Stoker : la critique du film
Le 30/04/2013 à 12:10Par Marine Le Gohebel
Notre avis
Malgré un dénouement attendu, Park Chen-Wook parvient à transcender son récit par la puissance de sa mise en scène. Thriller sulfureux, envoûtant et dérangeant, Stoker s'accapare sans difficulté la complicité de son spectateur. Découvrez ci-dessous la critique complète du film STOKER.
Le cinéma coréen a la côte. Depuis quelques années, nombreux sont les réalisateurs coréens à s’exporter et traverser le Pacifique. Apres Kim Jee-Woon et le mititgé Dernier rempart, c’est maintenant au tour de Park Chan-Wook. Salué par de nombreux prix – Grand Prix du Jury au Festival de Cannes pour Old Boy en 2003, Prix du Jury en 2009 pour Thirst, ceci est mon sang -, le cinéma de Park Chan-Wook provoque des réactions épidermiques. Considéré comme un surdoué par certains, auteur d’un cinéma boursouflé qui cache mal la vacuité de son propos pour d’autres, Park Chan-Wook ne fait pas l’unanimité.
Stoker, son dernier film, devrait déclencher les mêmes réactions tant le réalisateur n’a pas perdu de sa verve cinématographique. Le scénario est signé Wentworth Miller, l’acteur-vedette de la série Prison Break. Le réalisateur coréen signe un thriller noir, dérangeant et haletant. Stoker annonce le thème : le titre file la métaphore du mal (Bram Stoker n’est autre que l’auteur de Dracula). Les habitués retrouveront des thèmes chers au réalisateur : le mal, les perversités humaines, les apparences trompeuses et un presque huis-clos angoissant.
Après la mort de son père dans un étrange accident de voiture, India, une adolescente, voit un oncle, dont elle ignorait l’existence, venir s’installer avec elle et sa mère. Très vite, la jeune fille se met à soupçonner l’homme d’avoir d’autres motivations que celles de les aider.
Une histoire à priori banale. Si banale qu'il ne se passe quasiment rien durant la première heure. Et pourtant on accroche. Le spectateur reste suspendu au propos. L'arrivée de ce mystérieux et inconnu oncle Charlie (référence hitchockienne), nous met la puce a l’oreille : il va se passer quelque chose. C’est une évidence.
Park Chan-Wook joue avec le spectateur. La lumière étincelante qui saisit sa pellicule contraste terriblement avec l'ambiance qui se tend, minutes après minutes. Le décor particulièrement soigné, une maison bourgeoise bordée d’un jardin luxuriant, nous renseigne aussi peu à peu sur la personnalité des protagonistes. Rien n'est laissé au hasard : la grammaire cinématographique est parfaitement maitrisée. Park Chan-Wook s'inspire du cinéma d'Alfred Hitchcock, qu'il cite toujours en référence, et c'est réussi.
Surtout, le réalisateur parvient à nous maintenir en éveil par ses choix techniques. Utilisant les longues focales, il complexifie ses personnages et accroît l’effet d’oppression. De la même façon, les gros plans sur les insectes (l’araignée est récurrente) produit les mêmes effets. Multipliant les plans séquences, usant des plongées contre-plongées, il sème le doute sur les rapports de domination qui se jouent au sein de ce trio. Bien plus que les dialogues, c'est la mise en scène qui nous passionne et fait progresser le film.
Le choix des cadres, là encore, n'est pas anodin. A l’image de cette magnifique scène dans laquelle India joue au piano avec son oncle, qui se transforme, par la technique cinématographique, en scène de sexe fiévreuse. Au détour d'une scène qu'on croit banale, des pleurs sous la douche, nous sommes trompés, balladés, surpris et retournés. Les apparences sont trompeuses.
Inévitablement, le film bascule. Les personnages se révèlent, les masques tombent. L’utilisation subtile d’un escalier permet le renversement des positions : de dominant a dominé. Le réalisateur filme cette séquence comme un ballet auquel s’adonnent les deux personnages. Enfin, les clefs de compréhension sont livrées ! Le dénouement est convenu. La fin est presque attendue. Nous pourrions être déçus. Il n’en est rien. Park Chan-Wook parvient à magnifier ce scénario par sa mise en scène, par la qualité de la photographie et par une musique judicieusement choisie. Il sublime les perversités humaines, entraînant le spectateur, subjugué par sa technique, dans un jeu pervers et masochiste du chat et de la souris.
Le film doit évidemment beaucoup à ses interprètes. Dans un rôle qui rappelle celui du film Les Autres d’Amenabar, Nicole Kidman est parfaite en épouse esseulée en quête de réconfort. Matthew Goode est un oncle à la fois inquiétant et séduisant. Il porte les ambiguïtés de son personnage avec panache. Enfin, la prestation de Mia Wasikowska force le respect. Déjà remarquée dans Restless de Gus Van Sant, elle donne à son rôle la teneur et l'ambiguïté nécessaires. D’une jeune fille passive, plongée dans l’introspection, attentive et hyper-sensible, elle se révèle peu a peu inquiétante et menaçante.
Stoker est multiple. Récit initiatique. Thriller envoûtant. Film malsain et dérangeant. Difficile de rester de marbre. En sublimant les désirs condamnables et suscitant l'empathie pour ses personnages, le réalisateur place le spectateur dans une position instable et inconfortable, coupable et excitante. Park n’est pas Haneke. Si le réalisateur autrichien met en scène les perversités humaines, il dérange plus qui’l ne séduit. Le cinéma violent du réalisateur coréen, lui, nous envoûte, nous séduit. Aller voir Stoker, c’est prendre ce risque : trouver une poésie à la violence.