Kubrick : une déception en DVD ?
Le 20/12/2007 à 17:13Par Kevin Prin
Respect de la volonté du réalisateur ou confort de visionnage du spectateur? Une fausse question entraînant un faux débat pourtant relevé aujourd'hui par Warner, éditeur sur le déclin car totalement inégal dernièrement (d'un côté un superbe DVD Blade Runner, de l'autre des catastrophiques Zodiac et Ocean's 13 indignes du format DVD), et qui nous propose pour cette fin d'année un nouveau coffret Stanley Kubrick on ne peut plus bâtard.
En effet, sous les prétextes d'une remasterisation intégrale de tous les films détenus par Warner (les trois premiers, Spartacus et Dr Folamour, étant exclus), l'éditeur nous propose aujourd'hui un coffret où la présentation des films contredit complètement le discours tenu il y a encore quelques années lors de la sortie des éditions spéciales.
Retour donc en 2003. Deux ans à peine après la sortie des films de Kubrick en DVD, sort un nouveau coffret proposant des édition remasterisées sous la supervision de Leon Vitali, conseiller technique de Stanley Kubrick. Les deux hommes avaient dès 1999 défini la feuille de route à suivre pour la création de ces DVD, avant la disparition du réalisateur. Les consignes étaient simples : 1/ Un nouveau mixage 5.1 ne dénaturant pas les pistes mono d'origine voulues à l'époque par Kubrick, 2/ un format d'image respectant celui du tournage, celui voulu une nouvelle fois par Kubrick.
Avant de continuer plus loin, voici un petit rappel des formats d'image utilisés le plus couramment au cinéma, formats auxquels les films sont tournés et donc leurs plans composés.
C'est sur la deuxième condition évoquée plus haut que le bat blesse dans le
coffret 2007. Kubrick avait en effet tourné certain de ses films en 1.33, le
format 4/3 d'une télévision "carrée", pour retrouver un format plus
proche de ses premiers amours dans la photographie. Avant ces deux films, le
format de prédilection de Kubrick était le 1.66, un format un peu plus large
mais encore loin du rectangulaire cinémascope auquel nous sommes aujourd'hui
habitués au cinéma. Lors de la projection dans les salles de Orange Mécanique,
les projecteurs étaient équipés de caches permettant d'arriver au format 1.66,
et donc tout se déroulait sans problème. Malheureusement le format standard des
salles de cinéma devint par la suite du 1.85, encore plus rectangulaire, ainsi
que le 2.35 cinémascope allant encore plus loin dans sa largeur, deux formats
que Kubrick, en bon puriste de la photographie carrée, n'appréciait guère. Le
réalisateur fût en plus confronté au problème de la disparition des caches 1.66
dans les salles qui condamnait les rediffusions de Orange Mécanique à être
recadrées en 1.85. Une hérésie !
Barry Lindon, format 1.66
Conscient du problème, le réalisateur décida pour Shining, Full Metal Jacket et Eyes Wide Shut de tourner différemment : s'il composait chacun de ses plans toujours au format 1.33, carré, il rajoutait deux barres au feutre sur la fenêtre de cadrage de sa caméra, lui permettant de voir ce que donnerait le film recadré au cinéma. A partir de là, sur le plateau, il validait les deux cadres, sachant que son travail artistique demeurait le format 1.33, tandis que le format recadré n'était qu'une version "la moins pire possible" pour les salles. Warner diffusa ainsi ces trois films en 1.85 au cinéma, dans des versions fâchant le moins possible Stanley Kubrick, qui en échange exigeait que le format en vidéo permette de retrouver le cadre original carré 1.33.
Ce fût chose faite avec les éditions DVD de 2003 qui respectaient chacune le
format d'origine voulu par Kubrick. On regrettait alors simplement que Barry
Lyndon ou Lolita ne soient pas proposés en 16/9, mais rien de grave au final.
Aujourd'hui, dans le nouveau coffret proposé par Warner, les restaurations sont plus jolies en terme de colorimétrie et de piqué d'image, mais les formats partent dans tous les sens. C'est bien simple, plus aucun format 1.33 n'est présent, The Shining, Full Metal Jacket et Eyes Wide Shut retrouvant leur format cinéma toléré par Kubrick mais ne correspondant pas à sa volonté première. Une partie de l'image manque dans certains plans, de l'image se rajoute parfois sans aucune raison, mais ô jamais on ne retrouve le soin du cadrage voulu à l'origine par le réalisateur. Une hérésie totale.
Eyes Wide Shut, recadré 1.77 (Nouvelle édition 2007)
Eyes Wide Shut, format 1.33 respecté (édition 2003)
Eyes Wide Shut, recadré 1.77 (Nouvelle édition 2007)
En rouge, les parties de l'image manquante sur l'édition 2007 !
The Shining, format d'origine 1.22 (Edition 2003)
The Shining, recadré 1.77 (Nouvelle édition 2007)
Du côté de Orange Mécanique, le résultat est également différent mais satisfaisant. Le transfert est effectivement passé du 4/3 au 16/9 mais avec le format 1.66 d'origine toujours respecté.
Orange Mécanique
Edition 2003, format 1.66 respecté mais transfert 4/3
Edition 2007, format 1.66 respecté adapté en 16/9
(les bandes noires passent sur les côtés permettant à l'écran de devenir 16/9 tout en conservant le format 1.66 de l'image)
On se demande en revanche pourquoi l'éditeur n'a pas procédé de même avec Barry Lyndon ou Lolita, toujours présentés au format 1.66 mais dans des transferts 4/3...
Barry Lyndon, 1.66 respecté mais transfert 4/3, sur les deux éditions
Lolita, 1.66 respecté mais transfert 4/3, sur les deux éditions
Avec ces derniers, Lolita et 2001 restent donc les seuls DVD recommandables, respectant à nouveau le format d'origine avec encore plus de soin, notamment si l'on opte pour les versions HD-DVD ou Blu-Ray de 2001, simplement renversantes de beauté.
Une nouvelle fois Warner aura livré un travail bancal, en partie louable (2001, Lolita, Barry Lyndon, Orange Mécanique) et en partie détestable (Eyes Wide Shut, Full Metal Jacket et Shining). Dommage.