Interview de Tensai Okamura
Le 19/11/2007 à 16:45Par Elodie Leroy
Après le 8e impact de Japan Expo en juillet dernier, le festival Chibi Japan Expo déployait ses ailes sur près de 20000 m² à Villepinte entre le 2 et 4 novembre 2007. Parmi les personnalités présentes, le réalisateur Tensai Okamura était l'un des invités d'honneur.
Après avoir débuté aux côtés de Yoshiaki Kawajiri dans les studios Madhouse, Tensai Okamura faisait ses premières armes en tant que réalisateur sur le segment Stink Bomb de Memories, sous la direction de Katsuhiro Otomo. Depuis, il est intervenu en tant qu'animateur sur des œuvres phares telles que les films Jin-Roh et Ghost in the Shell, et a occupé des postes clés sur des séries comme Cowboy Bebop, Evangelion ou encore le long métrage Spriggan. Enfin, outre le long métrage Naruto : Ninja Clash in the Land of Snow, on lui notamment plusieurs séries de grande qualité, à commencer par Wolf's Rain (sortie il y a quelques années en France chez Beez) et plus récemment Darker Than Black, série télévisuelle diffusée pour la première fois au Japon en septembre dernier...
A vos débuts, vous avez rapidement côtoyé des grands noms de l'animation, tels que Rintarô ou Yoshiaki Kawajiri qui ont des personnalités artistiques très fortes. Cela a-t-il joué un rôle déterminant dans votre parcours ?
Tensai Okamura : En fait, je n'ai pas vraiment été influencé par Rintarô. En revanche, concernant Yoshiaki Kawajiri, on peut vraiment parler d'influence. On peut d'ailleurs considérer que mon approche du métier est le reflet de ce que M. Kawajiri m'a enseigné, en particulier pour tout ce qui touche à la composition d'une scène ou même d'un plan.
Lors de votre passage à la réalisation, vous avez immédiatement travaillé sur un projet important, à savoir Memories. Comment s'est passée votre arrivée sur le film ?
A l'époque, je travaillais pour les studios Madhouse et M. Otomo est arrivé avec le projet Memories. A l'origine, c'était Yoshiaki Kawajiri qui devait réaliser Stink Bomb. Mais pour certaines raisons, il a été contraint de refuser. Comme j'étais sur place et que je travaillais avec lui, j'ai hérité du projet. C'est donc un coup de chance.
Vous avez travaillé dans des studios d'envergure différente, comme Madhouse et BONES. Ces studios possèdent-ils des cultures différentes ? Avez-vous ressenti par exemple une grande liberté artistique dans un grand studio comme Madhouse ?
La première différence entre une grande et une petite boîte, c'est que dans le premier cas, vous disposez aussi d'une grande table de travail ! (rires) Chez Madhouse, à l'époque où j'y travaillais, il fallait avant tout écouter et obéir aux ordres du supérieur, donc il n'y avait pas vraiment de liberté. Mais avec les évolutions que le studio a connues entre temps, les choses ont pris une tournure un peu différente et il semble qu'il y ait à présent une plus grande liberté d'expression dans le travail.
Pouvez-vous nous parler de la genèse de Wolf's Rain ? D'où vient ce concept des personnages de loups vivant au milieu des humains ?
A l'origine, c'est la scénariste Keiko Nobumoto qui a eu l'idée de Wolf's Rain. C'est elle qui a présenté une première ébauche de l'histoire au directeur de BONES. Il a immédiatement été emballé et lui a proposé de développer le projet. En ce qui me concerne, je connaissais Mme Nobumoto puisque j'avais travaillé avec elle sur la série Cowboy Bebop. J'étais donc déjà sensible à son travail et je me suis donc tout naturellement intéressé à la série. Pour ce qui est de l'idée des loups dans un monde d'humains, il faudrait poser la question à Mme Nobumoto ! Quelque part dans sa tête, une antenne s'est déployée et elle a reçu l'idée d'on ne sait quelle source... (rires)
Entre Cowboy Bebop, Wolf's Rain et Darker Than Black, cela fait plusieurs fois que vous travaillez avec la compositrice Yoko Kanno. Y a t-il une entente artistique particulière entre vous ?
Je vous rassure, cette entente reste purement professionnelle ! (rires) Bien sûr, nous avons une bonne alchimie au travail. A ce titre, il y a une petite histoire à propos de sa composition sur Darker Than Black. En fait, au moment de la sortie de la série, beaucoup de gens ont trouvé que la musique ne ressemblait pas à du Yoko Kanno, qu'on ne retrouvait pas son style. Il faut savoir que c'est totalement volontaire de sa part. La musique de Darker Than Black n'est pas aussi lyrique et emportée que ses compositions précédentes, mais elle-même l'estime plus personnelle. C'est peut-être parce que nous avons une bonne entente artistique qu'elle a osé casser son image dans une de mes productions.
Avec Darker Than Black, vous êtes non seulement réalisateur mais aussi créateur original...
Oui, cette histoire est le fruit de beaucoup d'influences et d'une réflexion de plusieurs années. Quand j'étais jeune, je lisais énormément de mangas, d'histoires de ninjas, d'espions ou de superhéros. Celui qui m'a le plus marqué est un manga de Shirato Sampei parlant de ninjas. Il y avait dans l'histoire tout un tas de techniques destinées à permettre aux enfants d'apprendre l'art ninja et cet aspect m'a beaucoup influencé. A cela se sont greffés l'esprit et l'ambiance des séries d'espionnages qui ont bercé mon enfance, comme Le Fugitif. J'ai voulu mélanger ces influences.
Comme Wolf's Rain, Darker Than Black se déroule dans un monde post-apocalyptique. Cette similitude est-elle volontaire ?
L'idée de Darker Than Black m'est venue pendant que je réalisais Wolf's Rain mais il ne faut pas forcément voir un rapport entre les deux univers. Les personnages principaux de Wolf's Rain sont certes des loups mais si vous regardez bien, ils sont très purs et ce sont de véritables héros. Dans Darker Than Black, j'ai voulu revenir vers des personnages non seulement humains mais possédant aussi une part sombre plus développée. Je souhaitais qu'ils aient des défauts, des mauvais côtés. Les personnages de Darker Than Black sont issus de cette volonté.
Dans les premiers épisodes, on n'arrive d'ailleurs pas à savoir s'ils ne vont pas se trahir les uns les autres...
C'est tout à fait volontaire. Au début, ils se regardent tous en chiens de faïence. On ne sait pas qui fait quoi, qui est bon et qui est mauvais, qui va trahir qui. Cette anxiété qui plane en permanence est au cœur de l'histoire, de même que la dualité du personnage principal.
La série est visuellement très travaillée. Etes vous intervenu sur le character design ou sur les décors ?
C'est à M. Komori, le directeur artistique, qu'il faudrait adresser les félicitations ! (NDLR : Takahiro Komori était aussi directeur d'animation sur Cowboy Bebop) J'ai été vraiment surpris par sa méticulosité : il a suivi le projet de A à Z et n'hésitait pas à mettre la main à la pâte. Il est même allé jusqu'à intervenir sur le story-board, ce qui est très inhabituel pour un directeur artistique.
Vous aimez les chats ? On en voit beaucoup dans cette série...
Oui, j'aime beaucoup les chats ! (rires) Mais parfois, quand je marche dans la rue et que j'en aperçois un, j'ai peur qu'il s'arrête devant moi et qu'il me parle avec une voix de vieillard ! (rires)
La série vient de se terminer. Avez-vous d'autres projets en tête ?
Pas pour le moment. Mais je suis en train de réfléchir à quelque chose qui pourrait être en rapport avec Darker Than Black. Cela pourrait être une suite, ou bien simplement se dérouler dans le même univers, je ne sais pas encore.
Propos recueillis par Elodie et Caroline Leroy
Remerciements à Anne-Laure Puig et Stephane Tranchemer