettent que les mystères disséminés au fil des épisodes par Damon Lindelof et Carlton Cuse, les scénaristes principaux de la série, ne soient pas résolus ; en face, les téléspectateurs mécontents que tous les mystères entourant l'île ne leur furent pas révélés et expliqués, écœurés pour certain au point d'affirmer avoir gâché six années de leur vie. Sans tomber dans les excès du fanatisme, convenons que les grosse ficelles scénaristiques de cette dernière saison ainsi que la conclusion au mysticisme maladroit proposées par le tandem Lindelof/Cuse avaient effectivement (énormément) matière à décevoir (lire la critique de Lost - Saison 6).
Comme pour rassurer les fans aigris, est rapidement annoncé le tournage d'un épilogue ouvrant "une fenêtre sur le laps de temps inconnu qui s'écoule entre le moment où Hurley devient n°1 et la fin de la série" comme l'explique Michael Emerson qui interprète Benjamin Linus dans la série. Un supplément d'une douzaine de minutes qui sera, on nous le promettait, riche en révélations. Glissé exclusivement dans les coffret DVD et Blu-ray de la saison (ah les joies du marketing !), The New Man in Charge ("Le nouvel homme en charge" en français) s'avère au final être un joli pied de nez en direction des fans qui exigeaient des réponses. [Attention : ne pas lire ce qui suit si vous désirez conserver intacte le plaisir de la découverte !]
L'épilogue se compose en deux séquences aux fonctions narratives bien distinctes : la première clôt le clapet aux fans, la seconde ferme très simplement la boucle débutée six ans plus tôt. Première séquence. Dans un centre de tri, deux employés apprennent de la bouche de Benjamin Linus qu'ils peuvent cesser d'empaqueter des vivres labellisés DHARMA vraisemblablement destinées à être larguées sur l'île. Stupeur. Pourquoi ? Ils affirment charger des palettes depuis une vingtaine d'années. "Nous méritons des réponses !" clame l'un des deux. Coïncidence (ou pas), les fans qui suivent fidèlement la série depuis six ans en exige également. Ben, bras droit du grand ordonnateur de l'île (que ce sont Jacob, Hurley ou le tandem Lindelof/Cuse), consent à répondre à deux questions. Où est-ce que les vivres sont envoyés ? Sur une île. Les coordonnées changent parce que l'île se déplace. Pas le temps de demander comment une île peut se déplacer que Ben l'arrête. "Une seule question". Au second employé de demander comment des ours polaire se sont retrouvés sur une île tropicale. La réponse, nous l'aurons dans une dernière vidéo d'orientation produite par le Projet DHARMA. Comme à son habitude, c'est le professeur Pierre Chang qui sert de guide. Le mystère entourant les ours est explicitement résolu comme celui de la stérilité des femmes, l'oiseau qui crie "Hurley !" ou encore la raison qui ont poussé le professeur en astrophysique à utiliser différents surnoms. Sont également expliqué les raisons de l'existence de la pièce 23 où l'équipe de scientifique travaillant au sein de DHARMA mènent des expériences de lobotomie sur "les Ennemis" (les Autres).
Seconde séquence. Ben rejoint Walt Lloyd, qui a bien grandit depuis, dans l'hôpital psychiatrique de Santa Rosa (le même dans lequel était interné Hurley). Il lui confirme qu'il est spécial et de fait le supplie de retourner sur l'île afin d'aider son père décédé. Convaincu, Walt monte dans un van où l'attend Hurley qui l'informe avoir un travail pour lui. Le van démarre, les trois compères filent. Fin.
Des réponses, Damon Lindelof et Carlton Cuse en divulguent effectivement une poignée. Toutes, non. Seules sont éclaircies les expériences menées par le Projet DHARMA, éléments parfaitement inutiles à la compréhension de la nature exacte de l'île et de ses pouvoirs. Ces zones d'ombre avaient beau ne pas avoir été explicitées, il suffisait d'un peu de jugeote pour qu'elles prennent sens. La suite ininterrompue d'explications donnée par le professeur Chang impose par ailleurs une désagréable impression d'assister à un pastiche pince-sans-rire des guides vidéo signés DHARMA. On décèle par la même sans trop difficulté le second degré des scénaristes qui sous couvert d'offrir aux fans ce qu'ils désirent (des réponses), soulignent - par la banalité des révélations - que celles-ci n'ont aucune once d'importance. Elles n'expliquent rien (ou peu) et surtout : elles n'ouvrent sur rien. The New man in charge n'a rien d'une conclusion. Il permet simplement d'appuyer s'il le fallait que la mythologie développée au cours des six saisons joue un rôle parfaitement secondaire au regard du cheminement de ces âmes esseulés jusqu'à une destinée salvatrice. L'inscription "Think about your life" (Pense à ta vie en français) projeté au spécimen lobotomisé prend par ailleurs un tout nouveau sens si on le considère comme un message jeté en direction des fans.
La démarche rappelle forcément celle entreprise il y a une quinzaine d'années par Hideaki Anno sur une autre série tout aussi culte, mais animée cette fois, Neon Genesis Evangelion. En choisissant pour les deux derniers épisodes de sonder l'instabilité psychologique de Shinji Ikari, le personnage principal, plutôt que de peindre une bataille épique qui pourrait mener à la fin de l'humanité, le réalisateur s'était lui aussi violemment heurté à un mur d'incompréhension. Anno avait dès lors entrepris de réécrire le final pour satisfaire ces fans obtus qui refusaient ce "charabia" psychanalytique. Distribué en salle, The End of Evangelion offrait effectivement son lot de fan service à coups de robots géants se foutant sur la gueule. Mais dans un furieux maelström de liquide séminal, de larmes et d'hémoglobine, Hideaki Anno parvenait d'autant plus à y décupler les obsessions de son héros névrosé. Les fans ravis par le spectacle ne s'étaient pas aperçus de la mystification.
Au jour où nous publions, The New Man in Charge n'a pas encore enflammé la communauté des Losties, comme aiment à s'appeler les fans de Lost. Par quel bout vont-ils accueillir l'ultime adieu de Damon Lindelof et Carlton Cuse ? Il s'agira de garder un œil très attentif sur les forums geek, les prochains jours risquent d'être tout aussi instructifs que réjouissant.