Sex is no laughing matter : Interview de Nami Iguchi
Le 10/12/2008 à 17:51Par Caroline Leroy
Ce n'est pas tous les jours qu'un festival français nous offrel'opportunité de découvrir le cinéma japonais d'aujourd'hui dans sa diversité et de faire connaissance avec de nouveaux talents. Le festival Kinotayo proposait non seulement une sélection délicieusement éclectique, navigant entre films populaires, films underground et films indépendants, mais invitait un certain nombre de personnalités, connues ou moins connues. Parmi elles se trouvait la réalisatrice Nami Iguchi, venue défendre à chaque séance son deuxième long métrage, Sex is No Laughing Matter. Chronique amoureuse débordante d'humour et de sensibilité, ce film original sortait en janvier 2008 au Japon et mettait en vedette Kenichi Matsuyama, Hiromi Nagasaku et Yû Aoi. La jeune cinéaste a très gentiment accepté de répondre à nos questions, s'expliquant sur ses choix et dressant au passage un constat sans langue de bois du cinéma japonais contemporain.
Filmsactu : Pourriez-vous nous présenter brièvement votre parcours ?
Nami Iguchi : A l'âge de vingt ans, j'ai décidé de travailler dans le cinéma. J'ai commencé par être perchiste pendant dix ans, puis j'ai voulu devenir scripte. Mais un de mes collègues m'en a dissua, arguant que ce n'était pas le métier qui me convenait. Il m'a dit : "filme toi-même !" C'est ainsi que j'ai réalisé mon premier film (ndlr : The Cat Leaves Home), qui a obtenu un prix au Japon.
Sex is No Laughing Matter est adapté d'un livre de Naocola Yamazaki. Qu'est-ce qui vous a poussée à en faire un film ?
J'ai commencé par trouver ce livre choquant. Mais après l'avoir lu, l'histoire m'a semblé en réalité normale, c'était une histoire d'amour où le rapport d'âge était simplement inversé. Il y a énormément d'histoires qui parlent d'un homme âgé et d'une jeune fille car les hommes japonais aiment bien les jeunes filles (rires). J'ai trouvé intéressant que la situation soit renversée.
On ne perçoit aucun jugement moral dans le film concernant cette romance atypique, alors que ce genre d'histoire est généralement racontée de façon mélodramatique. Est-ce volontaire de votre part ?
Oui, c'est ce que je voulais faire. Je pense que le sens moral n'est pas du tout le même en France et au Japon, par exemple. J'ai donc cherché à atteindre un absolu, quelque chose qui soit universel.
Le drame est constamment désamorcé par l'humour, les personnages sont souvent assez enfantins.
C'était aussi mon intention. Les acteurs ont tendance à être sérieux lorsqu'ils jouent, mais pour que le film ne paraisse pas trop lourd, j'ai demandé à Kenichi Matsuyama de garder la bouche toujours entrouverte.
Vous laissez les acteurs s'exprimer librement à l'intérieur de longs plans séquences. Etait-il important à vos yeux de les faire évoluer le plus naturellement possible ? Leur donniez-vous des directives précises ?
J'avoue que j'aurais tout de même aimé découper un peu plus (rires). Mais une fois que l'on commence à tourner, les acteurs se mettent à jouer de mieux en mieux à mesure que le temps passe. Pour cette raison, j'éprouvais des regrets à couper et j'ai finalement préféré les laisser jouer. En général, je leur donne des directives au départ, mais je ne dis plus rien une fois que la caméra tourne. J'en ai parlé avec eux, et ils m'ont dit que comme je ne coupais pas, ça leur rendait la tâche trop difficile. Ils étaient obligés ensuite de faire des réunions pour discuter entre eux de la manière d'aborder les scènes. Je ne me doutais de rien pendant le tournage, j'ai appris ça bien après ! (rires)
Quelle a été leur réaction quand vous leur avez proposé le scénario ?
L'actrice qui joue Yuri (ndlr : Hiromi Nagasaku) incarnait pour la première fois un premier rôle au cinéma. Elle avait surtout tourné dans des dramas télévisés auparavant. Quant à Kenichi Matsuyama, il était très connu grâce à Death Note. Dans mon scénario, je ne décris pas précisément de quelle manière les acteurs doivent bouger. Je désigne simplement l'action à exécuter et je laisse les acteurs interpréter ces indications à leur façon. Pour vous donner un exemple, j'ai écrit : "Yuri court". L'actrice a pensé qu'il lui faudrait simplement parcourir quelques mètres, or pendant le tournage ce plan a duré trois minutes ! Les acteurs étaient un peu déstabilisés. Hiromi Nagasaku a confié qu'elle était un peu inquiète, mais qu'elle n'avait pas d'autre choix que de faire confiance au réalisateur.
Comment s'est passé le tournage des scènes d'intimité entre les deux acteurs principaux ?
Kenichi Matsuyama était très hreueux de jouer ce rôle dans ces occasions, il était toujours aux anges à l'idée de jouer avec Hiromi Nagasaku. Dans ce contexte, les deux acteurs n'ont eu aucun mal à être naturels. Toujours à propos de Kenichi Matsuyama, il faut savoir que je ne lui ai jamais demandé d'embrasser sa partenaire, c'est lui qui a pris cette initiative (rires).
On retrouve aussi des acteurs de votre premier film, comme Shûgo Oshinari ou Yôko Fujita qui fait ici une caméo. Aimez-vous retrouver les mêmes comédiens d'un projet à l'autre ?
J'adore ces deux acteurs (rires).
Aviez-vous l'intention dès le départ de donner autant d'importance au personnage de la jeune fille jouée par Yû Aoi ?
Dans le roman original, le rôle de En-chan était anecdotique. J'ai trouvé qu'en lui accordant plus d'importance, cela donnait une épaisseur supplémentaire au film.
Vous identifiez-vous personnellement à l'un des personnages, ou à chacun d'entre eux ?
Le rôle que j'aime le plus est celui du grand-père de Mirume (rires). Mais on me dit que mon attitude ressemble beaucoup à En-chan !
La montée en puissance du cinéma populaire japonais depuis quelques années rend-elle plus difficile la production d'un film indépendant comme Sex is No Laughing Matter, ou au contraire plus facile ?
C'est un problème un peu délicat. Sur un film à gros budget comme Maiko Haaaan !!! (ndlr : réalisé par Nobuo Mizuta et présenté aussi au festival Kinotayo), le réalisateur ne dispose d'aucune marge de manœuvre. Il dit "ok, ça tourne", et c'est tout. Le reste a déjà été décidé par le producteur. Dans ces cas-là, ce ne sont pas vraiment les réalisateurs qui font les films. Avec le genre de films que je fais, on reste assez libre : on peut choisir les acteurs, la musique, le décorateur... En revanche, lorsqu'on en arrive à l'exploitation, il n'est pas facile de faire de la publicité. Quant à gagner de l'argent, c'est encore une autre histoire.
Le fait que le film soit présenté dans des festivals internationaux change-t-il quelque chose pour vous, au Japon ?
Au Japon, le fait qu'un film soit présenté en festival n'a aucune incidence sur le prochain projet. La sélection en festival n'est pas vraiment liée à l'exploitation. Les festivals considèrent que le cinéma est un art, alors que les gens qui travaillent dans le milieu du cinéma ne veulent avoir affaire qu'à des artisans. Ils ne veulent pas de quelqu'un qui dit non, qui fait ce qu'il veut.
Pensez-vous que tout cela est susceptible de s'améliorer ou au contraire de se dégrader ?
L'économie n'est pas au beau fixe et en ce moment, tout le monde s'inquiète.
Lors de la présentation du film à Kinotayo, vous avez cité plusieurs cinéastes français parmi vos références. Qu'est-ce qui vous inspire dans leur cinéma ?
J'aime bien le cinéma français. J'aime Méliès, Jean Renoir, Sacha Guitry, François Truffaut, Eric Rohmer. Je vivais complètement coupée de la France quand j'ai découvert ces cinéastes et j'ai eu l'impression en voyant leurs films que les gens éprouvaient les mêmes sentiments que moi. Le message qui m'a touchée à travers ces films, c'est celui que la vie n'est pas forcément dure, qu'elle nous réserve aussi plein de bonheur.
Vous commencez à tourner votre troisième film au début de l'année prochaine. Pouvez-vous nous en révéler un peu plus à ce sujet ?
Il sera adapté d'un roman écrit par une écrivaine assez connue. Il est d'ailleurs possible qu'elle soit publiée en France, mais je ne peux pas vous dire son nom (rires). C'est l'histoire d'un homme qui meurt au début du film. On pourrait décrire cela comme un mélange de L'Homme qui aimait les femmes de Truffaut et de Genji Monogatari (ndlr : Le Dit du Genji, attribué à Murasaki Shikibu).
Propos recueillis par Caroline Leroy et Elodie Leroy
Remerciements à Megumi Kobayashi