Interview de Park Chan-Wook
Le 12/12/2007 à 10:12Par Elodie Leroy
Dans le paysage cinématographique actuel, Park Chan-Wook reste la figure emblématique numéro un de la nouvelle vague coréenne. Remarqué avec le formidable JSA (Joint Security Area), une véritable révélation pour les festivaliers de Deauville en 2001, Park s'est illustré depuis avec l'excellente Trilogie de la Vengeance, dont le second opus Old Boy avait remporté le Grand Prix au Festival de Cannes en 2004.
Invité d'honneur au Festival du Film Asiatique de Deauville 2007, qui rendait à cette occasion un hommage à sa carrière, Park Chan-Wook a accepté de répondre à nos questions sur son dernier film, le superbe et étonnant Je suis un Cyborg...
FilmsActu.com : Avec Je suis un Cyborg,
vous explorez un registre tout nouveau. Cependant, on décèle aussi une certaine
continuité formelle avec Lady Vengeance. Il y a notamment cette même
effervescence de couleurs...
Park Chan-Wook : En tant que réalisateur, j'ai effectivement souhaité changer de style et faire quelque chose de très différent avec Je suis un Cyborg. Mais comme il s'agit toujours d'un de mes films, il est inévitable que l'on retrouve des points communs avec les précédents. Il y en a effectivement au moins deux avec Lady Vengeance. D'une part, le fait que l'héroïne soit à nouveau un personnage féminin et d'autre part, l'esprit du conte qui habite les deux films. Cela dit, je me demande si la plupart des spectateurs auraient fait le rapprochement avec Lady Vengeance s'ils n'avaient eu aucune information sur le film avant de le voir.
Vos personnages sont toujours des marginaux, que ce soit du point de vue social comme dans Sympathy for Mr Vengeance ou politique dans JSA. Dans Je suis un Cyborg, cette marginalisation va encore plus loin puisqu'elle atteint leur univers mental... Ce thème récurrent est-il conscient de votre part ?
Effectivement, je ressens une sympathie spontanée pour les personnages de marginaux. Il y a peut-être une explication à cela. Je mène moi-même une vie tellement ordinaire et ennuyeuse que je suis inévitablement attiré par les personnalités hors norme. J'en parlais justement il n'y a pas si longtemps avec un autre réalisateur coréen, Bong Joon-Ho (NDLR : le réalisateur de The Host). Il y a un cliché qui circule en Corée au sujet nos films : dans les films de M. Bong, les héros sont toujours un peu bêtas, et dans les films de M. Park, les héros sont toujours un peu bizarres. (rires)
La part de rêve est très présente dans Je suis un Cyborg, et contrairement aux autres films, on a vraiment envie d'entrer dans l'univers des personnages. Etait-ce volontaire ?
Oui, puisque le concept de départ du film était de recréer le monde de l'enfance. Par exemple, en ce qui concerne la conception des décors, il fallait que l'asile apparaisse comme une sorte de gigantesque jardin d'enfants. Quant aux comédiens, notamment les deux acteurs principaux, je leur ai donné la consigne de jouer comme s'ils étaient des enfants de moins de dix ans. J'ai vraiment voulu me rapprocher le plus possible de l'univers du conte. Dans les scènes où l'on voyait des patients, il fallait qu'on ait l'impression que les adultes, c'est-à-dire les médecins, jouaient à la dînette ou au papa et à la maman. (rires)
En même temps, il y a des scènes de fusillade. Est-ce qu'il s'agit d'un pont avec vos films précédents ou est-ce au contraire une manière de pousser au maximum le jeu d'enfant ?
Je choisis plutôt la seconde option. La scène de fusillade correspond justement à un jeu d'enfant. Je souhaitais absolument qu'il y ait une vraie rupture par rapport aux scènes de violence de mes films précédents. Il s'agit juste d'un jeu. Toutes ces scènes de fusillade sont irréelles, elles font partie de l'imaginaire de Young-Goon, la jeune fille. Mais je tiens quand même à préciser que les enfants ont justement des fantasmes de violence. Quand ils sont en colère, qu'ils sont grondés ou se sentent abandonnés par leur maman, leur imagination peut les amener très loin dans la violence. Et cela, on a trop souvent tendance à l'oublier.
On parle d'imaginaire et de réalité, mais ne peut-on pas aussi parler de différentes réalités ?
C'est une remarque très juste. Les gens dits "normaux" considèrent que les malades mentaux vivent dans l'irréel, dans l'illusion. Or d'une part ce n'est pas totalement juste, et d'autre part, quand vous regardez l'attitude du personnel soignant de l'hôpital, ils sont extrêmement dévoués tout en continuant à considérer les patients comme des cas à soigner. D'ailleurs, dans les Sept Interdits aux Cyborgs, il y a précisément l'interdiction de faire des rêves inutiles. Justement, pour les gens "normaux", ce monde imaginaire correspond typiquement à un rêve inutile. Au contraire des autres personnages, Il-Soon (NDLR : le héros incarné par Rain) choisit une toute autre attitude vis-à-vis de l'héroïne, celle qui consiste à considérer son univers à elle comme la réalité et à y entrer lui aussi. Pour moi, cette forme de sympathie et d'empathie symbolise le véritable amour. Ce qui n'empêche pas la démarche d'Il-Soon d'être motivée par des considérations plus pragmatiques puisqu'elle lui permet de trouver l'astuce pour réussir là où les médecins ont échoué, à savoir faire manger la jeune fille. Elle doit absolument s'alimenter pour rester en vie mais aussi pour provoquer l'explosion nucléaire. Donc d'une certaine manière, même s'il choisit d'entrer dans son imaginaire, son approche est paradoxalement bien plus ancrée dans le réel que celle des médecins.
Après Lady Vengeance qui laissait apparaître les acteurs qui avaient tourné dans vos précédents films, vous choisissez une superstar de la musique, Rain, dans le rôle principal. N'était-ce pas risqué compte tenu de son image très forte en Asie ?
En fait, ce n'est pas moi qui ai pris un risque. En Corée, quand un réalisateur veut tourner un film de jeunes pour les jeunes, Jung Ji-Hoon apparaît un peu comme la personnalité incontournable. C'est une star tellement immense chez les jeunes dans toute l'Asie. C'est donc moi qui ai vraiment eu de la chance de pouvoir l'engager dans mon film.
Propos recueillis par Elodie et Caroline Leroy
Remerciements à Céline Petit