Kinotayo 2008 : LoveDeath
Le 25/11/2008 à 08:16Par Elodie Leroy
On a failli s'inquiéter il y a quelques années lorsque sortaient Sky High, au demeurant fort sympathique, et le mi-figue mi-raisin Godzilla Final Wars : Kitamura s'était-il assagi ? Après LoveDeath, les fans de folies kitamuresques peuvent être rassurés. Celui qui fit le bonheur des festivaliers avec le très culte Versus il y a quelques années, et qui se lança par la suite dans des films concepts originaux avec les excellents Alive ou Aragami, ce bon vieux Kitamura, donc, n'a rien perdu de sa capacité à fournir du délire complètement allumé, du genre qui permet de mieux cerner la signification du terme "décomplexé".
Allergiques aux blagues graveleuses, à l'imagerie sadomasochiste et aux numéros d'acteurs complètement barrés s'abstenir : comme tous les films jusqu'auboutistes, LoveDeath, ça passe ou ça casse. Pour notre part, ça passe très bien.
Pour la troisième fois après Alive et Sky High, Ryuhei Kitamura s'associe au mangaka Tsutomu Takahashi pour adapter 69. A ceci près que l'histoire est loin d'être aussi "sérieuse" que les deux précédentes et parodie ouvertement les films de yakuzas. Ce qui ne veut pas dire que le cinéaste se contente d'enchaîner les séquences burlesques pour estampiller son film du label "culte". Le maître de la caméra folle nous embarque dans un road movie certes déjanté mais qui n'en est pas moins très maîtrisé sur le plan du rythme, en plus d'être assorti d'une touche de romantisme prononcée. LoveDeath, c'est donc une histoire d'amour fou entre Sai (Shinji Takeda), un benêt cool mais un peu trop téméraire, et Sheela (NorA), la femme fatale du film. Seul souci, cette dernière s'avère être la petite amie d'un chef yakuza un peu has been et qui lui en veut beaucoup d'avoir filé avec un beau gosse, et accessoirement avec une mallette remplie d'argent. Lorsque les deux jeunes gens sont rattrapés par les hommes de main du bonhomme, Sai s'aperçoit que les intentions de la belle étaient loin d'être aussi pures que prévu puisqu'il se retrouve lui-même capturé et accusé d'avoir volé l'argent. Mais l'interrogatoire bizarroïde de Sai ne tourne pas comme prévu puisque le jeune homme réussit à s'enfuir et emmène avec lui Sheela. S'ensuit une course-poursuite rocambolesque à laquelle va se joindre un autre gang appelé à la rescousse ainsi qu'une bande de flics ripoux.
S'il y a bien un tour de force dans LoveDeath, outre les barres de rire provoquées par des gags qui s'enchaînent à un rythme hallucinant à grand renfort d'hémoglobine, c'est bien de réussir à maintenir l'intérêt du début jusqu'à la fin, et ce sans jamais que le film ne s'enlise comme on aurait légitimement pu le craindre. En version longue (chroniquée ici), LoveDeath s'étale tout de même sur une durée de 2h40, ce qui n'est pas rien pour un film qui ne tente strictement jamais de gagner une quelconque profondeur. L'histoire d'amour est bien entendu assez secondaire et c'est davantage le décryptage presque "miikesque" des films de yakuzas qui retiendra l'attention. A ce titre, les préoccupations du chef de gang résument à merveille les sous-textes de bon nombre de films de gangsters : lui voler sa copine revient à remettre en question son pouvoir, donc à le castrer. Le machisme est bien entendu à la fête dans LoveDeath, à travers les propos du chef qui réduit sa copine à un objet à posséder et malmène son infirmière (pourtant très zélée), mais aussi l'attitude outrancièrement manipulatrice de Sheela. Mais ce machisme s'exprime avec un esprit d'autodérision tel qu'il en devient savoureux puisqu'il ridiculise en fin de compte bien plus les caïds que les demoiselles. Un esprit d'autodérision qui s'exprime magnifiquement à travers le flingue en forme de vibromasseur que le chef de gang castré brandit fièrement dès lors qu'il croise la jeune femme - l'humour ne fait décidément pas dans la dentelle.
Ryuhei Kitamura fait un film à références (on pense à True Romance ou à Tueurs Nés pour l'idée du couple en fuite) mais n'abuse pas de gags référentiels, contrairement à ce que semble annoncer la séquence hilarante au cours de laquelle Sai est malmené par un bourreau cinéphile (qui cite ouvertement Marathon Man, L'Arme Fatale ou encore Reservoir Dogs). Le fin connaisseur de l'univers du cinéaste s'y retrouvera, l'une des attractions de LoveDeath résidant dans sa galerie de personnages complètement tordus, ce qui aurait tendance à rapprocher le film de l'inénarrable Versus, le côté sexuel en plus. Sauf que cette fois, ce ne sont pas des inconnus qui font les marioles mais bel et bien des acteurs confirmés. De Eiichiro Funakoshi en chef yakuza dominateur mais persuadé de vivre une grande histoire d'amour, à Susumu Terajima en flic cynique jouant les mentors, en passant par toute la bande d'assassins incompétents et demeurés menés par IZAM, sans oublier un Riki Takeuchi apparaissant dans des flash back hilarants fonctionnant en running gag, les comédiens qui peuplent le casting de LoveDeath n'ont visiblement pas froid aux yeux et surjouent de manière totalement assumée, pour délivrer des moments versant dans le surréalisme le plus total. On retrouve par ailleurs chez les actrices quelques têtes connues, telles que Aya Sugimoto (Flower and Snake) en barwoman bisexuelle ou encore Yumi Yoshimura (The Neighbor N.13) en victime qui commet la grave erreur d'être accompagnée.
Le couple vedette est quant à lui campé par Shinji Takeda, toujours en service depuis Tokyo Eyes et Kairo, et NorA, dont l'attitude tour à tour aguicheuse et enfantine offre une belle caricature de la femme fatale. Le mieux, c'est que Sai et Sheela restent terriblement sexy tout au long de ce périple abracadabrant en voiture de luxe dans un monde qui a visiblement pété un câble depuis belle lurette.
Projeté au festival Kinotayo 2008 (17-28 novembre), LoveDeath arrivera en janvier prochain directement en DVD dans un beau boîtier métal, dans la collection Mad Asia chez WE Productions.
Sortie DVD le 7 janvier 2009