Indiana Jones 4 : Interview de Pablo Helman
Le 19/11/2008 à 08:05Par Michèle Bori
Après avoir été superviseur du compositing sur ID4 pour Pacific Ocean Post et compositeur numérique sur Apollo 13 et Strange Days pour Digital Domain, Pablo Helman intègre Industrial Light & Magic en 1996 comme superviseur du Sabre Department. Avant de rejoindre la société créée par Georges Lucas, ce natif de Buenos Aires obtient une maîtrise en Arts à l'université Cal Poly Pomona et un Bachelor of Arts en composition musicale à l'UCLA. Durant sa longue carrière, il a été nommé pour l'Oscar des meilleurs effets visuels pour Star Wars - Episode II : L'Attaque des clones et pour La Guerre des mondes et a reçu un Visual Effects Society Award pour les meilleurs effets visuels pour ce même film. Sur le dernier épisode de la franchise Indiana Jones, non seulement Helman officie en tant que superviseur des effets visuels, mais il est également crédité en tant que réalisateur des séquences aériennes au Brésil et en Argentine. A l'occasion de la sortie d'Indiana Jones 4 en DVD, il a accepté de répondre à nos questions.
Il est de notoriété publique qu'il y a eu plusieurs scénarios différents d'Indiana Jones. A quel moment précis avez-vous commencé à travailler sur le film ?
En fait, on a réellement commencé à travailler à partir du moment où Steven et George ont donné leur feu vert sur le scénario de David Koepp. Mais entre la première version de ce scénario, et celle qui peut-être considérée comme la dernière, il y en a eu environ une demi-douzaine de moutures différentes ! Dans ces cas-là, on reçoit des scriptes de différentes couleurs. Le premier est blanc, le second est rose, le troisième orange, etc etc... A la fin, mon exemplaire du scénario était multicolore, car c'était un mélange de toutes les versions, et on devait s'adapter en fonction des changements.
Avez-vous travaillé sur des scènes qui ne sont plus dans le film, à cause de ces remaniements ?
Il doit y avoir une trentaine de plans truqués qui n'apparaissent pas dans le film. Si ca avait été Georges Lucas le réalisateur, vous les auriez trouvés sur le DVD. (rires) Steven, lui, n'aime pas trop ça. Il ne veut d'ailleurs pas qu'on en parle !
Steven Spielberg avait annoncé que les trucages du film allaient être faits "à l'ancienne". Pourtant, il y a beaucoup de CGI !
Beaucoup... oui et non. Il y a environ 550 plans truqués dans Indiana Jones 4. En comparaison du Seigneur des Anneaux ou de Star Wars, c'est assez peu (ndla : Star Wars épisode 3 contient plus de 3000 plans truqués). Ensuite, il est vrai qu'il y a pas mal de séquences avec beaucoup de 3D, pour la bonne et simple raison que le scénario nous l'imposait. Comment voulez-vous faire une course poursuite au bord d'une falaise avec les moyens techniques des premiers Indy ?! Au jour d'aujourd'hui, on ne peut pas faire un film comme on le faisait il y a 30 ans, c'est impossible. Le public a changé, il est surchargé d'images et d'informations, il veut toujours plus.
Pourtant, lorsqu'on revoit les premiers Indy, les effets passent toujours bien.
C'est sûr. Mais s'il y a bien une chose que j'ai appris, en travaillant sur Indiana Jones, mais aussi Star Wars et Terminator 3, c'est qu'on ne peut pas jouer avec la mémoire et la nostalgie du public. Les gens aiment les originaux, mais si on leur ressert la même soupe aujourd'hui, ils ne comprendront pas l'intérêt de faire un nouveau film. Et ils auront raison ! Le but était de garder l'esprit des originaux, de respecter le personnage, mais en "modernisant" le tout pour le rendre attrayant par rapport aux autres productions actuelles. Et je pense que sur ce point précis, Indy 4 est réussi, car même si on a utilisé beaucoup de CGI, c'est toujours dans un respect des codes des films.
Pablo Helman aux côtés de Steven Spielberg sur le tournage d'Indiana Jones
D'ailleurs, avez-vous discuté avec Richard Edlund et Michael McAllister, superviseurs des précédents Indiana Jones, pour établir une continuité dans les effets visuels de la saga ?
Je connais Michael depuis quelques années, et j'ai eu l'occasion de discuter avec lui. Mais en même temps, vu que le réalisateur n'a pas changé en 30 ans, la continuité s'est faite d'elle même. Steven a toujours gardé à l'esprit qu'Indy 4 devait être fait dans la même veine que les trois précédents, que ce soit sur le plan de l'intrigue, du design des décors ou des effets spéciaux... Sinon pour en revenir à la question, j'ai pas mal discuté avec Dennis Murren, un vétéran d'ILM qui a son bureau à côté du mien. Il m'a appris beaucoup de choses, notamment sur le travail en équipe. Un homme tout seul ne peut pas appréhender tous les problèmes que l'on rencontre durant la postproduction d'un gros film comme Indiana Jones. Il faut donc savoir déléguer à bon escient, et surtout gérer parfaitement les plannings de ses équipes. C'est vraiment là que se trouve le challenge.
A ce sujet, plusieurs sociétés ont collaboré avec ILM. Rodeo, Asylum, Kerner... comment avez-vous reparti les tâches ?
Le gros du travail a été fait par ILM, mais c'est vrai que sans les autres studios, nous n'aurions jamais fini le film à temps ! Au plus fort de la postproduction, j'étais à la tête d'une équipe de 350 personnes ! C'est énorme, et comme je le disais, dans ces cas-là, il faut être très strict sur les plannings. Nous savions à l'avance quelles séquences allaient prendre beaucoup de temps, quelles autres allaient être plus simples... en fonction de cela, nous avons dressé un calendrier et des deadlines. Pour une séquence qui pouvait être faite en 10 jours, nous faisions appel à un studio, pour qu'il nous livre les plans en temps et en heure, tout en nous faisant de l'air pour travailler sur des grosses séquences.
Quelle a été la séquence la plus compliquée pour ILM ?
Indiscutablement la scène de fin, lorsque la soucoupe volante sort de la pyramide Inca. Il y avait beaucoup d'éléments à prendre en compte, beaucoup de 3D, mais aussi des personnages filmés à incruster. De plus, pour cette séquence, nous avons mis au point un logiciel capable de générer automatiquement des fissures. On l'a appelé Fracture. Son fonctionnement est on ne peut plus simple : on modélise un élément à détruire, on dessine les fissures en 2D, puis on les projette sur l'élément en 3D. Le logiciel fait le reste. La séquence de la course-poursuite le long de la falaise a été compliquée elle aussi. Nous avons filmé la course-poursuite elle-même sur une route de campagne classique, puis nous avons été au Brésil pour tourner des séquences en hélicoptère d'une falaise avec ne chute d'eau. Enfin, nous avons lié les deux en compositing. C'était assez compliqué, mais le résultat est là : on a vraiment l'impression qu'ils sont en danger.
Combien de temps a duré la postproduction ?
Environ huit mois. C'est la moyenne. Maintenant, si vous me posez la question, je vous dirais que j'aurais bien aimé avoir deux ou trois mois en plus ! (rires)
Y a-t-il des séquences que vous auriez pu améliorer avec trois mois supplémentaires ?
Oui, mais la différence n'aurait pas été flagrante. Moi, je vois les défauts, mais pour 95% des spectateurs, ils sont invisibles.
Vous travaillez avec Steven Spielberg depuis Il faut sauver le soldat Ryan. Comment a-t-il évolué sur le plan de l'utilisation des effets spéciaux depuis que vous le connaissez ?
Steven a toujours aimé les effets visuels, quels qu'ils soient. Je n'apprendrais rien à personne si je dis que c'est un bonheur de travailler avec lui, tant il possède une vision globale de la manière dont est fait un film. Lorsqu'il tourne un plan, il sait déjà ce que ça implique en termes de postproduction. C'est le genre de chosed qui fait gagner beaucoup de temps après le tournage ! Travailler avec Steven Spielberg, pour un superviseur des effets spéciaux, c'est vraiment l'idéal. Et puis il y a une chose qui m'impressionne vraiment chez lui, c'est qu'il travaille toujours avec son monteur (ndla : Michael Kahn) sur des bancs de montage pellicule ! Pas d'Avid, pas d'ordinateurs ! Vous vous rendez compte ? Il faut vraiment avoir l'œil pour faire ça, surtout lorsqu'un film contient autant de trucages. Enfin, il y a quelque chose que j'ai remarqué en travaillant avec lui et que je trouve formidable : vous pouvez prendre n'importe lequel de ses films en DVD, si vous faîtes un arrêt sur image, vous tomberez toujours un plan bien construit et plein de sens. Faîtes l'essai, vous verrez ! (rires)
En 10 ans, les SFX ont fait un bond en avant assez important. Vous pensez que ce sont les réalisateurs, par leur mise en scène de plus en plus sophistiquée, qui ont poussé les SFX à se développer ? Ou au contraire, est ce que c'est parce qu'aujourd'hui on peut presque tout faire en postproduction que les metteurs en scène ont changé leur manière de filmer ?
On peut faire ce qu'on veut en postproduction... oui et non ! Il faut deux choses pour cela : du temps, et de l'argent. Les budgets des films ont augmenté, mais la somme de travail aussi. Par contre les délais sont toujours aussi serrés ! (rires) Je pense qu'il y a un peu des deux, mais c'est à double tranchant. Ce n'est pas parce qu'on peut presque tout faire, qu'on doit tout faire. Les effets spéciaux numériques sont un outil très puissant, qui offrent aux réalisateurs des possibilités infinies, mais il ne faut pas que ce soit une réponse à tous les problèmes. Ce qui compte, en premier lieu, c'est l'histoire. De bons effets spéciaux ne pourront jamais compenser un mauvais scénario. Jamais !
En parlant de scénario, quelle a été l'implication de Georges Lucas sur le film ?
La scène de fin : c'est son idée ! En fait, nous ne l'avons pas beaucoup vu une fois le scénario validé. Il a dû être là dix jours sur le plateau en tout et pour tout. En même temps, Steven Spielberg n'a pas besoin d'être chaperonné !
L'avènement du Blu-Ray change-t-il beaucoup de choses pour vous ?
Il y a 5-6 ans, je vous aurais dit oui, car nous travaillions encore sur de petits écrans, avec des résolutions SD. Aujourd'hui, lorsque nous faisons un plan, on le projette en direct sur un écran géant, avec une définition de 2K ou plus, ce qui est bien plus précis qu'un Blu-Ray. Donc non, nous ne nous forçons pas à fournir un travail plus précis depuis que les Blu-ray existent. En revanche, à titre personnel, je suis content de savoir que les gens peuvent, dans leur salon, apprécier mon travail dans une qualité optimum !
Après avoir travaillé sur Star Wars, Terminator et Indiana Jones, y a-t-il une autre saga sur laquelle vous aimeriez vous pencher ?
Pour être tout à fait honnête... non. J'ai beaucoup aimé travailler sur ces trois énormes projets, mais je préfère les films "originaux" parce qu'il y a tout à créer, tout à inventer. C'est très intéressant de "moderniser" et d'améliorer des choses qui ont déjà été faites, mais je préfère largement construire quelque chose de A à Z. Et puis, sur ces trois projets, il y avait une pression tellement énorme ! De la part des fans surtout. C'est très compliqué de faire son travail quand on sait qu'il y a des millions de personnes qui vous attendent au tournant. Donc, personnellement, si on me propose un nouvel épisode d'une grande saga, il faut vraiment qu'il y ait quelque chose de totalement novateur ou Steven Spielberg à la barre pour que j'accepte.
Et donc, quels sont vos projets, vu que Tintin ne se fera pas avec ILM ?
Je travaille avec M. Night Shyamalan sur son film Avatar, the Last Airbender. C'est un film d'action inspiré du dessin animé de Nickelodeon. C'est un projet important et très complexe... Mais comme nous sommes actuellement en phase de pré-production, je ne peux pas trop vous en parler. Désolé !