Pale Cocoon
Le 14/05/2008 à 14:36Par Caroline Leroy
Conçu et réalisé par un seul homme, Yasuhiro Yoshiura, Pale Cocoon s'affirme comme un vibrant hommage aux romans de science-fiction classiques tout en imposant dès les premières images sa singularité visuelle et narrative. En l'espace de vingt-trois minutes, le réalisateur compose un univers extrêmement personnel, proche et envoûtant à la fois, d'une beauté éthérée. Au vu d'une telle maîtrise, on ne peut que trépigner d'impatience à l'idée de découvrir Time of Eve, le prochain film et surtout le premier long métrage de ce jeune auteur extrêmement prometteur.
On n'est jamais mieux servi que par soi-même. C'est en tout cas ce que donne à penser Pale Cocoon, enthousiasmant court métrage de science-fiction derrière lequel se cache un seul nom ou presque, celui de Yasuhiro Yoshiura. Le "presque" concerne la musique, que le jeune auteur/réalisateur a confié à un professionnel, Tohru Okada, ainsi que les effets sonores dont se charge un certain Kazumi Ohkubo. Responsable du scénario, du story-board, du character design, des décors, de la réalisation et de la production (par le biais de son propre studio, Rikka), Yoshiura se charge de chaque étape de la conception de son bébé et pousse même le vice jusqu'à assurer le doublage de l'un des protagonistes - le collègue du personnage principal. Pale Cocoon procède donc en quelque sorte de la même méthode de fabrication artisanale que le premier court de l'auteur, Aquatic Language, qu'il réalisait en 2002 alors qu'il était encore étudiant. De quoi laisser pantois au vu du résultat qui n'a rien à envier à la plupart des productions "classiques" de studio.
Pale Cocoon repose sur le postulat classique d'une Terre dévastée, désertée par la population à l'exception de quelques survivants condamné à vivre sous la surface en quête de souvenirs du passé. Ura appartient justement au Département d'Exhumation des Archives, métier solitaire qui lui permet de rester en contact avec cette ère révolue par le biais de photos qu'il extrait une à une, séduisantes réminiscences de paysages colorés et ensoleillés. Un beau jour (ou est-ce la nuit ?), l'un de ces clichés attire son attention, au point de le pousser à chercher d'autres explications à sa condition. Amoureux de science-fiction classique, Yasuhiro Yoshiura compose à partir de cette simple idée une envoûtante rêverie à l'atmosphère étrangement chaleureuse. S'il cite littéralement Isaac Asimov et ses trois lois de la Robotique dans Aquatic Language, c'est plutôt aux nouvelles poétiques de Ray Bradbury - et aux Chroniques Martiennes en particulier - que l'on songe en découvrant Pale Cocoon et son univers intimiste et éthéré, susceptible de provoquer le vertige d'un instant à l'autre. Le détail des décors futuristes, réalisés entièrement en 3D par notre homme, n'altère jamais ce sentiment de proximité nimbé de mystère qui fait tout le charme de ce court métrage. Le graphisme, réaliste en dépit de sa simplicité apparente, participe à conférer à l'ensemble la touche d'évanescence qui sied au sentiment de profonde isolation vécu par Ura et sa jeune collègue à l'intérieur de leur froid cocon de métal.
Par-delà ses thématiques, qui brassent habilement - et sans aucune prétention - certains thèmes classiques de la SF tels que la responsabilité de l'être humain dans la préservation de la planète, ou encore la valeur inestimable de la mémoire, Pale Cocoon révèle un style et un auteur. Les conditions de fabrication peu orthodoxes du film expliquent en partie les choix de mise en scène inédits adoptés par Yoshiura. Baladant sa caméra à travers ses décors solidement plantés et agrémentés de moult petits détails accrocheurs, le réalisateur expérimente plan après plan, zoomant ici et là de manière réfléchie, jouant intelligemment sur les changements d'éclairages pour révéler diverses facettes d'un même lieu, et captant au passage les subtiles variations d'expression de ses personnages. L'importance accordée à la musique, de plus en plus présente à mesure que l'on évolue dans l'intrigue, n'apparaît jamais comme une fantaisie gratuite en ce que le montage lui-même est envisagé selon un rythme musical qui parle davantage aux sens qu'à l'intellect. En cela, Pale Cocoon s'apparente davantage à une expérience sensorielle qu'à une réflexion révolutionnaire sur l'avenir de l'humanité. Combinée à un talent qui force l'admiration, l'humilité de Yoshiura achève de l'imposer comme l'une des futures personnalités incontournables de l'animation japonaise.