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Lake of Fire

Le 10/11/2008 à 17:29
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Notre avis
7 10 Abordant comme jamais auparavant la question du droit à l'avortement, Lake of Fire choque, dérange, bouleverse, tout en dressant le tableau d'une Amérique tiraillée entre des courants idéologiques extrêmes. Riche en témoignages et en images chocs voire brutales, Lake of Fire met sur un pied d'égalité les camps des pro-life et des pro-choice en leur accordant le même temps de parole. Une démarche qui permet de construire une réflexion passionnante en explorant la question sous tous les angles - sociologique, politique, éthique ou encore philosophique. Seul bémol, l'impasse sur l'évolution des pratiques médicales de ces vingt dernières années (le film ne parle que d'avortement chirurgical et n'évoque jamais la méthode médicamenteuse), qui altère quelque peu l'objectivité de la démonstration. Nous n'en saluons pas moins le travail de longue haleine réalisé, une réunion inédite sur 16 ans d'images d'archives et témoignages mis en forme avec une formidable efficacité.

Lake of Fire Présenté à Deauville dans la sélection les Docs de l'Oncle Sam, Lake of Fire aborde sans détour une question hautement sensible aux Etats-Unis : le droit à l'avortement. Réalisateur d'American History X, Tony Kaye a mis seize ans à monter ce documentaire qui réunit de nombreux documents d'archives et interviews. Filmé dans un très beau en noir et blanc et monté avec une efficacité redoutable, Lake of Fire donne successivement la parole à des militants comme à des sociologues, à des fondamentalistes religieux comme à des professeurs de philosophie ou de bio-éthique, et à de nombreux intervenants concernés par la question, à commencer par des femmes ayant avorté voire subi des persécutions. Et si aucun documentaire de ce genre n'est jamais parfait, Lake of Fire a entre autres pour mérite de faire le tour des enjeux idéologiques et humains d'un problème de société provoquant des réactions féroces, et de dresser par là même le tableau d'une Amérique plus que jamais tiraillée entre des courants de pensée extrêmes.

Lake of Fire

 

La particularité de Lake of Fire réside dans sa volonté de mettre sur un pied d'égalité les deux partis sur le sujet, non pour les réconcilier mais pour en reconnaître la légitimité. Nous avons donc d'un côté les "pour" et de l'autre les "contre", désignés respectivement par les termes "pro-choice" et "pro-life". Tony Kaye accorde volontairement le même temps de parole à chaque camp, au point de mettre son propre point de vue en retrait. Le parti pris pourra au premier abord provoquer une certaine frustration - après tout, on attend habituellement d'un documentariste qu'il prenne position. Mais il a néanmoins pour avantage de rendre compte du caractère hautement émotionnel du sujet au sein d'une Amérique favorable aux courants de pensée les plus avant-gardistes mais encore très imprégnée de religion. Lake of Fire inscrit ainsi de manière pertinente chaque parti dans un spectre d'idées et de comportements bien distinct de celui de son adversaire, reliant notamment la contestation du droit à l'avortement à la remise en cause incessante des droits des femmes, le danger des avortements clandestins mais aussi aux échecs de l'éducation sexuelle. Pour faire porter son argumentation, Tony Kaye n'hésite pas à plonger dans la mêlée des manifestations mais aussi à jouer la carte des images brutales voire perturbantes. Non seulement le film revient sur les meurtres et agressions commis par certains extrémistes pro-life, mais l'on reste plus d'une fois pantois devant les opinions des militants à ce sujet, prêts à défendre les assassinats les plus monstrueux au nom de la "vie", ou prêts à souhaiter l'enfer à ceux qui font un écart de langage sur la religion . En contrepartie, Tony Kaye nous emmène directement en salle d'opération pour filmer des avortements chirurgicaux, ce qui donne lieu à des séquences assez difficiles à regarder. Lake of Fire possède donc une immense qualité : montrer la réalité telle qu'elle est. Ou presque.

 

Lake of Fire

 

Car il est tout de même un aspect du problème sur lequel le réalisateur d'American History X se montre un peu moins rigoureux : les pratiques médicales et leur évolution. Nous ne critiquerons pas la démarche de filmer l'acte lui-même et ce qui en résulte, mais à force d'insister sur les images gore et les cas extrêmes, Lake of Fire transmet - volontairement ou non - au moins deux messages erronés. Le premier, c'est que le plus gros des avortements se ferait à un stade avancé de la grossesse (les images montrent des foetus déjà bien formés). Le second est que les femmes n'auraient d'autre choix à l'heure actuelle que de passer sur la table d'opération. Tony Kaye ignore-t-il l'existence de l'avortement médicamenteux ? Autorisé en France depuis la fin des années 1980 et aux Etats-Unis depuis septembre 2000, l'avortement médicamenteux, c'est-à-dire par comprimés (le fameux RU-486), concerne déjà au moins 1,5 millions d'Européennes et 560.000 Américaines. Rien que ça. Une méthode qui bouleverse sensiblement la donne médicalement et psychologiquement, mais aussi sur le plan des persécutions subies par les femmes avortant puisque l'acte devient quasiment privé. En éludant la question et en ne mettant au passage l'emphase que sur les cas de nature à choquer le plus possible, Tony Kaye cède un peu au sensationnalisme dans sa représentation de l'avortement et perd quelque peu de son objectivité.

 

Lake of Fire

 

Ce manque de rigueur concernant les pratiques médicales ne ternit cependant pas la force de l'argumentation et la portée de la réflexion de Lake of Fire qui se donne tout de même la peine de faire un vrai tour d'horizon des enjeux moraux liés à l'avortement. Ajoutons à cela que le film en profite pour détruire certains mythes, notamment celui selon lequel certaines femmes prendraient l'acte à la légère. A ce titre, le film suit une jeune femme avant, pendant et après son avortement et s'achève sur son témoignage filmé de manière frontale et en très gros plan. Un moment poignant qui capte la douleur d'un être humain et nous semble donner à lui seul le fin mot de l'histoire : au-delà de l'instrumentalisation qui en est faite à travers tout ce grand débat, l'avortement concerne avant tout le corps et la vie d'une femme.





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