Interview : Rob Minkoff
Le 22/09/2008 à 18:41Par Elodie Leroy
Avec Le Royaume Interdit, le cinéaste s'essaie au film de kung-fu à la chinoise en dirigeant deux icônes du genre, Jet Li et Jackie Chan. On aime ou on n'aime pas son film - ici chez FilmsActu, on n'aime pas - mais il est toujours intéressant de dialoguer avec un réalisateur qui a tenté de combiner des références multiples aux classiques de la Shaw Brothers avec un esprit très proche des films Disney.
D'une courtoisie exemplaire, Rob Minkoff s'explique sur les partis pris artistiques du Royaume Interdit et revient bien entendu sur sa collaboration avec Jet Li et Jackie Chan, ou encore avec le chorégraphe Yuen Wo-Ping.
FilmsActu.com : Nous entendions parler d'un film réunissant Jet Li et Jackie Chan depuis des années. Comment avez-vous été amené à réaliser ce film ?
Rob Minkoff : Je suis arrivé sur le projet il y a environ trois ans. J'ai tout d'abord lu le scénario qui s'appelait alors Le Roi Singe. John Fusco, le scénariste, avait à l'origine inventé cette histoire pour son fils de douze ans. Il pratique les arts martiaux depuis son adolescence et désirait faire connaître l'esprit des films chinois à son fils.
Etant donné qu'il y avait une énorme attente autour du film, diriger ces deux stars n'impliquait-il pas une grande pression ?
Oui, d'autant plus que je suis américain. Même s'il y a un héros américain dans l'histoire, tout l'univers du film est chinois, ce qui impliquait une grande responsabilité. Il fallait constamment veiller à ne pas froisser les Chinois.
Comment s'est déroulé votre travail avec Jet Li et Jackie Chan ?
Ce qui est intéressant, c'est qu'ils ont des tempéramment très différents. Jackie est très amusant, un peu fou parfois, il vit dans l'instant présent. Au contraire, Jet est toujours très sérieux, très bouddhiste. On le voit parfois prier sur le plateau. Travailler avec eux implique de gérer ces différences. Cela dit, en tant que réalisateur, je travaille avant tout avec des individus, des collaborateurs que je considère séparément. Pour moi, c'était très excitant parce que, comme beaucoup de gens, j'étais très fan des deux avant de les rencontrer. C'était donc un rêve qui devenait réalité, ne serait-ce que de les voir faire des arts martiaux devant moi et qui plus est ensemble. C'était un grand honneur de réaliser un film qui aurait un impact que je qualifierais d'historique. Un peu comme de réunir Fred Astaire et Gene Kelly : ils n'ont travaillé qu'une seule fois ensemble et cette scène est entrée dans la légende. C'est la même chose pour Jet Li et Jackie Chan : ils sont fabuleux lorsqu'ils s'affrontent, ils devraient se rencontrer plus souvent au cinéma. Je crois d'ailleurs qu'ils souhaitent tous les deux tourner à nouveau ensemble dans l'avenir. Quant à savoir si cela se concrétisera, c'est une autre histoire, étant donné le planning très chargé de chacun.
Etiez-vous amateur de films d'action hongkongais avant de réaliser Le Royaume Interdit ?
Bien entendu. J'étais un grand fan de Bruce Lee quand j'étais enfant. J'ai aussi vu beaucoup de films de kung-fu à la télévision, à l'époque où ils en passaient le week-end, le samedi et le dimanche.
Comment avez-vous conçu le générique du début, avec toutes ces photos et affiches de films de la Shaw Brothers ?
Le concept de ce générique m'est venu assez tard. A l'origine, je devais juste trouver des affiches pour décorer la chambre de Jason [le personnage de Michael Angarano, ndlr]. Comme nous tournions en grande partie en Chine, y compris certaines scènes se déroulant aux Etats-Unis, nous avons pu dénicher plein de photos. Bien sûr, il fallait que les droits soient disponibles, et nous avions un budget limité à un certain nombre d'images. Au cours du tournage, il arrivait que je me retire dans un coin pour parcourir toutes les photos. Elles ont été une grande source d'inspiration pour moi. Comme je savais pertinemment que la plupart apparaîtraient en flou, l'idée de ce générique montrant les images m'est finalement venue. Il y a dans le film des tas de références à des classiques comme La 36e Chambre de Shaolin, Flying Guillotine, L'Hirondelle d'Or, etc. Nous avons fait uniquement référence à des films que nous adorions ou avec lesquels nous entretenions une relation particulière. Nous avions à coeur de rendre hommage à tous ces réalisateurs de l'époque.
Le style visuel du Royaume Interdit paraît influencé par celui des films hongkongais des années 90 et multiplie lui aussi les références. Comment avez-vous travaillé sur les décors ?
Je suis venu avec mon propre chef décorateur, avec lequel j'ai travaillé plusieurs fois auparavant. Son travail consistait à créer un style visuel unique. Evidemment, si vous êtes chinois, vous verrez que nous avons pris des libertés. En général, les films de Hong Kong sont strictement respectueux du design de chaque période, ce qui veut dire que si l'histoire se déroule sous une certaine dynastie, ils recréeront les décors et les costumes propres à cette dynastie. Comme Le Royaume Interdit est un film fantaisiste, nous avons pensé que nous pouvions nous permettre de prendre des libertés.
Le personnage de Li BingBing fait explicitement référence à celui de Brigitte Lin dans The Bride with White Hair (aka Jiang Hu)...
Oui, Li BingBing est une actrice très connue en Chine. Je l'ai rencontrée en Chine sept mois avant le début du tournage, nous étions au mois d'août. Les financements n'étaient même pas encore définitivement arrangés. Je suis allé visiter les Beijing Film Studios parce qu'un ami qui avait préparé un film chez eux dix ans auparavant voulait voir s'ils avaient changé. A cette occasion, j'ai rencontré l'un des dirigeants de la joint venture entre les Beijing Film Studios et la China Films Group. Quand il a su que c'était moi qui réalisait le prochain Jackie Chan, il m'a proposé de rencontrer le PDG de China Films Group, Han Samping, un producteur très connu en Chine. Quelques jours plus tard, je recevais un appel téléphonique pour organiser un entretien. La China Films Group nous sollicitait pour investir dans le film et le coproduire. Ils m'ont demandé de leur montrer le scénario et de leur expliquer de quoi parlait l'histoire. J'avais été invité à un dîner d'anniversaire où Li BingBing était venue avec son manager. A l'époque, le personnage de la mariée au cheveux blancs n'était pas dans le film. Il y avait à la place un jeune homme faisant lui aussi référence à un personnage légendaire du cinéma chinois, à savoir Sourcil Blanc [aka Pai Mei, ndlr]. Li BingBing a finalement passé l'audition et nous avons décidé de changer le rôle pour l'adapter à elle.
Que pensez-vous d'un film comme The Bride with White Hair ?
Je l'adore, il est magnifique. D'autre part, ce qui est intéressant, c'est que l'on voit immédiatement que la production n'a pas beaucoup de moyens. Il y a très peu de décors, tout est tourné en studio. De ce point de vue, c'est un tout petit film. Pourtant, visuellement, c'est très sophistiqué.
Comment Collin Chou est-il arrivé sur le projet pour incarner le méchant ?
En fait, deux choses se sont produites. Tout d'abord, nous avons discuté avec Yuen Wo-Ping et c'est lui qui a suggéré Collin. Ils avaient travaillé ensemble sur la trilogie Matrix. Ensuite, nous avons rencontré Collin à Hong Kong et le courant est passé immédiatement. Pour l'anecdote, nous avons découvert que nous avions le même jour d'anniversaire. J'ai tout de suite pensé que c'était de bonne augure ! (rires)
Michael Angarano a-t-il bénéficié d'un entraînement spécifique en arts martiaux ?
Oui. En fait, il n'en avait jamais fait avant ce film mais il est très athlétique. Je l'ai vu à de nombreuses reprises effectuer ses propres cascades, et je dois dire qu'il est assez courageux. Sa mère était professeur de danse donc il a grandi au milieu des chorégraphies. Quand nous l'avons emmené en Chine, il a immédiatement intégré un cours d'arts martiaux et s'est retrouvé au milieu de ces combattants chinois qui effectuent des mouvements complètement dingues. Michael a appris très vite et même Jet et Jackie se sont montrés impressionnés de voir la vitesse à laquelle il progressait.
Comment s'est passé le tournage de la scène de combat entre Jet Li et Jackie Chan ? Aviez-vous une idée précise de ce que vous souhaitiez voir à l'écran ou avez-vous laissé une grande liberté à Yuen Wo-Ping ?
Vous savez, réaliser un film d'arts martiaux, c'est un peu comme faire une comédie musicale. En tant que réalisateur, mon rôle était de raconter une histoire et de diriger l'ensemble. Comme dans une comédie musicale, les scènes de kung fu doivent avant tout participer à raconter l'histoire. Mon travail était donc de collaborer avec Yuen Wo-Ping, pas de lui dire ce qu'il avait à faire. Déterminer qui doit frapper qui et dans quel ordre ne rentrait pas vraiment dans le cadre de mes responsabilités. (rires) En revanche, je lui indiquais éventuellement que les personnages devaient partir de tel endroit pour arriver à tel autre, en passant par le sol ou par la porte, etc., c'est à dire les éléments de base de la scène. Les arts martiaux consistent en un système de mouvements appris et maîtrisés sur des années, voire des dizaines d'années. Toute la difficulté pour les chorégraphes est de les réarranger chaque fois différemment, pour les rendre constamment intéressants en intégrant par exemple un petit twist à une idée déjà connue.
Jet et Jackie ont-ils participé aux chorégraphies ?
En fait, ils n'ont pas vraiment travaillé sur l'élaboration de ces chorégraphies puisqu'ils étaient avant tout présents en tant qu'acteurs. Les combats étaient déterminés et au moment de les effectuer, il arrivait qu'ils manifestent le souhait d'ajouter tel ou tel mouvement, ou d'en réadapter d'autres. C'est devenu un véritable travail d'équipe. Mais cela n'a rien de vraiment différent du travail de collaboration que n'importe quel acteur entretient avec son réalisateur. Evidemment, lorsqu'un acteur fait une suggestion, il arrive que certains réalisateurs se mettent à crier : "Non, je veux que tu t'assoies sur cette chaise à ce moment là, point final!" (rires). Je ne suis pas ce genre de réalisateur. Si je ne suis pas d'accord, je préfère discuter et confronter les points de vue. J'aime travailler dans une logique de combinaison des idées et des énergies de chacun. Selon moi, c'est la même chose qui se produit entre le chorégraphe et les acteurs. Il est très important de créer un environnement positif car l'état d'esprit de l'équipe a un impact sur le film. Si tout le monde est plus ouvert, cela se ressent à l'arrivée. Par exemple, Jet Li fait dans Le Royaume Interdit des choses qu'il n'a jamais faites ailleurs, de même que Jackie Chan. Ils atteignent un niveau de performance jamais vu auparavant.
Une dernière chose : le moment où les personnages regardent les nuages et voient un lion est-il une référence au Roi Lion ?
Non, en fait ça n'en est pas une. (rires) Je sais que c'est ce que beaucoup de gens ont pensé, mais c'était involontaire.
Il y avait un épisode des Simpsons qui faisait déjà ce genre de référence, vous l'avez vu ?
Oui, bien sûr que je l'ai vu ! (rires)
Propos recueillis par Elodie Leroy